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Christopher voulut tirer son père des flammes, mais ce dernier le repoussa d’un violent coup de pied. Le whisky ayant coulé jusqu’au sol en bois, le feu s’éleva de plus belle, léchant déjà les murs de la cavité souterraine. Edward hurla alors que les flammes s’enroulaient autour de son corps, le transformant en torche humaine. Une écœurante odeur de chair brûlée empoisonna l’air et une épaisse fumée emplit la pièce.

Christopher se protégea le visage et chercha ce qu’il pouvait sauver des flammes avant de s’enfuir. Juste au-dessus du bureau, il repéra la seule photo encore épargnée. Celle, en noir et blanc, de son père et de ses deux camarades scientifiques.

Il parvint à saisir la photo qui se recourbait déjà sous l’effet de la fournaise et se rua vers l’échelle.

Il se hissa hors de la cache secrète et sortit en courant de la cabane alors que les flammes brûlaient déjà le plancher.

Serrant dans sa main l’unique indice qu’il avait pu récupérer, les jambes flageolantes de peur, Christopher retraversa la plaine où se reflétaient désormais les ombres dansantes des flammes de l’incendie, retrouva le chemin de la forêt et arriva jusqu’à la maison de ses parents.

Sa blessure au front lui martelait le crâne. Mais rien ne pouvait surpasser l’angoisse qui l’étreignait. Il entra par la porte vitrée du jardin. Le tueur russe mit Christopher en joue un instant avant de reporter le canon en direction du petit garçon, dont les yeux étaient toujours clos et la tête appuyée sur sa poitrine.

— Le fils est de retour, dit Sergueï en direction du combiné téléphonique posé sur la table basse. Mais sans le père…

— Simon, je suis là, chuchota Christopher en s’approchant de l’enfant inconscient. Tout va bien se passer maintenant. Je te le promets.

— Où est Nathaniel Evans ? demanda Lazar.

Christopher retira sa main de la poitrine de Simon après s’être assuré qu’il respirait toujours. Puis il ferma les yeux avant de parler, comme s’il prononçait une dernière prière silencieuse.

— Mon père s’est suicidé et a mis le feu à ses travaux.

— Sergueï. Tu sais ce qu’il te reste à faire.

— Attendez ! cria Christopher. J’ai trouvé quelque chose qui va vous intéresser. Il y a deux autres personnes qui détiennent certainement les réponses que vous cherchez.

— Je sais… et ils sont morts. Evans était le dernier à pouvoir parler.

— Mon père a évoqué une île où se trouveraient d’autres documents ! s’empressa de dire Christopher. Il a affirmé qu’il devait encore les détruire. C’est qu’ils sont importants et toujours là-bas !

— Quelle île ?

— Je… Je l’ignore, répondit Christopher en baissant la tête. Mais…

— Alors, cette information ne me sert à rien. Il peut s’agir de n’importe quelle île dans le monde !

Sergueï se rapprocha lentement de Christopher.

— Écoutez, j’ai fait tout ce que j’ai pu, paniqua Christopher. Ni Simon ni moi n’avons à payer pour les crimes de mon père. Le monstre, c’était lui, pas nous. Nous sommes tout le contraire…

Lazar ne répondit pas. Dans le haut-parleur du téléphone, on entendait seulement le lointain va-et-vient mécanique de son appareil d’assistance respiratoire.

— Écoutez, je vous jure que je ne dirai rien de ce qu’il s’est passé. Je ne chercherai jamais à vous retrouver, supplia Christopher.

— Sergueï, débarrasse-toi d’eux, ordonna Lazar.

— Non ! hurla Christopher.

Impassible, le tueur russe visa Christopher au niveau de la tempe.

— Attendez, attendez ! Je vais trouver ce que vous cherchez à votre place, lança Christopher dans un dernier espoir. Oui, je vais découvrir ce que mon père vous a fait. Je vais trouver les réponses que vous cherchez. Moi seul peux y arriver. Mais si vous me tuez ou que vous touchez à Simon, vous mourrez dans l’ignorance. Et tout ce que vous avez fait jusqu’ici n’aura servi à rien !

— Attends, Sergueï… susurra Lazar.

En nage, Christopher déglutit en sentant le canon de l’arme toujours collé à sa tempe.

— Tu comptes t’y prendre comment pour retrouver les recherches de ton père ? Tu viens de me dire que tout a brûlé.

— Il a appelé quelqu’un avant que je le surprenne dans sa cabane. Il avait l’air de travailler pour lui. Il est forcément au courant. Je vais retrouver cette personne et la faire parler. À n’importe quel prix.

— Et quel est ton plan ?

Christopher n’avait aucune idée de la façon dont il pourrait remonter la piste de ce mystérieux interlocuteur. Mais sa vie et celle de Simon dépendaient de sa réponse.

— Qu’est-ce que vous avez à perdre à me laisser essayer ? Je suis journaliste d’investigation. Mon boulot est de trouver ce que les gens veulent cacher. J’ai des contacts, du métier, des ressources et une raison personnelle de découvrir la vérité. Je suis votre meilleure chance.

Christopher guettait la réponse de Lazar, la tête penchée sous la pression du pistolet sur son crâne.

— Sergueï, prends le téléphone, dit soudain Lazar. Et enlève le haut-parleur.

Le grand Russe s’exécuta sans retirer son arme qui mettait Christopher en joue.

Il échangea quelques mots en russe avant de reposer le téléphone sur la table et de fouiller dans sa poche intérieure.

— Voilà ce que l’on va faire, dit Lazar. Je vous laisse soixante-douze heures pour m’apporter une réponse. C’est le temps qu’il me reste à vivre d’après mes médecins.

Soixante-douze heures, songea Christopher, c’est impossible.

— Et pour que les choses soient bien claires entre nous, reprit Lazar, je veux savoir ce qu’on a cherché à découvrir à travers les expériences pratiquées sur moi et en connaître le résultat définitif. Et je veux aussi la tête de celui qui dirige encore cette opération aujourd’hui.

— D’accord… Je vais faire tout ce que je peux, souffla Christopher.

— Bien, mais afin de m’assurer que vous tiendrez parole, le gamin vient avec moi.

Christopher eut juste le temps de lever les yeux vers Simon avant qu’un large morceau de scotch le bâillonne et que l’enfant se réveille en sursaut.

— Non, non, non ! Pas ça ! Pas ça !

Sergueï menaça Christopher de son arme. Puis il recouvrit le visage de Simon d’une cagoule alors que le petit garçon se débattait en pleurant.

— Bouge pas, sale gosse, ou tu vas avoir mal, très mal.

— Simon ! Simon, ne bouge plus, mon chéri. Je vais venir te chercher bientôt. D’accord ? Le monsieur ne te fera aucun mal parce qu’il sait que, sinon, je ne lui donnerai pas ce qu’il veut. Ne bouge plus, je t’en supplie, mon chéri.

Simon n’écoutait plus, hurlant de désespoir. Sergueï saisit l’enfant et le jeta sur son épaule avant de l’emmener dehors.

— Mais… vous allez où ?! cria Christopher en se levant pour les suivre.

Le tueur se contenta de poser son arme sur la tête du petit garçon. Christopher recula.

— Simon, je te jure que je viendrai te chercher, où que tu sois, cria Christopher.

Sergueï sortit et claqua la porte de la maison.

— Je vous en prie, ne faites pas de mal à Simon, implora Christopher dans le combiné toujours posé sur la table.

— Je vous contacterai sur ce téléphone, lui rétorqua Lazar. Mais que les choses soient bien claires. Si vous tentez de négocier la libération de Simon sans m’apporter les réponses que j’attends, je le tuerai. C’est compris ? Si la police est prévenue ou que vous essayez de me rechercher, Simon n’y survivra pas non plus. Mettez-vous bien ça dans la tête.

Christopher ne répondit pas.

— C’est clair ?

— Oui, oui !

Sergueï rentra dans la maison, seul. Il se dirigea vers le cadavre de la mère de Christopher et la chargea sur son dos.

— Mais qu’est-ce que vous faites ? supplia Christopher.

— Nous vous débarrassons du corps afin que vous ne soyez pas forcé d’ébruiter ce qu’il s’est passé ici cette nuit, expliqua Lazar. Je vous recontacte dans soixante-douze heures. Tâchez d’avoir obtenu ce que je vous ai demandé.

Sergueï passa la porte de la maison en emportant le corps de Marguerite. Christopher, cloué par l’horreur, ne sursauta même pas quand la porte d’entrée se referma en claquant.

Il eut seulement la force de regarder par la fenêtre du salon la camionnette noire du ravisseur s’éloigner avec Simon.

Dévasté, il tomba à genoux.

*

Deux heures plus tard, Sarah le trouva prostré dans un coin du salon. Elle s’accroupit et posa doucement la main sur son épaule. Christopher leva la tête vers elle. Plus tard, il se rappela qu’elle avait le côté droit du visage tuméfié et qu’elle saignait de la lèvre.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle.

Christopher regarda autour de lui longuement, puis baissa les yeux.