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Le cafouillage avec mon radiocassette recommença de plus belle, et ne fit qu’empirer sous le regard sceptique, dédaigneux, ouvertement désapprobateur, de l’inspecteur Guy Furth et l’œil bleu consterné et affreusement gêné du commissaire Oban. Tous deux avaient l’esprit à autre chose, tourné vers de nouvelles affaires, et devaient supporter une espèce d’obsédée qui se refusait obstinément à lâcher prise. Pis encore, l’obsédée en question était accroupie sous une table dans le bureau d’Oban et semblait incapable d’enfoncer une simple prise mâle dans une tout aussi simple prise femelle. Je jurai entre mes dents, puis à haute et intelligible voix. Merde à la fin, une prise n’était qu’une prise, non ?
Je finis par réussir la délicate opération et posai l’appareil sur le bureau d’Oban.
« Écoutez très attentivement, dis-je. La qualité de l’enregistrement n’est pas terrible. Je l’ai fait sur une vieille cassette que j’ai trouvée au fond d’un tiroir, et je crois qu’elle a connu des jours meilleurs. »
Au moment où je pressai le bouton PLAY, les deux policiers échangèrent un regard désarmé. Les premières secondes se révélèrent assez embarrassantes, car j’avais complètement rembobiné la cassette et on m’entendit dire « un, deux, trois, un, deux, trois », puis le début de l’alphabet. Je regardai Oban. Il se mordait la lèvre comme pour s’empêcher de rire. La suite n’alla pas beaucoup mieux.
C’était un bavardage apparemment sans fin entre Emily et moi, au sujet de ses jeux à sa garderie et de ma cicatrice. Oban s’agitait impatiemment sur sa chaise.
« Est-ce qu’il grêlait pendant l’entretien ? demanda Furth, avec un rictus sardonique.
— Il y a une espèce de crachotement sur la bande, je sais, admis-je. Excusez-moi si le début est ennuyeux, mais je tenais à ce que vous entendiez les réponses d’Emily dans leur contexte. »
Il marmonna quelque chose dans sa barbe.
« Vous dites ?
— Rien », répondit-il suavement.
J’arrêtai la cassette et la rembobinai de nouveau.
« La barbe à la fin ! s’écria-t-il, beaucoup moins suavement. Nous n’allons pas réécouter tout ça ?
— Je veux être sûre que pas un mot ne vous échappe. »
Il grogna quelque chose qu’il valait certainement mieux ne pas comprendre. Quand la conversation aborda les souvenirs de la scène sur le terrain de jeux, les deux hommes se concentrèrent davantage et froncèrent les sourcils. Mais brusquement, Emily cria que je l’embêtais, il y eut un déclic, un bruit de friture, et tout d’un coup la voix de Gloria Gaynor claironnant « I Will Survive ». La musique pour une fête d’étudiants datant du milieu des années quatre-vingt. Les deux hommes sourirent jusqu’aux oreilles.
« J’aime mieux ça, dit Furth. Sans compter que le son est meilleur.
— Alors ? Qu’en pensez-vous ? demandai-je impatiemment.
— Repassez-la », dit Oban. Il ajouta en toute hâte : « Seulement la fin. »
Après quelques tâtonnements et autres erreurs de rembobinage, je fis entendre à nouveau les réponses d’Emily au sujet de la dame. Avant qu’elle eût le temps de clamer que je l’embêtais, il se pencha et arrêta lui-même la cassette. Puis il se carra sur sa chaise avec une expression de malaise.
« Eh bien ? » demandai-je.
Il regarda un moment par la fenêtre comme s’il venait de remarquer quelque chose de fascinant qui requérait toute son attention. Puis il tourna les yeux vers moi et parut surpris de me trouver encore là.
« Excusez-moi, dit-il. J’étais en train de penser qu’il y a quelques semaines, c’est nous qui vous faisions écouter une bande. C’est curieux comme les situations se retournent.
— Pas si curieux que vous le croyez, répliquai-je.
— Qu’attendez-vous que je vous dise ? »
Depuis déjà plusieurs minutes, j’avais le sentiment nauséeux que les choses ne prenaient pas du tout le cours que j’aurais voulu.
« Je ne m’attendais pas à ce que vous disiez quoi que ce soit, répondis-je. Je pensais plutôt que vous sauteriez en l’air en criant d’enthousiasme.
— Pourquoi voulez-vous que je sois enthousiasmé ? »
Je les regardai tous les deux. L’expression de Furth était étrangement bienveillante, ce qui ne fit qu’accroître mon malaise.
« Vous n’entendez pas la même chose que moi ? Nous aurions dû y penser il y a une éternité. On ne peut pas enlever une mère qui surveille sa petite fille dans un parc où une foule de gens vont et viennent. Il fallait qu’une femme s’occupe d’elle, une femme qui est restée un petit moment avec Emily pendant qu’une autre personne attirait Philippa dans les fourrés où elle a été assassinée.
— Je n’entends rien de tout ça, dit Oban.
— Qu’entendez-vous, alors ? »
Il renifla dédaigneusement.
« J’entends des questions tendancieuses posées à une enfant de trois ans dont les réponses sont très vagues. La “gentille dame”, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça peut être n’importe quelle femme qui lui a offert une sucette dans les six derniers mois.
— Donc, vous ne croyez pas Emily.
— Pour commencer, vous savez aussi bien que moi que cette cassette serait totalement irrecevable en tant que preuve. Qui plus est, je pense que cette conversation est une pure foutaise. Désolé, Kit, mais je crois que vous vous êtes monté le bourrichon une fois de plus. Et que vous me faites perdre mon temps.
— En somme, vous n’êtes pas disposé à envisager la possibilité qu’une femme ait participé à l’enlèvement de Philippa ?
— Vous pensez à une femme en particulier ?
— Oui.
— Laquelle ?
— Bryony Teale.
— Pardon ?
— Je vous autorise à me flanquer dehors dans cinq minutes, et à coups de pied au derrière si vous voulez. Mais écoutez-moi d’abord. »
« Et ensuite ? Il t’a écoutée ? » demanda Julie en portant son verre à ses lèvres.
Nous avions échoué dans un nouveau bar de Soho appelé le Bar Nothing. Apparemment, les angles droits et les arêtes agressives étaient passés de mode. Le décor n’était que sofas aux tons pastel et vastes coussins moelleux posés à même le sol. Nous étions assises au bar, qui n’était pas aussi mou et moelleux que le reste, parce qu’il fallait bien que les verres tinssent debout. Mais il était quand même voluptueusement incurvé.
J’avais retrouvé Julie au début de la soirée ; j’avais crié, tempêté, trépigné, je m’étais métaphoriquement cogné la tête contre les murs, au point qu’elle avait déclaré avec autorité que la seule solution pour endiguer ce flot de rage était que nous nous habillions et allions passer la soirée dans un endroit qui me détendrait. Une fois de plus, elle m’avait emprunté une de mes robes – noire avec des manches en mousseline – et une fois de plus, elle était à tomber par terre. Je portais ma robe rose ultramoulante, qui faisait partie d’un vieux fantasme où j’étais le sujet d’un de ces blues des années cinquante où le chanteur se lamente d’avoir été envoûté par une créature diabolique. J’avais le vague espoir qu’un représentant de la loi viendrait nous mettre à l’amende pour offense à la morale publique.
Je crois que d’emblée je fis honte à Julie en commandant deux margaritas, un cocktail qui fait probablement un peu nineties, pour ne pas dire eighties, mais j’avais besoin de boire quelque chose de revigorant tout de suite, et sans réfléchir.
« Le rose est ta couleur, tu sais ? dit Julie en commençant à siroter sa margarita. Curieusement, elle est assortie à tes yeux.
— Elle est plutôt assortie à ma cicatrice.
— Ne dis pas ça, protesta-t-elle.
— Je crois que je commence à m’y faire, dis-je. Il n’y a pas si longtemps, je me comparais au fantôme de l’Opéra, tu te rappelles ? Ce qu’en pensent les gens ne me dérange plus. Maintenant, j’ai tendance à me dire qu’ils croient à une opération esthétique ratée. »
Julie ne répondit rien et toucha mon visage, l’orientant de manière à le voir en pleine lumière. Elle le scruta comme si elle examinait un objet décoratif dans mon appartement. Je pensai à la petite Emily faisant courir son doigt le long de ma balafre. Son inspection terminée, Julie me regarda avec un sourire affectueux.
« C’est quelque chose qui raconte une histoire, dit-elle.
— La seule histoire que raconte cette cicatrice, c’est que l’agresseur n’a eu que quelques secondes. »
Julie tressaillit, et je m’excusai. Nous commandâmes deux autres verres et je dirigeai la conversation sur elle et ses intérêts du moment. Elle me parla d’hommes épouvantables, de deux ou trois hommes sympathiques, de ses projets, et me demanda tout à trac si je ne voulais pas l’accompagner dans ses pérégrinations. Je me fis une peur bleue en me surprenant à penser : pourquoi pas ? Pourquoi ne pas tout plaquer et partir à l’aventure ? Vers la fin de mon second cocktail, j’en étais à me demander : pourquoi ne pas tout plaquer et partir ce soir même ?
Nous trouvâmes une table libre et commandâmes deux salades et une bouteille de rioja blanc, mais tout à coup cela ne me sembla pas suffisant. J’étais prise d’une terrible envie de viande rouge. Je crois que même la très expérimentée Julie blêmit un peu quand le serveur posa mon assiette devant moi : de très minces tranches de bœuf cru parsemées de lamelles de parmesan, marinées dans l’huile d’olive et le jus de citron.
« Je sais bien que je suis une carnivore, dit-elle. Mais tout de même, je préfère la viande quand elle est un peu brunie autour. »
Je m’efforçai de concentrer notre conversation sur Julie, sa vie, son œuvre, mais ce fut en vain. J’étais comme un volcan fumant et tout prêt à l’éruption, et tandis que nous grignotions nos feuilles de laitue et nos cœurs d’artichaut, l’éruption se produisit et le cratère déborda d’un récit surchauffé des deux derniers jours.
« Oui, Oban m’a écoutée, répondis-je en remplissant nos verres pour la troisième fois. Au sens où il a entendu ce que j’avais à lui dire. C’est l’expression consacrée, n’est-ce pas ? Il m’a entendue, et tout ce qu’il a trouvé à me répondre, c’était la chanson habituelle : l’affaire est close, ne nous faites pas perdre notre temps, n’essayez pas de nous faire croire que la vie est plus compliquée qu’elle n’en a l’air, ne nous obligez pas à faire notre travail correctement. »
Je m’interrompis pour rire. Je m’étais surprise à menacer Julie d’un index féroce et accusateur, et elle s’était reculée pour éviter que je le lui enfonce dans la gorge.
« Je ne suis pas Oban, dit-elle en riant aussi. Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre. Enfin, si, en un sens. Je dois reconnaître que j’ai du mal à te suivre. Es-tu en train de me dire que cette gentille photographe a aidé ce fêlé de Doll à commettre ses meurtres ?
— Non, non. Doll n’avait rien à voir avec les meurtres. Elle aidait son mari, Gabriel. »
Julie but une gorgée de vin. « Je ne sais que penser, dit-elle, songeuse. J’aurais dû te demander de m’expliquer tout ça il y a trois verres, au moins. Ce sont des gens civilisés, non ? Elle est photographe d’art, il dirige un théâtre. Pourquoi auraient-ils eu besoin de tuer ces femmes ?
— Ces femmes, et Doll aussi.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? Il a été tué par un groupe d’autodéfense, non ?
— Non.
— Mais tu m’as raconté qu’ils avaient même laissé un message écrit.
— Oui, je sais. “Brutte sanginère”, avec ces ridicules fautes d’orthographe. C’était grotesque, mais j’étais tellement horrifiée par la scène que j’avais devant les yeux que je n’y ai même pas pensé. Quelqu’un qui ne sait pas écrire “brute” aurait-il l’idée d’employer un mot comme “sanguinaire” ? Tu te souviens de ce que j’ai pensé en voyant les corps de Lianne et de Philippa ? Les blessures semblaient l’œuvre d’une personne feignant d’être un tueur psychopathe, mais sans vraie conviction. Il faudrait que je te montre ce qu’un vrai psychopathe fait subir à un corps de femme.
— Je crois que je m’en passerai, dit Julie. Alors, ce sont des assassins bien élevés ?
— Ils n’ont pas tué par plaisir de tuer. Ils l’ont fait parce qu’ils l’ont jugé inévitable.
— Mais pourquoi ?
— Aucune idée. Mais peu importe. Ce qui est vraiment gratifiant, c’est que, jusqu’ici, rien ne s’imbriquait. Maintenant, c’est différent. Cette malheureuse gamine, Daisy Gill, a côtoyé Gabriel Teale. Je sais par une copine à elle que j’ai rencontrée hier soir qu’elle a travaillé à La Sucrerie. Lianne était inquiète pour Daisy, et elle s’est fait assassiner. J’ai aussi découvert que Philippa Burton s’intéressait de très près à Lianne.
— Pourquoi ?
— Mystère. La liste que j’ai trouvée dans son secrétaire prouve qu’elle avait fait le lien entre Lianne et Bryony. Et ce qui est sûr, c’est qu’elle s’est fait assassiner aussi. Qui plus est, j’ai maintenant démontré que Bryony a participé à l’enlèvement de Philippa.
— Démontré ? répéta Julie d’un ton dubitatif.
— Absolument. Bon, où en étais-je ?
— Mmm… Je n’en suis plus très sûre.
— Michael Doll. La prétendue agression de Bryony au bord du canal est une histoire à dormir debout. Les témoignages étaient d’emblée complètement incohérents. Vois-tu, tout le battage autour de Michael Doll a convaincu des millions de gens qu’il avait tué Lianne. Mais Gabriel et Bryony ont ainsi découvert qu’il était sur les lieux quand ils avaient abandonné le corps, qu’il pouvait les avoir vus. Peut-être avait-il effectivement vu quelque chose, peut-être même était-il allé trouver Gabriel pour le menacer. Comment réagissent-ils ? Par une tentative foireuse pour l’attaquer, l’assommer et le jeter dans le canal, que sais-je, donner l’impression qu’un groupe d’autodéfense lui a fait son affaire. Mais voilà qu’au mauvais moment, Terence Mack apparaît, il distingue une lutte dans l’obscurité, il se jette dans la mêlée, se retrouve avec Bryony dans les bras, Gabriel s’enfuit et cet ahuri de Doll ne comprend rien à ce qui se passe. Dans la confusion générale, tout le monde s’imagine que c’est Bryony qui a été attaquée. Rien d’étonnant si elle était en état de choc ensuite. Elle a dû croire que leur compte était bon.
— Ton idée tient la route, mais…
— Leur tentative est donc un échec, coupai-je, mais ils s’en tirent sans trop de dommages. Reste à se débarrasser de Doll une fois pour toutes. Gabriel et Bryony… Non, plutôt Gabriel tout seul, puisqu’à présent Bryony est considérée comme en danger et sous protection policière. Gabriel se rend chez Doll, et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette fois il ne le rate pas. Bryony a emporté le gobelet d’Emily le jour où ils ont piégé Philippa pour qu’elle aille bavarder un moment avec Gabriel dans sa voiture. Gabriel laisse le gobelet bien en vue dans l’appartement. Et voilà : Doll est mort, tout l’accuse, l’affaire est close. »
Julie partagea le fond de la bouteille entre nos deux verres.
« J’en commande une autre ? proposa-t-elle.
— Non. Je suis en train de dessaouler.
— À t’entendre, on ne le croirait pas. Mais j’essaie de te suivre. Il n’y avait pas que le gobelet. Il y avait aussi cette pochette en cuir. C’était un gros risque, non ? Elle aurait pu conduire les enquêteurs jusqu’à sa femme et lui.
— J’y ai pensé. Il n’est pas impossible qu’il ait pris ce risque, pour confirmer que Michael Doll avait bien tenté de tuer Bryony. Mais le plus probable est qu’il s’agissait d’une erreur. Si tu avais été là, tu aurais vu que la pièce n’était plus qu’une marée de sang. Gabriel devait en être couvert. Sans doute a-t-il ôté ses vêtements pour se laver dans la salle de bains, et, s’il avait cette pochette sur lui, il se peut qu’il l’ait tout simplement oubliée. Une erreur, oui. Mais qui s’est avérée sans importance, puisqu’on a immédiatement considéré la pochette comme un autre trophée.
— À supposer qu’il soit jamais entré dans cet appartement, observa Julie.
— Il y est entré et c’est lui qui a transformé la tête de Michael Doll en bouillie. Très convaincant pour faire croire qu’il a été victime d’un de ces horribles gangs de justiciers ultraviolents. »
Julie resta silencieuse un moment. Elle semblait tenter de résoudre de tête une équation à trois inconnues.
« Tu as expliqué tout cela à Oban en cinq minutes ? demanda-t-elle enfin.
— Une version raccourcie.
— Pas étonnant qu’il t’ait fichue dehors !
— Tu n’es pas convaincue ?
— Je ne sais pas. Il faut d’abord que je laisse ton histoire reposer un peu dans mon cerveau. Pousse des hauts cris si tu veux, mais moi, j’ai envie d’un autre verre. »
Elle commanda deux brandies, but une gorgée du sien et tressaillit légèrement.
« Que comptes-tu faire, maintenant ? Aller trouver Oban et revenir à la charge ? »
Je fis glisser mon doigt sur le bord de mon verre, qui résonna d’une petite vibration limpide.
« Non, dis-je pensivement. Je crois que j’ai épuisé mon capital de sympathie, avec lui. Je ne sais pas. Je ne cesse de m’interroger, de repenser à tous ces événements dans ma tête. Tu sais, quand Paul McCartney a composé Yesterday, il a passé des jours et des jours à se demander où il avait pu entendre cette mélodie. Il n’arrivait pas à croire qu’il l’avait trouvée tout seul. Et moi, je me demande si je n’ai pas inventé des enchaînements logiques qui n’existent pas.
Comme tu t’en rends sûrement compte, je ne peux rien prouver. » Je portai mon verre à mes lèvres et bus une gorgée brûlante. « Peut-être est-ce eux que je ferais mieux d’aller trouver, ajoutai-je.
— Qui, eux ?
— Gabriel et Bryony.
— Tu veux dire aller leur expliquer que tu les considères comme des triples meurtriers ?
— Leur glisser quelques allusions, les inquiéter. Histoire de voir comment ils réagiront. »
Julie finit son verre.
« S’ils sont innocents, ils ne réagiront pas du tout, dit-elle. Et s’ils sont coupables, il y aura une quatrième victime : toi.
— Je ne vois pas ce que je peux faire d’autre. »
Ce fut au tour de Julie de pointer son index vers moi. Il était quelque peu instable.
« Qu’est-ce que tu as bu ce soir ?
— Deux margaritas. Environ une bouteille de vin. Et ce brandy. » J’avalai ce qui en restait d’un trait.
— J’avais bien compté, dit Julie. Tout ce que j’espère, c’est que c’est l’alcool qui te fait délirer. C’est probablement l’alcool qui te fait délirer depuis une heure. Je suis complètement sûre que, demain matin, ni toi ni moi ne nous rappellerons plus rien de cette soirée. Moi encore moins que toi. Mais je veux que tu me promettes de ne pas faire de vraie, vraie bêtise. Tu me le promets ?
— Bien sûr que je te le promets, dis-je en souriant.
— Je ne sais pas si je dois te croire. » Elle me posa une main sur l’épaule et me secoua, comme pour me réveiller. » Écoute, Kit, tu ne te rends pas compte que ton idée est une pure folie ? Une pure, totale, absurde folie !
— Non, je…
— C’est une chose de se mettre en danger quand il y a une bonne raison pour le faire – même si je ne le conseillerais à personne. » Elle fut interrompue par un violent hoquet, puis continua. « Mais tu parles de te mettre en danger sans aucune raison. Comme si la vie de deux personnes mortes était plus importante que ta propre vie de vivante, si tu vois ce que je veux dire.
— Oui. Mais ce n’est pas sous cet angle que je vois les choses.
— Certainement. Tu les vois complètement de travers. Tu essaies de sauver des morts. C’est impossible !
— Je sais. »
Elle approcha son visage du mien et répéta, plus fort :
« On ne peut pas sauver les morts, Kit. On ne peut pas ramener les morts à la vie. Oublie tout cela. »