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Assis derrière le volant dans le parking en sous-sol, Christopher se sentait nauséeux et épuisé. Il ne s’était endormi qu’au tout petit matin, une heure à peine avant que Simon ne le réveille. Le reste de la nuit n’avait été fait que de pensées obsédantes qui avaient tourné en boucle dans sa tête : pourquoi Adam ne lui avait-il pas parlé de ce voyage en Norvège ? Qu’avait-il découvert là-bas ? Avait-il vraiment été assassiné ? L’hypothèse lui semblait tellement absurde.

— Tu vas vomir ?

Assis à l’arrière, Simon commençait à s’impatienter.

— Pourquoi, tu veux voir ce que j’ai mangé ce matin ?

— Bahhh, c’est dégoûtant.

Christopher sourit et démarra la voiture. Même si cela lui en coûtait d’avoir l’air détendu, il devait tout faire pour éviter à Simon de s’inquiéter. Il lança donc une conversation ludique en demandant à Simon quel était son personnage historique préféré et pourquoi. Il enchaîna sur les personnages de dessin animé et conclut sur les princesses de Disney en forçant Simon à répondre malgré ses protestations.

Quand ils arrivèrent devant la maison meulière vieillotte des grands-parents à Rosny-sous-Bois, Christopher reçut un texto.

 

Au cas où vous auriez oublié mon numéro. Appelez-moi dès que vous avez quelque chose, même si ça vous paraît inutile. Sarah

 

Je vous appelle dans moins d’une heure. Christopher

 

— C’est qui ? demanda Simon en détachant sa ceinture.

— Le travail, le travail.

Et il sortit rapidement pour ouvrir la portière arrière.

— Ah oui, au fait, Simon, j’ai eu énormément de boulot cette semaine, alors je vais aller me reposer un peu pendant le déjeuner. OK ?

— Tu vas vomir si tu manges, c’est ça ?

— Non, mais je mangerai mieux après avoir dormi un peu.

— OK !

— Allez, va dire bonjour à mamie.

Le petit garçon bondit hors de la voiture et courut sur le chemin de cailloux blancs jusque vers sa grand-mère qui venait de sortir sur le pas de la porte, son tablier de cuisine autour du cou. Elle ouvrit les bras et embrassa son petit-fils comme si elle ne l’avait pas vu depuis un an, alors qu’il venait déjeuner tous les dimanches. Puis le garçon entra dans la maison en appelant son grand-père.

Christopher s’approcha à son tour.

— Bonjour, maman, dit-il en la serrant affectueusement dans ses bras.

— Bonjour, mon chéri. Regarde-moi un peu… j’ai l’impression que t’as maigri. Si j’avais su, j’aurais fait plus à manger !

— Ah là là, catastrophe ! Ça va mériter une sérieuse séance de confession à l’église dès demain, ce genre d’erreur !

— Arrête de te moquer ! répliqua sa mère en bougonnant gentiment. Tu sais, si je n’avais pas la foi, je ne sais pas comment je tiendrais depuis… depuis la mort d’Adam. Au moins, là, je me dis qu’il est quelque part et qu’il est bien.

Christopher approuva en regardant sa mère d’un air affectueux.

C’était une femme d’une soixantaine d’années, aux cheveux bruns mis en plis et au visage un peu pâteux qui inspirait la confiance et le réconfort. De nature discrète et généreuse, elle faisait partie des chrétiens qui trouvent dans la religion non pas une force supérieure à laquelle se soumettre, mais une façon d’exprimer au mieux leur profonde humanité. Enfant, Christopher avait adhéré à cette croyance. Mais lorsque ses camarades de catéchisme lui avaient demandé ce qu’il avait commandé comme cadeau pour sa communion, il avait commencé à questionner le sens de sa démarche. C’est d’ailleurs de cette époque qu’il datait la naissance du scepticisme qui allait devenir son mode de pensée.

À la suite de sa décision, son père s’était même mis en colère, mais sa mère était parvenue à l’apaiser pour laisser à son fils le choix de sa vie. Elle lui avait dit : « Crois en ce que tu veux, tant que tu es gentil. »

— Simon a l’air de bien aller, confia la mère de Christopher.

— Ça dépend des jours, mais, en ce moment, ça va. En tout cas la journée. Le soir, il est, disons, plus pensif.

Ils entrèrent dans la maison et Christopher y retrouva l’odeur immuable de soupe qui flottait en permanence dans l’air et le tic-tac régulier de la vieille horloge avec laquelle il avait grandi. Comme à son habitude, son père était assis dans son fauteuil, en train de replier son journal pour accueillir Simon qui arrivait vers lui en courant.

— J’ai faim, lança le petit garçon en entourant son grand-père pour poser la tête sur son ventre.

— Ça tombe bien, moi aussi, lui répondit son grand-père en l’attrapant par la taille pour faire semblant de le manger.

Simon se mit à crier tout en riant à gorge déployée. Edward le reposa à terre et se leva en poussant un long soupir.

— Ah, les enfants. Heureusement que vous étiez plus calmes avec ton frère, dit-il sans pour autant tourner la tête vers son fils.

Christopher faillit lui répondre qu’ils avaient surtout rapidement compris qu’ils se prenaient une claque s’ils faisaient trop de bruit. Mais il s’abstint. Depuis la mort d’Adam, l’heure n’était plus aux règlements de comptes. Même si, une fois de plus, Edward ne se déplaça pas pour saluer son fils et se dirigea directement vers la table de la salle à manger.

— Bon, on déjeune, Marguerite !

— Il est tellement content de voir son petit-fils, s’excusa Marguerite en voyant la déception de Christopher. Ne lui en veux pas.

— T’inquiète…

Christopher observa son père tandis que celui-ci prenait la direction de la table du salon d’un pas alerte pour un homme de soixante-quinze ans qui avait subi un infarctus il y a quelques années.

Mais à bien y regarder, il lui sembla que le visage ridé et un peu buté de son père s’était encore plus recroquevillé sur lui-même. Comme s’il passait son temps à froncer les sourcils et à se triturer la peau dans de profondes réflexions. Souffrait-il plus qu’il ne le laissait voir de la mort de son fils ? Si c’était le cas, il aurait préféré mourir que de l’avouer.

— Et toi, comment tu vas ? demanda Marguerite à Christopher en rejoignant la cuisine.

— Écoute, justement, je suis un peu fatigué. J’ai eu plusieurs conférences cette semaine et Simon a fait quelques cauchemars qui ont rendu les nuits compliquées. Donc, exceptionnellement, j’aimerais vous laisser déjeuner et aller me reposer un peu là-haut.

— Où ça là-haut ?

— Dans la chambre d’Adam.

La mère de Christopher reposa le plat qu’elle s’apprêtait à emporter dans la salle à manger. Ses yeux se voilèrent.

À son tour, Christopher sentit la peine nouer sa gorge et il serra sa mère dans ses bras.

— Je suis désolé, je ne voulais pas…

— Non, non, ne dis pas ça, je suis heureuse que tu ailles dans la chambre de ton frère. J’ai essayé de la garder intacte. Tu trouveras quelques-uns de ses vêtements dans l’armoire et puis des cartons de différentes choses. Dont un de livres qui étaient empilés à côté de sa table de nuit. Je me suis dit que c’étaient les derniers qu’il avait touchés, alors je les ai gardés. Mais j’ai revendu tous les autres.

Christopher hocha la tête, à la fois ému et un peu inquiet du caractère sacré que sa mère conférait aux affaires de son fils.

— Je sais combien vous vous aimiez, ajouta-t-elle. Vas-y, on s’occupe de Simon.

Christopher sortit de la cuisine et se dirigeait vers l’escalier menant à l’étage quand la voix de son père l’interpella.

— Je crois comprendre que tu ne te joins pas à nous. Mais tu pourrais au moins dire la bénédiction, tonna Edward en replaçant un verre devant lui.

Christopher leva les yeux au ciel.

— Tu sais bien que c’est une habitude que ton père a rapportée de ses origines américaines, chuchota sa mère en le tirant discrètement par le bras. Et que là-bas, c’est chacun son tour. Fais un effort. T’es pas obligé de dire une parole religieuse…

— Alors, allons-y pour la bénédiction, souffla Christopher en s’asseyant.

Sa mère et son père joignirent les mains devant eux et fermèrent les yeux. Christopher croisa le regard de Simon, qui avait l’air curieux de voir comment son oncle allait se tirer de ce mauvais pas.

— Seigneur, merci pour ce bon repas cuisiné avec amour par sainte Marguerite et bientôt dévoré par des ventres ingrats… et gras pour certains. Amen… ton plat.

Simon pouffa de rire sous le regard complice de Christopher et s’arrêta aussitôt. La vaisselle venait de trembler sous le poing d’Edward.

Christopher n’en revenait pas que son père ose encore à son âge le traiter avec la même sévérité qui le terrorisait lorsqu’il était enfant.

— On n’insulte pas la religion sous mon toit, dit Edward en maîtrisant sa colère. Tu fais ce que tu veux chez toi, mais ici, on a toujours respecté Dieu et ça ne changera pas.

Marguerite posa une main sur le bras de son mari pour l’inviter à se calmer. Si Simon n’avait pas été là, Christopher aurait expliqué à son père qu’il n’était plus question qu’il lui parle sur ce ton. Mais le jeune garçon n’avait pas besoin de voir le peu de famille qui lui restait se déchirer. Prenant sur lui, Christopher s’excusa de sa maladresse, prétextant qu’il était fatigué, et monta à l’étage. Non sans avoir au préalable lancé la conversation sur les grands progrès de Simon en anglais, pour détendre l’atmosphère.

*

Sur le palier, l’odeur de soupe s’effaça au profit de celle de la cire qui recouvrait l’escalier en bois. Sur la droite, une pièce tout en longueur faisait office de grenier où s’entassaient les souvenirs de voyage de ses parents. À gauche, un couloir tapissé de papier peint vert menait aux chambres. Au fond, celle de ses parents, et de chaque côté du corridor, la sienne que son père avait réaménagée en bureau et, juste en face, celle d’Adam que sa mère avait tenu à conserver telle qu’elle était lorsqu’il avait quitté la maison à seulement trente ans.

Christopher n’y avait pas mis les pieds depuis des années. Il entra et ne sut dire ce qui le troubla le plus. L’impression que rien n’avait changé ou le soin maniaque avec lequel sa mère avait rangé la pièce. Comme si elle voulait que tout soit en ordre le jour où Adam reviendrait à la maison.

Le lit était fait, pas une trace de poussière sur la table de chevet, la vieille armoire rustique, ni sur le petit bureau rangé contre le mur du fond, sous la fenêtre. La moquette bleu roi conservait les traces de l’aspirateur et le papier peint bleu dégageait encore l’odeur du produit d’entretien avec lequel il avait été lessivé. Dans la bibliothèque, les collections de bandes dessinées d’Adam étaient classées dans l’ordre et ses ouvrages de médecine rangés par thématique.

Devant l’inspectrice, Christopher avait laissé entendre qu’il saurait où et quoi chercher, mais maintenant qu’il était dans la chambre d’Adam, il se sentait démuni et l’hypothèse du meurtre de son frère lui semblait irréelle. Sans conviction, il souleva quelques livres, regarda derrière les bandes dessinées qu’il feuilleta une à une en espérant peut-être y découvrir un hypothétique message sur un morceau de papier. Il s’allongea pour inspecter sous le lit, fouilla les tiroirs du petit bureau où il ne trouva que des photocopies de cours de médecine et des stylos.

Christopher se résigna à ouvrir l’armoire qui recouvrait un grand pan de mur. Tous les vêtements qu’Adam portait quand ils vivaient encore chez leurs parents étaient là. Repassés, pliés et rangés dans des effluves de lavande. Empilés sur le fondement de l’armoire se trouvaient deux gros cartons marqués : « Affaires Vélizy, ne pas jeter. »

Sa mère avait même conservé ses vêtements et ses affaires d’adulte ? Intrigué, Christopher sortit les cartons et les déposa sur la moquette. Puis il s’agenouilla et ouvrit le premier.

Une longue boîte en plastique recouvrait le haut du carton. Christopher y reconnut l’écriture de Nathalie sur le couvercle « Photos de notre mariage  ». À l’intérieur, toute une série de clichés que Christopher fit glisser entre ses doigts. Il se revit en costume, en train de tenir son frère par les épaules, tous les deux souriant vers l’objectif alors que Christopher n’avait pu s’empêcher de lui faire des oreilles d’âne. Puis une autre, plus intime, un peu floue, où le photographe les avait surpris juste avant qu’Adam ne marche vers l’autel. Adam et Christopher étaient front contre front, chacun une main sur la nuque de l’autre. Christopher se souvenait qu’Adam avait peur. Peur de perdre le lien qui l’unissait à son frère en se mariant. Mais Christopher l’avait rassuré en lui jurant que rien ne les séparerait et qu’il était certain que son union avec la femme qu’il aimait lui apporterait le bonheur qu’il avait trop tardé à savourer. Il avait ajouté combien il était fier de le voir se marier avant lui alors que, depuis leur enfance on ne cessait de lui rappeler qu’il était « en retard » sur son grand frère.

Christopher referma la boîte et souleva une pile de papiers et de cahiers ficelés ensemble. C’était tout le parcours scolaire de son frère. Des carnets de notes aux appréciations dévalorisantes « Élève de grande capacité, mais tellement moins sérieux que son frère », « Beaucoup de possibilités, mais peu de volonté », mais aussi des lettres de motivation inachevées qui prouvaient qu’Adam n’avait trouvé que très tard le métier qui allait le passionner. Rien que Christopher ne sût déjà.

En revanche, la pile de livres qu’il repéra au fond du carton le surprit un peu plus. Il s’agissait uniquement d’ouvrages d’histoire traitant de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, alors qu’Adam n’avait jamais parlé à Christopher de son intérêt apparemment si marqué pour cette période.

Intrigué, il les parcourut et remarqua qu’ils étaient soulignés, annotés et souvent raturés. La plupart des passages concernés évoquaient la façon dont la guerre avait conduit les Américains et les Russes à pousser leurs recherches scientifiques au-delà de ce qui aurait été le cas en période de paix. On y expliquait par exemple comment l’effort de guerre avait permis la découverte d’une méthode de production de masse de la pénicilline qui sert encore aujourd’hui à toute l’industrie pharmaceutique, comment on avait mis au point des médicaments contre le mal de mer des soldats dont les molécules sont toujours commercialisées, ou comment le besoin de conservation des aliments avait conduit à la mise au point de denrées en poudre que l’on consomme encore de nos jours.

Christopher reposa le dernier ouvrage et se massa le cou. Pourquoi Adam, qui adorait partager son savoir et notamment avec son frère, ne lui avait-il jamais parlé de ces recherches ? Il en ferait part à l’inspectrice, même s’il ne voyait pas trop en quoi cela pourrait l’aider dans son enquête.

Il lui restait le dernier à carton à examiner quand son père entra dans la chambre sans frapper.

— Je croyais que tu te reposais ?

Christopher s’adossa contre la porte de l’armoire en secouant la tête.

— Oui, enfin non, j’avais envie de penser à Adam…

Son père épousa d’un regard dubitatif les livres d’histoire étalés par terre et les deux cartons ouverts.

— Je ne comprendrai jamais pourquoi ta mère a gardé tout ce fatras…

Christopher haussa les épaules.

— C’était son petit dernier. Je crois qu’elle se sent coupable de ne pas avoir pu le protéger…

— C’est vrai que ta mère se faisait beaucoup de souci pour l’avenir d’Adam, et notamment son avenir professionnel. Je n’étais pas très présent, mais je me souviens qu’elle m’appelait tous les jours pour me demander de faire quelque chose pour lui, pour l’aider à trouver un travail. Heureusement, tu étais là et tu l’as aidé à choisir une voie…

Christopher hocha la tête, à la fois surpris par la confidence de son père et impatient qu’il s’en aille pour reprendre ses recherches.

— Bon, allez, reprit Edward. Ne passe pas non plus ta journée à ressasser de vieux souvenirs. On en a assez d’une comme ça à la maison…

Le père de Christopher jeta un dernier coup d’œil aux piles de papiers, secoua la tête, puis referma la porte.

Christopher leva les yeux au ciel, agacé par la réflexion de son père, et sortit le contenu du deuxième carton : un tas de papiers administratifs. Sa mère avait réellement tout ramassé chez son fils défunt. Mais qu’est-ce qu’il pouvait espérer y trouver d’intéressant ? Pêle-mêle y étaient rangés des factures d’électricité, des relevés bancaires, des feuilles de remboursement de santé et des fiches de salaire.

Christopher soupira. Non, vraiment, cette recherche lui semblait vaine. Mais il irait jusqu’au bout de cette investigation familiale pour n’avoir rien à regretter.

Il s’assit en tailleur et étudia chaque document administratif un à un. Il était au milieu de son tri quand il reçut un nouveau message de Sarah.

 

Alors ?

 

Rien de concret pour le moment.

Je vous tiens au courant.

 

Christopher considéra d’un œil las la pile de relevés bancaires qu’il lui restait à éplucher.

Par acquit de conscience, il regarda chaque bulletin en se disant qu’il trouverait peut-être une grosse somme d’argent perçue ou transférée. Après tout, cela pouvait constituer un début de piste pour le meurtre de quelqu’un. Il y passa plus d’une heure, et à la fin ses yeux brillaient de fatigue. Mais aucun montant ne lui sembla dépasser la normale.

Il terminait d’étudier la dernière feuille quand il remarqua néanmoins un détail qui attira son attention. Tous les relevés provenaient de la même banque et étaient tous au nom d’Adam et de Nathalie, sauf trois d’entre eux issus d’une banque différente, la SwissCox, et libellés au seul nom d’Adam. Les relevés étaient récents et avaient été édités un an avant la mort d’Adam.

Christopher, qui espérait découvrir des sommes mirobolantes cachées, déchanta rapidement. Le compte n’était que très peu approvisionné, d’à peine 300 euros. En revanche, un débit du même montant, 25,80 euros, était prélevé tous les mois. Christopher lut sur le relevé que ce débit se faisait au profit de la banque elle-même. À quoi pouvait-il correspondre ?

Mû par ses réflexes de journaliste, il se connecta sur le site de l’institut bancaire SwissCox via son téléphone et téléchargea la grille des tarifs pratiqués par la banque.

Christopher parcourut le document à toute vitesse et ne trouva la réponse qu’à la toute fin de la brochure. Cette fois, son rythme cardiaque s’emballa pour de bon. Le débit de 25,80 euros correspondait au tarif exact de la location d’un coffre privé à accès permanent.

Il attrapa son téléphone, appela Sarah et lui résuma la situation.

— Et Adam ne vous avait bien sûr jamais parlé de ce coffre ?

— Non.

— Comme il ne vous avait pas parlé de sa visite à Gaustad ou de ses recherches approfondies sur la Seconde Guerre mondiale.

— Vous fatiguez pas, je suis convaincu.

— Alors, fouillez la chambre. Il faut absolument trouver cette clé.

— De toute façon, si elle est quelque part, ça ne peut être qu’ici. Il n’y a plus aucune autre affaire d’Adam ailleurs. Je vous rappelle.

Christopher vida chaque tiroir, regarda sous le bureau, défit intégralement le lit, inspecta les doublures de chaque vêtement, déplaça les meubles, vérifia les cloisons. En vain. Il ne trouva rien. Mais peut-être avait-il cherché trop vite.

Il remonta des cartons vides de la cave en expliquant à sa mère qu’il emportait les affaires de son frère chez lui. Qu’il voulait prendre le temps de se recueillir dans un endroit qui ne lui rappelait pas trop de souvenirs. Marguerite sembla surprise, mais elle accéda à la demande de son fils à condition qu’il y fasse attention et les lui rapporte vite.

— Qu’est-ce que tu vas faire avec toutes ces vieilleries ?

Le père de Christopher lisait de nouveau son journal en surveillant Simon qui jouait aux Playmobil dans le jardin.

— Je pense que c’est pas bon que maman garde ça ici, chuchota Christopher. Ça l’aide pas à passer à autre chose. Il est temps qu’elle s’en débarrasse.

Son père hocha la tête et se replongea dans sa lecture.

Après avoir chargé cinq cartons dans le coffre de la voiture, Christopher était impatient de retrouver Sarah. Mais il ne voulait pas priver Simon de la sérénité de son dimanche. Il le laissa faire un gâteau aux pommes avec sa grand-mère et jouer au ballon avec son grand-père pendant plus d’une heure.

Ce n’est qu’en fin de journée qu’ils prirent le chemin du retour. Épuisé par toutes ces activités, Simon s’endormit rapidement.

Une fois chez lui, Christopher le porta jusque dans sa chambre. Il le déposa dans son lit, le déshabilla, le borda et l’embrassa sur le front. Puis il sortit de la chambre, et alla se passer de l’eau sur le visage dans la salle de bains.

Les mains appuyées sur le rebord du lavabo, Christopher réalisait seulement maintenant le bouleversement que cette inspectrice norvégienne venait de provoquer dans sa vie. Il savait qu’il ne trouverait plus la paix tant qu’il n’aurait pas éclairci les zones d’ombre autour de la mort de son frère.

Pourquoi Adam s’intéressait-il tant aux découvertes scientifiques de la seconde moitié du XXe siècle ? Pourquoi s’était-il rendu dans cet hôpital psychiatrique de Gaustad voir ce patient ? Qu’avait-il découvert de si important pour qu’on l’assassine, comme il le redoutait désormais ?

Il s’essuya le visage et repassa devant la chambre de Simon pour aller dans la sienne. Dans l’embrasure de la porte, il vit le petit garçon glisser hors de son lit les yeux à moitié fermés et accomplir son rituel du soir. Il se mit à plat ventre, tira du carton sous son lit le vieux sweat-shirt de son père et se coucha en le serrant contre lui.

Christopher soupira et poursuivit vers sa chambre.

— Christopher ?

Christopher rebroussa chemin et passa la tête par l’entremise de la porte, à la façon d’un rongeur émergeant de son terrier. En le voyant, Simon rigola.

— C’est vrai que t’es rigolo.

— Tu m’as appelé juste pour te payer ma tête à 11 heures du soir ? essaya de plaisanter Christopher.

Simon baissa les yeux.

— Non, je suis juste content que tu m’aies pas laissé tout seul après… ajouta Simon.

Et il ferma les yeux.

Christopher fut envahi d’une émotion qu’il n’avait jamais éprouvée : le bonheur de se sentir indispensable pour quelqu’un. Il observa Simon rejoindre le sommeil d’une respiration lourde.

À un moment, il marmonna quelque chose qui aurait pu ressembler à « papa ». Christopher s’approcha, lui posa une main sur le front et caressa son visage.

Simon se retourna encore et serra contre lui le sweat-shirt de son père. Il avait la moitié du visage enfoui dedans, comme les jeunes enfants font avec leur doudou.

Christopher allait se lever pour partir quand il s’arrêta brutalement, le cœur battant à toute allure. Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Cela faisait tellement partie de son quotidien qu’il ne le voyait même plus.

Christopher fit glisser le sweat-shirt que Simon tenait dans les mains, serré contre lui. Puis il sortit de la chambre et palpa à toute allure le vêtement. Il ne sentit rien. Il se calma et reprit sa fouille plus posément.

C’est là qu’il lui sembla distinguer un élément plus dur dans une couture. Il fonça vers la cuisine, ouvrit un tiroir et saisit une paire de ciseaux. Les mains tremblantes, il découpa le tissu en un large cercle, sépara les deux pans du vêtement en deux et laissa échapper un souffle de surprise. Une minuscule clé avait été cachée dans la doublure. Le numéro 302 y était inscrit.