— Holly, Holly, je t’ai apporté du café. Il est sept heures vingt.
L’espace d’un instant, je restai allongée, un bras sur les yeux pour les protéger de la lumière éblouissante du matin. Mes membres étaient lourds, ma bouche desséchée, ma tête m’élançait et j’avais mal à la gorge. Je ne pouvais pas affronter cette journée ; je ne pouvais pas affronter Charlie.
— Holly, répéta-t-il.
Je bougeai le bras, réussis à ouvrir les yeux et regardai son beau visage, ses yeux noisette, où je ne perçus ni dégoût ni surprise.
— Bonjour, Charlie. Tu es matinal.
Il était chaleureux et stable, dans un genre simple, minable et pas rasé. Il travaillait à la maison et n’était donc pas obligé de revêtir un costume et un personnage public comme je le faisais chaque jour, de se planter devant le miroir pour endosser un visage brillant, du rouge à lèvres et des yeux menteurs. Souris, Holly, souris. Il portait simplement son vieux pantalon de velours côtelé gris et une chemise moutarde à manches longues au col râpé.
Je me relevai non sans mal sur un bras et avalai une gorgée de café. Fort, chaud, noir.
— Rentrée tard ? demanda-t-il.
— Ça n’en finissait pas.
— Je ne t’ai pas entendue.
— Tu dormais à poings fermés. Mon Dieu, quelle heure est-il ? Je n’ai pas dû entendre le réveil. Je descends dans une minute.
Je fermai de nouveau les yeux et l’entendis partir. J’avais dormi à peine une heure d’un sommeil haché, et voilà qu’il me restait trois minutes avant d’être contrainte de redevenir une personne parmi toutes ces autres qui faisaient semblant d’exister. Je tirai la couette sur ma tête et me forçai à réfléchir aux événements de la soirée de la veille. Je n’avais pas réellement l’impression de penser. J’avais la sensation que quelqu’un, compétent dans ce genre de domaine, me donnait des coups de poing, portait les coups sur les parties molles de mon corps où ils ne laisseraient aucune trace. J’avais du mal à respirer. Je haletais et toussais, comme si une grosse vague m’avait rejetée sur le rivage. Je songeai à cette femme hier soir – moi – qui riait, flirtait et était irresponsable, soumise à toute tentation. Non, pas « soumise à », « à la recherche de » toute tentation. Le boute-en-train de service. Là, elle avait tout bonnement l’air d’un raseur de bas étage à la mine de déterré. Je pensais à moi dans cette pièce, cet autre lit, avec cet homme – quel qu’il fût.
Voilà le problème de l’amour et du sexe : les gens écrivent des chansons, des poèmes et font des films, et nous nous pâmons d’admiration et fantasmons dessus et nous aspirons tous à l’amour ou à un amour meilleur. Mais, au final, lorsque cela se produit, lorsque vous avez quitté la boîte de nuit, lorsque vous vous êtes déshabillée, vous ne trouvez qu’un dos boutonneux, des draps tachés et un appartement sordide, quelque part dans un coin dangereux de Londres où vous ne vous étiez jamais rendue auparavant, et un préservatif visqueux et tout fripé sur le tapis qui vous donne envie de vomir. Je songeai à descendre dans la cuisine, à m’asseoir en face de Charlie et à lui avouer ce que j’avais fait la nuit dernière pendant qu’il dormait paisiblement dans notre lit. L’absurdité absolue, sordide, horrible et ignoble de la situation. J’imaginai comme l’expression changerait sur son visage lorsque je le lui dirais, et je m’enfonçai encore plus sous la couette, grommelant à voix haute dans l’obscurité sourde, dégoûtée par ce que j’avais fait. Si je pouvais revenir en arrière, quitter le bar en même temps que Meg, quitter le bruit, les lumières et les rires, rentrer chez moi retrouver mon mari, me coucher, innocemment recroquevillée à son côté dans des draps propres, me réveiller ce matin la conscience tranquille… Si seulement, si seulement…
Une partie de moi savait parfaitement que je venais de changer ma vie. Une petite voix dans ma tête me disait : « Tu as commis l’adultère. » Je me souvins des cours d’éducation religieuse à l’école, de fragments de la Bible selon lesquels on pouvait commettre l’adultère dans son cœur rien qu’en regardant quelqu’un avec désir. Mais je n’avais pas commis l’adultère dans mon cœur, ni même dans ma tête. Je l’avais commis avec mon corps, le corps que j’avais frictionné si férocement sous la douche, comme si je pouvais faire disparaître la faute en frottant bien. Je ne pouvais pas en parler à Charlie. Ce serait cruel et, comme une grosse tache, cela polluerait tout dans notre vie.
Je sais bien mentir. J’ai toujours su le faire. Depuis cette journée d’automne voilà onze mois, si radieuse, venteuse et pleine de promesses, où je l’ai entraîné dans le bureau d’état civil, suivis par les deux témoins médusés et timides que nous avions trouvés dans la rue, j’ai menti à de nombreuses reprises, menti, feint et simulé, mais jamais comme hier soir. C’était une première.
J’entendis Charlie en bas, le tintement de la porcelaine, le bruit du courrier qui tombait par la boîte aux lettres sur les planches nues de l’entrée et j’enlevai la couette de mon visage et regardai la pièce en plissant les yeux. J’avais mal aux jambes, aux yeux et il y avait des ganglions enflés dans mon cou. Peut-être ai-je attrapé la grippe, songeai-je pleine d’espoir. Ainsi aurais-je une raison de me cacher du monde un peu plus longtemps. Mais je savais que je n’avais pas la grippe, juste la gueule de bois et une conscience coupable.
« Debout, Holly », m’ordonnai-je et, comme un automate obéissant aux ordres de son maître, je m’assis sur le lit, la migraine produisant un bruit métallique dans mon crâne, et posai mes pieds par terre. J’attendis que la pièce se stabilise, puis me rendis dans la salle de bains en traînant les pieds, où je lavai mon visage à l’eau froide. Je contemplai mon reflet dans le miroir : les cheveux plutôt blond foncé qui, comme Charlie aimait à le dire, ressemblaient à une crinière de lion, les yeux gris qui me regardaient d’un air candide sous d’épais sourcils, la grande bouche qui me souriait si jovialement. Comment était-ce possible que mon esprit soit recouvert d’une couche de crasse noire de suie alors que mon visage était si frais, si heureux ?
— Tu ne me duperas pas, sifflai-je à mon reflet, en étirant mes lèvres en un sourire hideux. Je te connais, Holly Krauss. Tu ne me duperas pas.
*
— Vas-tu travailler à l’heure habituelle ? me demanda Charlie en sortant une lettre de son enveloppe et en y jetant un coup d’œil avant de la froisser en boule.
— Il le faut. Je vois Meg à neuf heures. Et il y a quelqu’un dont je dois m’occuper avant.
Charlie regarda autour de lui.
— Ça ne présage rien de bon.
— Je sais, acquiesçai-je. Et ensuite nous allons être débordées, à préparer le week-end prochain. Ça va être un cauchemar. De qui était cette lettre ?
— Le week-end prochain ? Je n’étais pas au courant. Que se passe-t-il ?
— Je te l’ai dit. Douze cadres qui traverseront un étang en radeau. Pour les aider à créer des liens. Que fais-tu aujourd’hui ?
— Des trucs, tu sais. Tu veux prendre ton petit déjeuner ?
— Peut-être, répondis-je d’un ton dubitatif.
Je m’étais réveillée en estimant qu’un café me suffirait pour le reste de ma vie mais, d’un seul coup, je ressentis ce genre de faim de loup qui vous fait croire que vous allez vous évanouir. Avais-je mangé quelque chose hier soir ? Je me repassai la soirée, comme une vidéo sur avance rapide. Il y avait beaucoup de bavardages, de beuveries et de cigarettes. De temps à autre, j’apercevais de la nourriture sur ma vidéo interne, mais bien que je l’eusse triturée dans mon assiette, je n’avais pas beaucoup mangé. Je regardai plus loin dans la journée. J’avais oublié le déjeuner, et très probablement le petit déjeuner, bien que je me fusse levée à cinq heures et demie. Étais-je devenue une nouvelle espèce d’être humain qui n’avait pas besoin de dormir ni de manger ?
Je fourrageai dans le frigo et me retrouvai en train de grignoter une tranche de pâté en croûte, puis de boire du yaourt liquide. Tout avait le goût de craie, et le mélange des différents aliments l’empirait encore, différentes sortes de craies recouvraient ma langue et la voûte de mon palais. Quelle chose étrange, songeai-je, de prendre des éléments du monde extérieur, de les broyer dans votre bouche et de les fourrer dans votre corps de sorte qu’ils faisaient désormais partie de vous. Cela suffirait à dégoûter n’importe qui de la nourriture, sauf que j’avais un besoin maladif insatiable dans mon estomac. Ce n’était pas tant l’appétit que le genre de signal qu’un robot pourrait envoyer quand il avait besoin de se recharger.
Charlie me scrutait minutieusement.
— Tiens, reprends du café. Je peux te préparer quelque chose si tu veux.
— Ça va.
— Œufs au bacon, omelette, saucisses, sauf que nous n’avons plus de saucisses. Ni de bacon, en fait. Et je ne sais pas s’il nous reste des œufs. Nous avons du pain, en revanche.
— Non, non, dis-je en riant – en essayant de rire, des aiguilles de douleur dans la tête. (Je me trouvais à la fois dans le public et sur scène ; je me regardais incarner une femme normale.) Quels sont tes projets pour hier soir ?
Charlie eut l’air perplexe.
— As-tu dit hier soir ? me demanda-t-il.
— J’ai dit ça ?
— Hier soir j’étais là. Ce soir, je ne sais pas. Et toi ?
— Nous pourrions faire quelque chose. Ou rien. Ce serait bien. (J’allai me mettre à côté de lui, passai les mains dans ses épais cheveux et me penchai pour sentir son odeur propre du matin avant de déposer un baiser sur sa joue chaude.) Charlie ?
— Mmmm ?
— Rien.
Je voulus prendre mon mug de café, mais l’attrapai mal et il s’écrasa par terre, le café se renversant en flaque à mes pieds.
— C’est bon, dit Charlie. Je vais nettoyer.
Il s’accroupit, ramassa les morceaux et épongea la flaque avec de l’essuie-tout.
— C’était celui que nous avions acheté ensemble dans cette poterie près de Brighton.
J’étais au bord des larmes.
— Je vais le réparer.
— Non, tu ne pourras pas. Je suis désolée.
— C’est juste la poignée, Holly. Regarde. Je vais la recoller et tu ne devineras même pas qu’elle a été cassée. Laisse-moi faire.
Je le regardai fixement et me dis : « Maintenant. Dis-lui maintenant. Ne t’enfuis pas au boulot. Prends-lui plutôt la main et regarde-le dans les yeux. Parle-lui honnêtement, pour une fois dans ta vie stupide. » Mais on frappa à la porte.
— J’y vais, dis-je.
C’était Naomi, la voisine. Elle avait emménagé ici au début de l’année et était notre seule amie dans la rue. Elle avait l’air aussi débraillée que moi. Ses cheveux foncés rebiquaient en boucles folles et elle portait des pantoufles.
— Je cherche quelqu’un à taxer, déclara-t-elle en entrant dans le hall. Je n’ai plus de café.
— Nous en avons plein et il en reste dans la cafetière. Prends une tasse.
Elle laissa aller nerveusement son regard de Charlie à moi.
— Si tu es sûre…
— Je suis sur le départ, mais Charlie est là.
Je les laissai tous deux dans la cuisine et sortis avec gratitude dans la rue, où personne ne connaissait ni mon nom ni mon visage.
J’aime bien avoir des projets impossibles parce que, alors, les gens vous sont reconnaissants lorsque vous réussissez un minimum. C’est comme cela que Meg et moi nous sommes rencontrées voilà près de cinq ans déjà, bien que parfois nous ayons l’impression de nous connaître depuis toujours, et c’est presque un choc de réaliser qu’elle n’était pas présente dans mon enfance ni durant mon adolescence. Nous occupions toutes les deux notre premier boulot et jouions les bonnes à tout faire dans une entreprise en pleine pagaille. Un jour, une femme arriva pour vérifier les dispositions prises pour le lendemain, et Derek, notre chef, avait complètement oublié. Comme si cela ne suffisait pas, il s’enferma dans son bureau. Au bout d’une heure, j’entrai sans frapper et il pleurait. Même aujourd’hui, je me souviens encore de son visage malheureux et tout fripé, et de ses yeux rouges. Comme il avait l’air désespéré, je lui assurai que tout irait bien. Nous ferions tout pour. Il prit ma main dans les siennes et me confia que sa femme était partie avec son décorateur.
Nous n’avions rien à perdre. Nous n’avions que vingt-deux ans et tout semblait possible. Nous appelâmes la femme, obtînmes des informations à propos de la société puis trouvâmes un hôtel et concoctâmes ensemble des exercices après avoir parlé aux gens dans le bureau. Nous veillâmes toute la nuit à préparer des cartes et de petits discours. Le lendemain, eh bien ce ne fut pas la plus grande journée de formation professionnelle de tous les temps, mais Meg et moi avions travaillé comme des folles pour faire traverser aux gens un tapis avec seulement une planche, un seau, une corde et d’autres choses stupides, et nous avons flirté et brillé jusqu’à ce que nos visages nous fassent mal – le mien, en tout cas. Meg est le faire-valoir de notre duo. Elle ne flirte pas – lorsqu’elle aime un homme, elle devient toute gauche et brusque, rit quand il ne le faut pas, rougit jusqu’à la racine des cheveux. Et elle ne frime jamais. Moi si, et quand c’est le cas, elle me regarde avec une expression qui est un mélange d’indulgence et de légère angoisse. Elle a une petite ride entre les sourcils, obtenue à force de les froncer. On dirait alors qu’elle est sur le point de fondre en larmes.
Nous avons fait cela toute la journée et avons continué au bar toute la soirée. Juste après minuit, la femme de la société est venue, nous a serrées dans ses bras et nous a dit merci, merci, merci, que nous avions sauvé son boulot, puis Derek, le lendemain, était tellement ému qu’il s’est remis à pleurer. Je lui répétai des choses rassurantes, et le regardai. Je me souviens que je frissonnais. Nous étions tous deux sur la corde raide, faisant comme si. Il suffisait d’un regard vers le bas, pour nous apercevoir qu’il n’y avait pas de filet de protection, et l’on glissait et tombait.
Et pourtant, en même temps, c’était le plus grand record que j’avais réalisé dans ma vie, sans exception. J’ai entendu des gens raconter qu’ils faisaient souvent le même cauchemar : ils se trouvaient sur scène, une pièce se jouait, et ils ne connaissaient pas leur texte. Ce jour-là m’a montré que ce n’était absolument pas mon ultime cauchemar. Bien au contraire : c’était quelque chose que je recherchais. Mon cauchemar commence quand la pièce est terminée.
Il ne fallut pas longtemps avant que Meg et moi ne décidions de faire cavalier seul. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un que j’aimais autant qu’elle. Je crois qu’elle était presque la première personne dans toute ma vie adulte avec laquelle je ne me sentais pas obligée de jouer un rôle, que je n’essayais pas de charmer ou d’impressionner. J’ai toujours su qu’elle avait bon cœur, et bizarrement, j’avais l’impression d’être quelqu’un de meilleur – ou de moins mauvais – en sa présence. Peut-être, à vingt ans, avais-je enfin trouvé ma première véritable amie.
Nous aurions pu donner à notre entreprise un nom new âge, du style Bruissement, Ensorcellement ou Aspiration, mais nous nous en tînmes à KS Associates, l’association originale de Krauss, mon nom de famille, et de Summers, celui de Meg. Pour concevoir notre logo, nous payâmes cinq mille livres un ex-petit ami de Meg qui avait fait les Beaux-Arts. Imaginez le K et imaginez qu’un V transversal constitue la moitié supérieure du S, qui continue en dessous puis remonte en courbe pour effleurer la partie droite du K. Difficile à concevoir tant que vous ne l’avez pas vu. Nous le trouvions plutôt classe, mais lorsque nous avons organisé la soirée au bureau pour fêter le lancement de la société, quelqu’un a fait remarquer, tard le soir, alors que nous étions tous passablement éméchés, qu’il ressemblait au fauteuil roulant que l’on trouve sur la porte des toilettes pour handicapés. Mais il était trop tard pour changer et, de toute façon, Meg et moi décidâmes que c’était probablement un effet que seuls les plus saouls remarqueraient.
J’aime l’impossible, mais il y a des limites même à l’impossibilité. La semaine dernière, une fille de notre équipe est partie en congé maternité et une autre a démissionné, et deux journées de formation nous attendaient, quelque chose d’énorme, de très lourd. Alors que je me tenais sur le quai du métro, pour la deuxième fois de la matinée, avec ma migraine, mon mal de gorge et une sensation de désastre qui planait autour de moi comme un miasme toxique, je commençais à réaffecter les fonctions des deux absentes dans ma tête, à élaborer un pré-planning, et à penser à ce qui nous attendait pour les trois jours à venir. Le train surgit alors du tunnel et je songeai brusquement : « Ce serait bien, non, si je me laissais tomber devant lui comme un arbre ? » Je n’aurais plus jamais à trouver de solutions. Après tout, dans cent ans, je serai morte de toute façon. Tout le monde sur ce quai bondé sera mort. La plupart après des années de solitude et de maladie. J’arriverai juste en avance. Et il n’y a pas de tableurs dans la tombe. Et pas de grisaille. Juste le noir, ou rien. Ou peut-être, en guise de bonus-surprise, ce serait le paradis et j’y retrouverais mes vieilles perruches, mes hamsters, mon lapin et mon chat de quand j’étais petite fille. Et je reverrais mon père.
Mais je vis alors le visage du conducteur – ordinaire, les joues flasques et non rasées – terriblement près, et je nous vis, la foule sur le quai, de son point de vue, tous prêts à tomber sur les rails. Faisait-il des cauchemars en imaginant qu’un jour quelqu’un sauterait ?
Notre bureau ne ressemblait en rien à ce que mon père aurait qualifié de bureau normal. Non pas qu’il ait jamais travaillé dans un bureau normal. Du moins, ce n’est pas ce que les pères normaux auraient appelé un bureau normal. Nous l’avons trouvé à la lisière de Soho et avons repris le bail de la société point com qui avait fait faillite. Il n’avait pas de murs, pas de cloisons, pas de portes. Juste une série de tables parallèles comme un réfectoire de moines moderniste. Il y a une prétendue salle de conférences exiguë et sombre, mais, en général, quand nous avons une réunion avec des clients, nous l’organisons autour d’une autre longue table sur une estrade au bout de laquelle s’assoirait le père supérieur. Des lumières style industriel sont accrochées au plafond, et les employés ont des casiers, mais pas de bureau et d’ordinateur attitrés – à part moi, car apparemment, où que je m’installe, je fiche un tel bazar que personne ne veut occuper ma place. Nous avons hérité du design de la société point com, et n’avons jamais trouvé le temps de le changer. Meg et moi nous sommes promis qu’un jour nous le transformerions en vrai bureau avec des murs, pour ne pas avoir à nous regarder toute la journée, mais je doute que nous nous donnions ce mal.
Je passai la porte à huit heures cinq, ce qui, vu les circonstances, méritait à mon avis une entrée dans le Livre Guinness des Records. Le bureau était vide et silencieux. Bien. Je disposais à peu près d’une demi-heure. Je me préparai une tasse de café et me mis à travailler. J’entendis un bruit et me retournai d’un coup. C’était sûrement quelque chose dehors dans la rue. La situation me faisait sourire nerveusement, c’était plus fort que moi. Je me sentais comme un cambrioleur dans mon propre bureau. Il ne me fallut qu’un moment pour localiser les dossiers de Deborah. Ce n’était pas difficile car je savais ce que je cherchais. Comme tout voleur rusé, j’avais surveillé la maison bien longtemps à l’avance et je savais où se trouvait le butin. Je ressentis une brève satisfaction lorsque les faits me donnèrent raison, mais elle fut rapidement remplacée par l’aigreur que suscitèrent les faits en question. Je photocopiai certains documents, puis replaçai les dossiers dans le casier juste au moment où j’entendis des pas dans l’escalier.