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Lorsqu’ils atterrirent enfin à Nice après avoir pris un autre vol à Paris, Christopher commença à se sentir vraiment mal. La chaleur du sud de la France mêlée à l’anxiété et à la fatigue le rendait fébrile. Et le discours du chauffeur de taxi l’agaçait.
— Joli quartier, lança la voix chantante du conducteur niçois lorsque Christopher lui eut donné l’adresse du 130, chemin Saint-Pierre-de-Féric. Je sais pas si vous connaissez ce coin, poursuivit le chauffeur en quittant le parking de l’aéroport. C’est sur les hauteurs, y avait de belles villas là-haut dans le temps… mais maintenant, c’est un peu laissé à l’abandon.
— Nous sommes fatigués, trancha Sarah. Merci de nous conduire rapidement à destination.
— OK, OK… Vous avez un petit accent qui me rappelle celui de la fille au pair de ma belle-sœur. Vous viendriez pas d’un de ces pays du Nord ou d’un truc comme ça ?
Sarah tourna la tête vers la vitre sans répondre. Le taxi sembla cette fois comprendre le message et marmonna quelques banalités sur la différence entre la convivialité des gens du Sud et ceux des pays froids.
Mais ni Sarah ni Christopher n’avaient envie de faire des efforts pour les politesses de convenance.
Serrant contre lui la pochette contenant tous les documents qu’il allait remettre à Lazar, Christopher souffrait davantage chaque seconde qui le séparait de Simon et Sarah se sentait désormais impuissante à le rassurer.
Après avoir suivi une grande route, la voiture s’engagea sur un petit chemin tracé à même un coteau. De part et d’autre de l’étroite route, on apercevait de grands jardins laissés en friche et des villas dont la plupart ne semblaient plus habitées.
Quand ils passèrent devant le no 120, Sarah demanda au chauffeur de les arrêter.
— C’est pas au 130 que vous vouliez aller ?
— Arrêtez-vous ici !
— Pop, pop, faut pas vous énerver. Moi, je dis ça pour vous éviter de la marche inutile, hein, mais c’est vous qui décidez.
Ils payèrent et sortirent, laissant le taxi s’en aller.
Le jour déclinait et une lumière d’incendie brûlait les nuages survolant les montagnes du parc du Mercantour.
— Donne-moi les documents, dit Sarah.
— Pour quoi faire ?
— Si j’étais Lazar, je n’aurais aucun scrupule à nous tuer et à prendre ce qui m’intéresse sur nos cadavres. On va les cacher quelque part ici et la première chose qu’on lui annoncera avant même de le voir, c’est que l’on n’a pas les informations sur nous et que, s’il les veut, il devra tous nous garder vivants, y compris Simon.
Christopher reconnut qu’il était si impatient de retrouver Simon qu’il aurait effectivement commis cette ultime faute. Il tendit à Sarah la pochette contenant les documents et la clé USB.
Elle s’assura qu’ils étaient vraiment seuls en regardant autour d’elle et cacha soigneusement la pochette et la clé derrière des buissons qui dépassaient d’une clôture.
Le numéro 130 abritait l’une des rares villas dont le portail était éclairé. Protégée par une haute palissade en métal, on ne pouvait pas voir l’intérieur, mais, à la longueur de l’enceinte, la propriété semblait vaste.
Sarah remarqua la présence d’une caméra, mais Christopher, n’y tenant plus, sonnait déjà à l’interphone.
— Je préfère vous prévenir tout de suite, dit Christopher sans savoir si on l’écoutait. Les documents ne sont pas sur nous. J’exige de tenir Simon dans mes bras avant de vous donner quoi que ce soit.
Sarah poussa prudemment le portail entrouvert, dévoilant une majestueuse allée bordée par les silhouettes élancées de cyprès de Florence.
Ils suivirent le chemin de cailloux blancs conduisant à une maison en pierre de taille, juchée sur une butte, au milieu d’un immense jardin planté d’arbres fruitiers. On entendait seulement leurs pas crisser sur le gravier et le chant lointain de quelques cigales accompagné d’un gazouillis insouciant de rossignol. Il faisait encore bon et pourtant, à l’horizon, une masse de nuages gris s’amoncelait.
Ils parvinrent au pied d’un grand escalier blanc séparé en deux qui menait à l’entrée nichée sous une arche typique des villas à l’architecture baroque.
Ils gravirent les larges marches et poussèrent la porte d’entrée ouvragée qui s’ouvrit sans effort.
Le hall de marbre blanc qui les accueillit luisait de propreté et face à eux s’étalait la courbe d’un long escalier menant à l’étage. Une large tenture recouvrait un mur et plusieurs portes distribuaient d’autres pièces. Christopher avait envie de toutes les ouvrir en criant le nom de Simon.
Mais en tendant l’oreille, il crut distinguer un bruit lent et régulier, comme un souffle. Oui, c’était ça, le même son qui était en fond lorsqu’il parlait à Lazar : le va-et-vient d’un appareil d’assistance respiratoire. Et ce bruit provenait de l’étage.
Ils gagnèrent le palier et suivirent la rambarde du couloir menant jusqu’à une porte entrebâillée, Sarah jetant des œillades inquiètes à gauche et à droite.
Devant la porte entrouverte d’où provenait le souffle artificiel, Christopher éleva la voix.
— Il y a quelqu’un ?
Pas de réponse.
Sarah poussa du bout de la main la porte, qui s’ouvrit lentement sur une grande chambre tapissée d’une moquette grenat et d’un papier peint aux motifs en arabesques.
Une brise entrait par la fenêtre, et au souffle mécanique de l’appareil respiratoire se mêlait le bruissement d’un tilleul. Un homme au crâne parsemé de rares filets de cheveux grisâtres était allongé dans un lit, la tête basculée vers la fenêtre.
— Lazar ? s’inquiéta Christopher.
La silhouette étendue ne bougea pas. Cette fois, Christopher traversa la chambre à toute allure et se planta devant le lit du malade. Sarah ne céda pas à l’impatience et scrutait chaque recoin.
— Lazar ! hurla Christopher.
Le cœur de Sarah se serra. Ce cri laissait augurer du pire. À son tour, elle se dirigea vers le lit et comprit. Christopher secouait Lazar par les épaules.
— Où est Simon ?! Espèce de salopard ! Parle !
Mais le vieil homme n’ouvrit pas les yeux, son corps remuant sous les secousses de Christopher comme un mannequin sans vie.
Et pourtant, l’appareil respiratoire fonctionnait encore. Lazar était toujours vivant, mais probablement dans le coma, un sourire lénifié sur les lèvres. Mais ayant emporté avec lui leur dernière chance de retrouver Simon.
— Simon ! hurla Christopher à tue-tête sans savoir dans quelle direction diriger son appel. Simon ! C’est moi, Christopher !
Et il se mit à vider les tiroirs, à fouiller chaque recoin de la chambre à la recherche du moindre indice qui pourrait l’aider à retrouver le petit garçon.
Plus calme, Sarah étudia avec soin le corps inconscient de Lazar. Elle repéra des tatouages discrets sur deux des doigts de la main droite du vieil homme : l’un en forme de rose des vents et l’autre représentant un poignard. Très certainement la marque de l’organisation criminelle russe Vory v Zakone, songea-t-elle. Ce qui expliquait où cet ancien cobaye de la CIA échappé d’un asile avait trouvé les moyens de se payer une telle villa et de financer la traque de ses tortionnaires pendant tant d’années.
Sarah souleva le drap du malade, dévoilant un torse lui aussi tatoué, mais cette fois d’une Vierge à l’enfant arborant un sourire. D’ailleurs, à bien y regarder, Lazar affichait un sourire similaire. Et si cruel avait-il été, cet homme ne pouvait avoir l’air aussi apaisé sans avoir fait la paix avec sa conscience. Il avait certes accompli le but de son existence en vengeant ses années de supplice et son angoisse s’était probablement évanouie à la certitude de survivre après la mort. Mais ce dessin serein sur ses lèvres possédait quelque chose de plus généreux.
Sarah remarqua alors que le poing gauche de Lazar, qui était jusque-là caché sous le drap, était serré et qu’un morceau de papier en dépassait.
Elle délia les doigts un à un et libéra un bout de papier chiffonné. Elle le déplia.
— Christopher…
Mais Christopher était déjà dans la pièce d’à côté, traînant sa jambe handicapée, fouillant chaque placard, regardant sous chaque lit, frappant contre chaque mur en hurlant le nom de Simon.
Elle le rejoignit et lui mit le mot sous les yeux.
— C’est quoi ?! s’emporta-t-il.
— Un message que Lazar nous a laissé.
— « Derrière la tenture du hall d’entrée », lut Christopher à toute vitesse.
Et Sarah lui dévoila alors la clé qu’elle avait trouvée à l’intérieur du papier chiffonné.
Alors qu’au loin on entendait les grondements du tonnerre, ils rejoignirent l’escalier, descendirent les marches, et Christopher se précipita, autant que sa jambe blessée le lui permettait, vers la tenture recouvrant l’un des murs du hall d’entrée. Il souleva l’épais tissu comme s’il voulait l’arracher.
Dans le mur se découpait une porte dissimulée munie d’une minuscule serrure.
Sarah y glissa la clé et ouvrit la porte qui donnait sur un escalier de service que Christopher gravit sans attendre.
Ils atteignirent un couloir en bois poussiéreux qui distribuait deux portes, anciennement les chambres des domestiques. Les deux portes étaient fermées, mais la clé ouvrait l’une d’entre elles.
Le cœur frappant dans sa gorge, le sang bourdonnant à ses oreilles, Christopher entra.
La pièce sentait le renfermé. Les volets étaient clos et seule une lumière triste posée par terre diffusait une lueur blanchâtre. Un petit train en bois était couché sur le côté et, dans un coin de la pièce, une silhouette était prostrée.
Christopher reconnut la chevelure désordonnée de Simon. Le petit garçon serrait contre lui un vieil ours en peluche blanc qu’on avait dû lui jeter. Il respirait par saccades.
— Simon, bredouilla Christopher.
Le petit garçon serra plus fort sa peluche, en tremblant. Le voile qui noyait le regard de Christopher lui brûlait les yeux. Il s’approcha en boitant.
— Mon cœur… c’est moi. C’est fini, les méchants sont partis. Je suis là…
Simon releva lentement la tête, le regard luisant. Christopher s’agenouilla près de lui et se retint de le prendre dans ses bras, de peur de le brusquer.
Le petit garçon le fixa, comme s’il n’arrivait pas à faire la différence entre le rêve et la réalité, sa peluche sale plaquée contre sa poitrine.
— Tu as été tellement fort… tellement… bafouilla Christopher, ému à ne plus pouvoir parler.
Simon se redressa sur ses petites jambes, lâcha sa peluche, prit Christopher par le cou, enfouit le visage dans son épaule et l’étreignit avec la force de la vie retrouvée.
La gorge serrée, Sarah contempla ce moment d’amour infini.
Une déflagration explosa dans le ciel lorsque le tonnerre frappa juste au-dessus de leurs têtes. L’instant d’après, un torrent de pluie crépita sur la toiture de la bâtisse.
Christopher souleva Simon dans ses bras et retourna dans le hall d’entrée. Le petit garçon s’était endormi.
Sarah appela un taxi, mais on leur demanda d’attendre que la tempête cesse.
Ils patientèrent en silence, Christopher caressant les cheveux de Simon comme s’il voulait absolument être certain qu’il ne vivait pas un rêve éveillé.
Dehors, l’orage grondait sous des rideaux de pluie chahutés par des bourrasques de vent. La tempête soufflait si fort que la silhouette longiligne des cyprès se courbait en des angles approchant la rupture.
— La clé et les documents ! se rappela soudain Christopher.
Sarah avait comme lui oublié les preuves qu’elle avait cachées dans un buisson au bord de la route.
Elle se rua dehors.
— Sarah, non, c’est trop dangereux !
En l’espace d’une poignée de secondes, Sarah se retrouva aussi trempée que si elle était tombée à l’eau. Alors qu’elle courait, ses pieds disparaissaient dans les profondes flaques d’eau qui s’étaient formées sur le chemin et, à plusieurs reprises, elle manqua perdre l’équilibre sous les rafales de vent.
Du hall d’entrée, Christopher la vit se fondre derrière l’écran que formaient les trombes d’eau en se disant que cette femme était définitivement hors du commun.
Quand Sarah atteignit enfin la cache des documents, elle ne put que constater qu’une puissante coulée d’eau avait arraché les buissons des bas-côtés, raviné la terre jusqu’à la roche et tout emporté sur son passage. Il ne restait plus rien. Elle parcourut quelques dizaines de mètres vers le bas de la pente pour découvrir qu’une bouche d’égout tentait d’avaler le torrent d’eau qui dévalait vers elle. Par acquit de conscience, elle inspecta les alentours, mais aucune trace de clé USB et encore moins de feuilles.
Elle regagna la villa.
En la voyant revenir les mains vides, Christopher comprit qu’ils venaient de perdre les preuves d’une découverte inestimable. Mais après tout, c’était peut-être mieux ainsi et puis, rien ne pouvait de toute façon être plus beau et plus important que de sentir Simon respirer dans ses bras.
Le petit garçon s’était endormi, et Sarah le couvrit d’un sourire affectueux en le regardant blotti contre son oncle.
Ils patientèrent à l’abri de la villa, en silence. Le taxi arriva une demi-heure plus tard, et ils se rendirent à l’hôpital pour faire examiner Simon. En chemin, Christopher lui demanda de ne pas dire la vérité au médecin. Qu’il était encore trop tôt. Qu’on en reparlerait plus tard, tranquillement une fois à la maison.
Le petit garçon fut pris en charge par une infirmière, à qui ils expliquèrent qu’ils étaient partis faire une randonnée dans le Parc du Mercantour et qu’à l’heure du pique-nique, leur enfant avait échappé à leur vigilance tandis qu’ils se disputaient. À un moment ils ne l’avaient plus entendu. Ils l’avaient cherché pendant près d’une heure avant de le retrouver en pleurs à l’abri d’un arbre. Simon avait l’air d’aller bien mais ils voulaient s’assurer qu’ils n’avaient pas raté une blessure, une piqûre ou quelque chose de ce genre.
L’infirmière leur adressa un regard de reproches et invita gentiment Simon à la suivre. Christopher et Sarah attendirent dans la salle d’attente parmi d’autres parents et accompagnants de malades dont certains feuilletaient des magazines froissés tandis que d’autres étaient absorbés par l’écran de leur smartphone.
Christopher acheta deux cafés au distributeur automatique et en tendit un à Sarah. Ils sirotèrent chacun leur boisson en silence en regardant les gens autour d’eux.
— Je sais que c’est un peu banal ce que je vais dire, mais ça me fait tellement bizarre d’être revenu à une espèce de vie normale, murmura Christopher. Là, au milieu de ces gens qui… qui ne savent pas. Je ne sais pas comment je vais faire pour revivre normalement.
Sarah posa la tête contre son épaule.
— D’expérience, le quotidien guérit beaucoup de choses, répondit-elle sans trop y croire.
— C’est gentil d’essayer de me mentir.
— Avec un enfant dont on doit s’occuper, je pense que c’est un peu moins un mensonge.
Christopher entoura les épaules de Sarah et la serra contre lui.
— Si Simon n’a pas besoin d’être hospitalisé, nous allons nous reposer une nuit à l’hôtel avant de prendre un vol pour Paris…
Elle baissa la tête, gênée, et se décolla lentement de l’étreinte de Christopher.
— Je… je dois rentrer à Oslo faire mon rapport. Désormais, j’ai les réponses à toutes mes questions, et je sais qui a tué ce… patient 488 et pourquoi, ajouta-t-elle. J’ai terminé mon enquête, je dois boucler le dossier et m’expliquer sur mon absence auprès de mes supérieurs. Et puis, je vais aussi témoigner de tout ce que j’ai vu et qui te dédouanera de toute poursuite. Il faut le faire vite pour t’éviter de gros ennuis. Dépose-moi à l’aéroport.
— C’est ton amoureuse ?
Simon venait de quitter le cabinet de l’infirmière. Il semblait en forme.
— Je, euh… balbutia Christopher.
— Simon va physiquement bien, annonça l’infirmière. Il n’a pas de blessures apparentes. En revanche, son état psychique m’a semblé fragile.
Christopher prit Simon dans ses bras d’un geste enveloppant et tendre avant de confier à l’infirmière qu’il était le père adoptif du petit garçon. Il ajouta que Simon avait perdu ses deux parents il y a peu et que cela expliquait la raison de sa fébrilité émotionnelle.
L’infirmière accorda un sourire affectueux au petit garçon avant de persiffler à l’attention de Christopher que cet enfant avait assez souffert et méritait un père adoptif un peu plus attentif et responsable. Elle décocha un regard de reproche à Sarah et s’éclipsa en poussant un profond soupir.
Christopher accusa le coup en hochant la tête d’un air d’approbation. Après tout, cette infirmière n’avait pas complètement tort.
— Alors, c’est ton amoureuse ? insista Simon en regardant Sarah qui les observait avec tendresse.
— Tu dormais dans le taxi, alors je ne te l’ai pas présentée. Voici Sarah. C’est aussi en grande partie grâce à elle que tout s’est bien terminé…
Simon hocha la tête avant de se renfrogner de surprise devant la moitié du visage sans cils ni sourcils de Sarah.
— Qu’est-ce que tu t’es fait à l’œil ?
— Eh bien…
— Sarah est une femme douée pour énormément de choses, intervint Christopher. Mais elle ne sait pas s’épiler. C’est son seul défaut.
Sarah sourit.
C’était la première fois que Christopher voyait son visage s’éclairer et il en fut intimidé.
Sarah le remarqua.
— Eh oui, je sais sourire aussi et même rire.
— J’y suis pour quelque chose ?
— Non. Rien à voir, c’est le décalage horaire, c’est tout, lança-t-elle en décochant un clin d’œil à Simon.
— Tu rentres à la maison avec nous ? demanda le petit garçon plein d’espoir.
— Non. Je dois retourner chez moi, en Norvège. J’ai beaucoup de travail qui m’attend là-bas.
Un nœud de tristesse dans le ventre, Christopher brûlait de lui demander pourquoi elle refusait de venir avec lui.
Pour une autre femme, il aurait probablement cédé à l’impérieuse tentation de la convaincre. Mais s’il avait compris une chose du peu de temps qu’il avait passé avec Sarah, c’est qu’elle n’aimait pas qu’on lui force la main et encore moins qu’on cherche à savoir ce qu’elle voulait garder caché. Alors, même s’il en souffrait, il respecta son choix.
— On va accompagner Sarah à son avion et ensuite, on ira se reposer.
Simon sembla déçu à son tour, mais se résigna.
Dans le taxi les conduisant vers l’aéroport, le petit garçon s’endormit abandonné à la confiance que lui procurait la présence de Christopher.
Une fois déposés devant le terminal des départs, Christopher insista pour accompagner Sarah jusqu’aux portillons d’embarquement. Il souleva Simon assoupi dans ses bras et marcha à ses côtés.
Une voix intérieure lui disait de briser cette abnégation imbécile, qu’une femme préférerait toujours l’amour à la révérence. Qu’il devait avoir le courage de lui dire qu’il était amoureux. Mais ne risquait-il pas au contraire de la braquer et de la faire fuir définitivement en lui parlant trop franchement ? Il n’avait plus qu’une poignée de minutes pour se décider.
Sarah acheta un billet pour le premier vol au comptoir de la Norwegian et quand ils furent devant le passage des douanes, elle ralentit le pas.
Christopher sentait son cœur battre si fort dans sa poitrine. Des mots confus faisant trembler ses lèvres. Comment lui dire tout ce qu’il lui devait ? Comment lui dire qu’il avait découvert la femme à la fois la plus impressionnante et la plus généreuse de sa vie ? Comment lui faire comprendre qu’il n’avait jamais ressenti cela pour personne et qu’il ne voulait plus la quitter de toute sa vie ?
Elle le regarda, comme si elle entendait chacune de ses pensées.
Elle s’approcha de Christopher et lui prit une main.
— Je sais, se contenta-t-elle de dire. Mais je ne peux pas. Je dois régler certaines choses avec mon passé avant de pouvoir reconstruire ma vie, Christopher. Et je ne sais pas combien de temps cela va prendre. Ne m’attends pas.
— Laisse-nous une chance, Sarah.
— Si je ne fais pas ce ménage dans mon existence, je te rendrai malheureux.
Elle serra un peu plus fort les doigts de Christopher, se hissa sur la pointe des pieds et l’embrassa en lui caressant la joue.
Puis elle passa une main sur les cheveux de Simon et lui déposa un baiser sur le front.
— Christopher, tu es la meilleure chose qui ait pu arriver à cet enfant.
— Sarah !
Christopher avait trouvé la force de soutenir péniblement Simon d’un seul bras pour retenir Sarah de l’autre.
Déchirée par la décision qu’elle venait de prendre pour leur bien à tous les deux, les yeux brûlants de tristesse, elle le regarda une dernière fois.
— Si ce n’est pas dans cette vie, alors ce sera dans l’autre, murmura-t-elle.
— Je t’attendrai dans celle-là.
Elle sourit avec douceur, se retourna et avança sans s’arrêter jusqu’au poste de douane.
À un moment, il sembla à Christopher qu’elle ralentissait sa marche, mais elle finit par disparaître au coin d’un couloir.
Il resta ainsi plus de dix minutes, espérant chaque seconde la voir réapparaître.
— Elle est partie ?
Christopher sursauta. Simon venait de se réveiller dans ses bras.
— Oui.
— Pour toujours ?
Christopher se pinça les lèvres.
— Je ne sais pas.
— Tu l’aimais bien ?
— Oui.
— Alors, pourquoi tu l’as laissée partir ?
Christopher inspira une grande goulée d’air.
— Justement parce que je l’aime.
Simon ne répondit pas et reposa la tête sur l’épaule de Christopher qui le serra dans ses bras.
— Je veux rentrer à la maison, dit le petit garçon.
— Oui, mon chéri. On rentre.