33

La veille de la sortie de Holly, j’arrivai chez elle avec des fleurs, mais je trouvai sa maison remplie de vases extravagants de lis et de roses d’hiver, à côté desquels mon petit bouquet d’anémones paraissait ridicule. Il y avait du monde partout. La mère de Charlie, qui venait d’arriver, était assise sur le canapé, grassouillette et détendue, et fumait une cigarette au menthol, tandis que celle de Holly tapait sur des casseroles dans la cuisine. Charlie accrochait des décorations sur un arbre de Noël asymétrique, et Naomi apportait les dernières touches de peinture vert clair dans la chambre de Holly et Charlie.

— Nous voulions lui faire la surprise, déclara-t-elle en m’adressant un grand sourire depuis l’escabeau, une tache de peinture sur la joue.

Je ressentis une jalousie puérile lancinante.

— Tu aurais dû me prévenir. Je serais venue t’aider.

— Je sais que tu es très occupée et, de toute façon, j’aime bien peindre, répondit Naomi. (Elle reposa soigneusement son pinceau sur le couvercle du pot de peinture.) Ça te dit, une tasse de thé ? Il y a aussi du cake au gingembre maison.

— Non merci. Je ne fais que passer.

 

Je ne passai pas le lendemain. Je pensai qu’elle avait d’abord besoin de s’installer tranquillement. Mais dans la soirée, alors que je rentrais chez moi, mon portable sonna et c’était elle. Elle me raconta que tout le monde était aux petits soins, puis elle s’étrangla de rire, moqueuse, et cela me remonta le moral.

— C’est vraiment enquiquinant, poursuivit-elle. Les deux mères ne s’adressent plus la parole. Charlie fait tellement de son mieux pour plaire à tout le monde qu’il est comme un chien qui court entre ses maîtres. Peux-tu passer ? S’il te plaît !

— Maintenant, tu veux dire ?

— Ils ne te laisseraient pas entrer. Je dois me reposer, apparemment. Ça suffit à me rendre folle, sauf que je suis déjà folle. Viens demain.

— Je ne sais pas si c’est…

— S’il te plaît.

— Très bien. Quelle heure ?

— Viens déjeuner.

— J’apporterai quelque chose.

— Surtout pas ! La cuisine ploie sous la nourriture. Tout le monde fait de la putain de soupe. Je sais, amène ton cher Todd. C’est samedi, après tout.

— Tu es sûre ?

— Ne t’avise pas de me traiter en infirme, toi aussi. Je veux le rencontrer, voir s’il est assez bien.

— Ne…

— Ne quoi ? Ne sois pas impolie avec lui ? Moi ? Ne t’inquiète pas. Les pilules m’en empêcheront.

Je n’allais pas lui dire ça. J’allais dire : « Ne me le pique pas. »

 

Nous arrivâmes à midi. Charlie ouvrit la porte et m’étreignit, puis serra fermement la main de Todd. Il portait un tablier et les manches de sa chemise étaient relevées. Il y avait encore plus de fleurs et des cartes de prompt rétablissement partout, et les lumières de l’arbre de Noël étaient allumées. La maison sentait la peinture fraîche.

Je m’attendais à trouver Holly au lit, mais elle était assise sur le canapé, vêtue d’un vieux jean et d’un pull à col cheminée moucheté dont les manches lui tombaient sur les mains. Elle portait des tresses et son visage était dénué de maquillage. Elle semblait avoir douze ans, et avait l’air très pâle, fragile et gentille. À côté d’elle, j’avais l’impression d’être énorme et maladroite ; je me baissai pour embrasser délicatement sa joue. Mais elle passa ses deux bras autour de moi et me serra fort.

— Je ne vais pas me briser, tu sais, dit-elle. Je suis un vieux singe robuste.

Elle se leva et tendit la main à Todd.

— Je crois que j’ai été un peu grossière la dernière fois, quand nous nous sommes rencontrés, reprit-elle, mais l’on m’a informée que c’était un symptôme de maladie mentale. Pouvons-nous recommencer à zéro ?

— Avec plaisir, répondit Todd en lui serrant la main, gêné. Je suis ravi que tu ailles mieux.

— J’ai l’impression que tout cela a été un rêve. Surtout que dans cette maison, personne n’aborde le sujet. (Elle baissa la voix en un murmure mélodramatique.) De mourir, je veux dire. D’essayer de mourir. Ou d’être maniacodépressive, en fait. Ils disent juste « ta maladie » ou « ce qui t’est arrivé », des trucs comme ça. C’est pourquoi j’avais tellement besoin que Meg passe me voir. Tu sais comment est Meg, si…

Elle cherchait ses mots. Je m’assis d’un air abattu sur la chaise en face d’elle et attendis qu’elle dise quelque chose comme « solide » ou « sûre » ou « réconfortante ».

— Si vraie, reprit Holly, enfin. Il nous reste à peu près vingt précieuses minutes avant que la mère de Charlie ne rentre du supermarché et que la mienne ne revienne de je ne sais quel mauvais plan dans lequel elle s’est fourrée. Dieu que j’aimerais que Noël soit terminé ! Ça aurait été bien plus sûr de me laisser à l’hôpital jusqu’au Nouvel An ! Meg, pourquoi me regardes-tu comme ça ?

— J’essaie de trouver de nouvelles façons de te demander comment tu vas, répondis-je.

— Ne t’inquiète pas. Je ne vais pas réessayer de me suicider. De toute façon, je ne veux pas parler de moi. J’en ai marre de ce sujet. Parle-moi du bureau. Raconte-moi des ragots. N’importe quoi.

J’avais voulu lui parler de Rees et de la fin de ses dettes de jeu, mais ce n’était pas le moment, pas avec Charlie dans la cuisine, Todd mal à l’aise et plein de bonne volonté en face de moi, et Holly qui baragouinait comme une enfant nerveuse. Je me sentis brusquement épuisée.

Nous discutâmes de choses futiles et plaisantes. Puis elle me demanda si je pouvais l’aider à trouver un cadeau de Noël pour Charlie.

— Je ne sais absolument pas quoi lui offrir, précisa-t-elle. Charlie est le genre d’homme qui ne veut rien. (Elle eut l’air brusquement déprimée. Elle se tourna vers Todd.) Que lui offrirais-tu ?

— Eh bien, je n’en ai aucune idée. Pourquoi pas quelque chose ayant un rapport avec son travail ?

— Je ne crois pas qu’il travaille encore. Je ne crois pas qu’il ait travaillé depuis que je suis devenue officiellement folle. Et pas beaucoup avant. Il ne cesse de me répéter que ce n’est pas important pour le moment, qu’il y a d’abord d’autres choses à régler.

— Il a raison, acquiesçai-je.

— Je ne veux pas qu’il m’aide à reprendre pied. C’est mon boulot à présent. Je veux qu’il travaille. Il est bon dans ce qu’il fait. Vraiment bon. Tu l’as vu. La première fois que je l’ai rencontré, j’étais persuadée qu’il pourrait devenir quelqu’un. Mais j’étais convaincue que je pourrais devenir quelqu’un moi aussi. Nous ne pouvons pas nous enfermer chez nous, et ne pas travailler, boire de la putain de soupe, manger le gâteau au gingembre de Naomi, et oublier le monde extérieur, pas vrai ?

— Peut-être que non, en convins-je, pensant que c’était peut-être le moment de lui parler de l’argent.

— Pourquoi pas un peignoir ? suggéra Todd.

Holly s’illumina.

— C’est une bonne idée. C’est ce que je vais lui offrir. Tu es génial, Todd.

— Il est super, chuchota-t-elle quand Todd alla aux toilettes.

— Bien, dis-je. J’en suis ravie, mais il y a des choses dont nous devons parler.

— Allons nous promener tout à l’heure. Il faut que je sorte un peu d’ici.

 

Au déjeuner, Holly se tut et Charlie n’arrêta pas de se lever pour aller faire des choses inutiles devant l’évier, comme entrechoquer bruyamment des assiettes. Nous parlâmes de la possibilité de neige et du temps d’hiver, nous étendant bien trop longtemps sur le sujet. Je racontai qu’il existait des endroits en Arctique où l’on pouvait jeter de l’eau bouillante en l’air et elle gelait avant même de toucher le sol. Et Todd se lança galamment dans une histoire : il était parti skier en Norvège alors qu’il faisait moins vingt-cinq et ses cils avaient gelé et des glaçons s’étaient formés dans ses narines. Je regardai Holly, craignant qu’elle ne lance une pique sarcastique. Elle me rendit mon regard, un sourcil un tout petit peu arqué, mais elle garda le silence.

La sonnette de la porte d’entrée retentit et je vis Holly tressaillir. Je compris que tout ce temps elle avait été malade d’appréhension à l’idée que quelqu’un puisse venir, et je mourais d’envie de tendre le bras et de la réconforter. Elle resta tendue jusqu’à ce que Charlie revienne avec Naomi, qui se laissa tomber à côté d’Anthea Carter, sa mère, et salua tout le monde comme si c’était sa famille. Nous bûmes tous du café. Anthea n’arrêtait pas de tremper des sablés dans le sien et de perdre des morceaux ramollis, de les rattraper avec sa petite cuillère puis de les laper à grand bruit. Elle avait bu deux chopes de bière blanche avec son déjeuner et était résolument éméchée.

Naomi versa du lait dans son café, puis une petite goutte dans celui de Charlie. Juste la quantité qu’il aimait. Une bagatelle, mais cette intimité de couple me secoua. Je les regardai fixement et vis Charlie jeter un coup d’œil en biais à Naomi qui lui rendit brièvement son regard, avant de se détourner de nouveau, sage et les yeux brillants.

Ils ont une aventure, songeai-je. Holly avait raison, en fait. Elle s’était simplement trompée de femme, voilà tout. Pauvre Holly. Pauvre Charlie, pauvres de nous. D’un seul coup, je trouvai presque indécent que nous soyons tous assis ainsi autour de la table, à papoter, sourire, tricher, mentir.

Holly se leva, repoussa sa chaise dans un grincement.

— Je vais me promener avec Meg et Todd, annonça-t-elle.

— Es-tu sûre que…

— Tout à fait sûre.

— Veux-tu que je vienne ? proposa Charlie.

— Tu restes là. Prends un peu de temps pour toi, pour changer.

— Alors couvre-toi bien.

Il lui mit son manteau, le boutonna et serra une écharpe aux couleurs vives autour de son cou. Elle inclina le visage vers lui, mais il évita ses lèvres et l’embrassa sur la joue, comme si elle était une enfant malade.

 

*

 

Avec tact, Todd nous déposa au parc. Il faisait un froid glacial et un vent cinglant, mais Holly s’en moquait, visiblement. Enfin, je lui racontai que j’avais rendu visite à Cowden Brothers et qu’elle n’avait plus de souci à se faire.

— Ils ont tout bonnement annulé la dette ? demanda Holly, perplexe.

— Pour ainsi dire, répondis-je.

— Pourquoi ?

— J’ai expliqué que tu n’étais pas toi-même ce soir-là et…

— Meg, c’est moi Holly, tu te souviens ? Je ne suis pas complètement idiote et, de toute façon, je sais que tu ne dis pas la vérité. Tu as cette petite ride bizarre entre les sourcils.

— Tu n’as pas à t’inquiéter, repris-je. Tu es en sécurité, maintenant. Tu peux te concentrer sur ton rétablissement.

— Tu l’as payée.

— Ce n’est pas important.

— Tu as payé la dette, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?

— Plus ou moins, marmonnai-je.

— Combien ?

— Juste ce que tu devais.

— Combien, bordel, Meg ? Dis-moi !

Elle me serra le bras très fort de sorte que je dus m’arrêter de marcher.

— Douze mille, mentis-je.

Elle ferma les yeux. Je voyais qu’elle comptait dans sa tête.

— Non, dit-elle. Donne-moi le vrai chiffre.

— Seize.

— Oh, mon Dieu, Meg !

— Le compteur tournait. Ça aurait été plus aujourd’hui si…

— Tu as tout payé ?

— J’ai seulement fait ce que tu aurais fait à ma place.

— Je ne sais pas quoi dire.

— Je ne veux pas que tu me remercies.

— Je ne vais pas te remercier. Je vais te crier dessus, espèce d’imbécile ! Qu’est-ce qui t’a donc pris ?

Elle leva le poing comme si elle allait me frapper au visage, mais éclata en sanglots.

J’hésitai puis posai ma main sur ses épaules alors que des gens passaient devant nous.

— Tu l’aurais fait pour moi, répétai-je.

— Où as-tu trouvé l’argent ? sanglota-t-elle.

— Ici et là.

— Tu as dépensé toutes tes économies, pas vrai ? L’argent pour ta maison.

— C’était à cela qu’il servait, vraiment. C’était une poire que je gardais pour la soif.

Holly laissa échapper un rire semblable à un hoquet.

— C’était moi la poire, en tout cas. Meg, je… je…

— Ce n’est rien.

Nous arrivâmes à l’entrée de Golders Hill Park et passâmes devant les émeus en direction des chèvres.

— Personne ne peut être vraiment malheureux en regardant une chèvre, observai-je. (Puis, sans changer de ton :) Comment va ton cerveau ?

— C’est direct comme question, répondit Holly en mettant ses mains gantées dans la poche de son manteau.

Un tout petit gamin laissa échapper un bêlement ridiculement haut perché.

— J’ai été secouée quand j’ai appris pour l’électrochoc, dis-je, mais tu as l’air d’aller bien.

— Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander, répliqua Holly. J’ai dormi tout du long. Ils m’ont poussée et quand je me suis réveillée, j’étais dans les vapes.

— Ils ont dit que c’était une urgence. Que tu étais extrêmement déprimée.

— Ouais, j’ai entendu ça moi aussi, répondit Holly.

— On dirait que tu parles de quelqu’un d’autre, répliquai-je. Tu ne le sais pas ?

— Ils ont dit que cela risquait d’affecter un peu ma mémoire, mais ce n’est pas le cas, pour ce que j’en sais. (Elle m’adressa un sourire contrit.) Peut-être que j’ai oublié.

— Ce qui est drôle, c’est que lorsque je t’ai parlé, juste avant les électrochocs, tu avais déjà l’air d’aller mieux. Tu m’as raconté qu’au moment où tu avais fait ça… (Je m’armai de courage pour prononcer les mots.) Quand tu as essayé de te suicider, tu as dit que tu avais compris que tu ne voulais pas mourir.

— C’est exact.

— J’imagine que j’espérais que tout cela, c’était du passé.

Holly haussa les épaules.

— Je ne suis pas le témoin le plus fiable. Je suis juste celle qui a eu des électrodes collées à la tête.

— J’étais simplement surprise.

— Le docteur Thorne a confié à Charlie que les principaux indicateurs de suicide étaient, premièrement, quand tu avais déjà essayé. Ce qui paraît carrément évident. Puis, le fait d’être préoccupé par la mort. Ce n’est pas tant le fait d’être déprimé. Tu peux être extrêmement, désespérément déprimé et pas le moins du monde suicidaire. Par ailleurs, tu peux ne pas être déprimée du tout et suicidaire. Tu peux devenir obsédée par le suicide, comme si c’était une espèce de hobby. On dirait que j’ai été un mélange des deux ces derniers mois et, apparemment, c’était quelque chose dont j’ai recommencé à parler.

— Et maintenant ?

— Maintenant, c’est le cadet de mes soucis. (Holly s’emmitoufla plus dans son manteau.) Ces chèvres sont super. Je suis totalement d’accord avec toi à propos de leurs vertus thérapeutiques. Mais tu ne crois pas que, parfois, être quelque part à l’intérieur bien au chaud avec une tasse de café, c’est encore plus efficace ?

 

Nous nous assîmes et bûmes un café, Holly mangea un muffin, et nous parlâmes des détails de son retour au travail. Lorsque j’étais arrivée chez elle, j’aurais voulu pouvoir dire de Holly qu’elle « vécut heureuse pour le restant de ses jours ». Je compris alors que je devrais plutôt dire qu’elle « vécut soumise pour le restant de ses jours ». Le jeu, l’aventure démente, le rêve, les histoires d’amour, le fantasme, tout cela était terminé. Holly devrait désormais voir ce qu’était la vie quand vous étiez sobre. Elle avait une carrière à mener, devait faire marcher son mariage. Tout était question de dispositions, de rendez-vous, de ponctualité.

À l’évidence, Holly rechignait à discuter de cela trop en détail, comme si j’étais un parent qui la harcelait pour qu’elle fasse ses devoirs et ses répétitions de musique. Elle déclara que le docteur Thorne lui avait dit qu’il était hors de question qu’elle retourne travailler pendant au moins quelques mois. Il lui avait annoncé que son travail, à présent, c’était de guérir. Holly affirmait qu’elle irait mieux, qu’elle réglerait les soucis de sa vie privée, réorganiserait son chez-elle. Par-dessus tout, elle arrangerait les choses avec Charlie. « Et toi, naturellement », ajouta-t-elle.

Ce qui me fit rire.

— Tu n’as pas besoin d’arranger quoi que ce soit avec moi, dis-je.

— Si. Tu sais ce petit mot que je t’ai écrit ? D’après mes souvenirs, dans mon délire et avec mon cerveau électriquement carbonisé, c’est à toi que j’ai ressenti le besoin d’expliquer des choses. Peut-être que je l’éprouve encore. Je ne serai jamais complètement raisonnable, tu sais.

— Nous ne pouvons pas retomber là-dedans, dis-je. Tu ne peux pas revivre comme tu l’as fait ces cinq derniers mois. Tu n’y survivrais pas. Nous n’y survivrions pas. Je n’y survivrais pas.

— Nous verrons. Ma tâche principale, c’est de guérir. Non, c’est faux. Ma tâche principale, c’est de chasser la mère de Charlie de la maison. Guérir peut attendre.

Je ris.

— Est-elle aussi horrible ?

— Tu ne détestes pas l’odeur de ses cigarettes mentholées ? C’est comme mélanger des choses qui ne devraient pas l’être. C’est comme si quelqu’un avait éteint un feu de joie en y versant du thé à la menthe.

— Mais sérieusement, dis-je. Je pense que tu ne devrais pas retourner travailler avant…

— Partageons ce cake aux fruits.

 

— Elle n’est pas du tout comme je le pensais. Je comprends maintenant pourquoi tu l’aimes, déclara Todd.

— Je savais que tu l’aimerais une fois que tu aurais appris à la connaître.

— Elle est vraiment attachante dans son genre.

— Oui, je sais. C’est ce que tout le monde pense. Avec elle, les gens se sentent exceptionnels.

Un court silence s’ensuivit, puis Todd s’approcha de moi et me prit dans ses bras.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Rien.

— Si, je le vois.

— Ce n’est rien, vraiment. (Mais je n’arrivais pas à laisser tomber.) Alors tu ne la trouves pas vraiment belle ?

— Belle, je ne sais pas. Adorable, sûrement.

— Presque tout le monde la trouve belle.

— Meg ?

— Quoi ?

— Tu n’as aucun souci à te faire, tu sais.

— Je ne me fais pas de souci. Je ne sais pas de quoi tu parles.

— C’est de toi que je suis amoureux, c’est toi que je trouve belle.

— Je ne suis pas belle.

— Pour moi, si.

— « Pour moi ». On dirait de la pitié.

— Du désir, plutôt.

— Vraiment ?

— Vraiment. Comment Holly a dit que tu étais, déjà ? Vraie.

Nous nous étreignîmes, et je collai mon front au sien. Notre histoire était désormais empreinte d’une nouvelle solennité, comme si nous savions tous les deux que nous entrions dans quelque chose de grandiose ; qu’il n’y avait plus de possibilité de faire machine arrière. Après un moment, je dis :

— Charlie a une aventure.

— Charlie ? Avec qui ?

— Naomi.

— Comment le sais-tu ?

— Je le sais, c’est tout. Ils se sont regardés.

— Il en a vu de rudes, tu sais, me dit Todd après une pause. Ça devrait probablement s’arrêter avec le temps.

— Oui, je l’espère. Alors d’après toi, je ne devrais rien faire ?

— Que pourrais-tu faire ? Le lui dire ? Mon Dieu non. Espérons simplement qu’elle ne l’apprendra jamais.