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L’aube de ce glacial jeudi 18 février se levait à peine et le SUV 4 × 4 dévorait l’autoroute. Sarah devait rouler à près de 150 km/h en direction d’Holmestrand, un modeste port de bord de mer où son adjoint avait localisé la résidence d’Olink Vingeren, l’ancien directeur de Gaustad.
Après avoir terminé sa nuit pendant quelques heures dans le même hôtel que la veille, Sarah avait avalé un smoothie, croqué une pomme et pris la route vers 5 heures du matin.
Olink était sans doute sa dernière piste pour remonter jusqu’à celui ou ceux qui avaient fait interner le patient 488 à Gaustad trente-six ans plus tôt. Les perquisitions chez le professeur Hans Grund et les trois surveillants n’avaient rien donné de concluant.
Plongée dans ses pensées, Sarah ne vit le panneau de sortie de l’autoroute qu’au dernier moment. Elle freina et braqua. La voiture partit dans un tête-à-queue. Sarah relâcha la pédale de frein, réaccéléra et contrôla la trajectoire dans un enchaînement de réflexes de conducteur aguerri. Le véhicule chassa de gauche à droite dans un vacarme de crissement de pneus et évita le tonneau de justesse. Ralentissant l’allure, Sarah se dirigea vers la bande d’arrêt d’urgence, coupa le moteur et resta sans bouger, blanche, le cœur frappant contre sa poitrine.
Tremblante, elle réprima une nausée puis passa une mèche de cheveux humides de sueur derrière son oreille. Rentrer chez elle, se reposer et mettre de l’ordre dans sa vie privée était la seule décision raisonnable à prendre. Et pourtant, cette tâche en apparence simple lui semblait encore plus insurmontable que l’obscure enquête à laquelle elle était confrontée.
Elle vida ses poumons dans un souffle interminable puis redémarra avant que le doute sur ses capacités ne s’installe de nouveau.
Elle repassait en boucle chaque élément de son enquête quand son portable vibra. C’était Stefen Karlstrom. Elle décrocha.
— Oui ?
— Tu es où ?
— Peut-être sur le point de tout comprendre.
— C’est-à-dire ?
— Je vais chez le psychiatre qui dirigeait Gaustad dans les années soixante.
— Qu’est-ce qu’il a à voir avec ce qu’il se passe aujourd’hui ?
— Il va peut-être nous aider à comprendre pourquoi le directeur a sabordé son hôpital. En gros, ce qu’il pouvait avoir envie de cacher.
— OK. J’attends ton appel.
Sarah raccrocha et, une heure plus tard, passa le portail d’une vieille propriété de campagne isolée. Les pneus craquèrent sur la neige immaculée alors qu’apparaissait la maison, juchée sur une butte, encerclée par une forêt paralysée de froid. En contrebas, elle aperçut un immense lac et une barque prise dans la glace. On n’entendait pas un bruit et la fausse lumière grisâtre d’hiver donnait au lieu un air absent. Comme si rien ne pouvait plus jamais arriver ici.
Quand elle frappa à la porte de la maison, l’air était encore plus froid qu’à Oslo et Sarah sentait qu’elle ne tiendrait pas longtemps sans bouger. La porte s’ouvrit finalement sur le visage d’un vieillard qui la détailla de la tête aux pieds.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
Sarah avait devant elle un homme fatigué, qui ne devait plus rien attendre de la vie.
— Je suis l’inspectrice Geringën. Le patient 488 est mort, et j’aimerais vous poser quelques questions.
À la mention du patient 488, le regard éteint d’Olink Vingeren s’anima. Il considéra Sarah un instant de plus, soupira et lui tourna le dos en laissant la porte ouverte.
Une odeur de renfermé agressa les narines de Sarah quand elle entra. La vie s’était arrêtée ici il y a bien des années et même la poussière semblait d’époque. Olink avançait voûté, d’un pas traînant. Ils traversèrent le salon sans dire un mot, passant devant des meubles rustiques chargés de bibelots et deux antiques fauteuils vert foncé dont l’appuie-tête était recouvert d’un napperon en dentelle. Dans le silence du lieu, seul le grincement du parquet sous leurs pas faisait écho au lancinant balancier d’une horloge.
Quand ses yeux se furent habitués au manque de luminosité, Sarah s’étonna de l’originalité des cadres qui ornaient les murs. Dans le premier, on voyait un dessin au trait noir de la coupe d’un visage humain vu de profil, l’œil grand ouvert et le cerveau représenté en détail. Devant l’œil, un outil de forme pointue était tenu par une main. Une flèche indiquait le sens dans lequel frapper. Une notice pour la lobotomie.
— Cette pratique était à l’époque considérée comme une découverte majeure pour aider les malades, mademoiselle Geringën. Imaginez ces gens prisonniers de leur cerveau, souffrant de maux indescriptibles que l’on réussissait soudain à soulager. C’était un miracle.
Sarah savait ce qu’elle aurait répondu en temps normal, mais elle ne voulait pas vexer le témoin de sa dernière chance.
— Chaque époque a ses certitudes et le présent est parfois prétentieux lorsqu’il juge le passé.
Olink Vingeren prit place dans un fauteuil en cuir en laissant échapper un soupir de soulagement.
— Je ne sais pas si vous dites cela pour m’amadouer, mais cela me plaît de l’entendre.
Puis il proposa à Sarah de s’asseoir avant de demander :
— Alors, il a vécu jusqu’à aujourd’hui ?
— Jusqu’à hier plus précisément.
— De quoi est-il mort ?
— De peur.
L’ancien directeur de Gaustad dirigea son regard vers le sol et hocha la tête, sans répondre. Comme si cette révélation ne le surprenait pas.
— Monsieur Vingeren, je sais le secret et la menace qui ont entouré le patient 488 au cours de toutes ces années… Mais aujourd’hui, il n’est plus de ce monde, votre contrat a été rempli. J’ai besoin que vous me disiez tout ce que vous savez sur cet homme.
— Vous avez de la chance, inspectrice. Tout le monde est parti autour de moi. Je n’ai plus personne à protéger. Plus personne à aimer. J’attends la mort, je suppose… Que voulez-vous savoir ? Et pourquoi ?
Sarah s’assit à son tour et lui fit le récit détaillé des derniers événements jusqu’aux révélations de Hans Grund. Quand elle eut terminé, Olink Vingeren avait le visage grave.
— Alors, ils sont toujours en veille, dit-il. Après toutes ces années, ils n’ont pas abandonné et ont même trouvé le moyen de voler le corps…
— De qui parlez-vous ?
— Oh, je vais vous raconter, mais je doute que cela vous aide à y voir plus clair.
Olink caressa le cuir patiné de son accoudoir, se replongeant dans de vieux souvenirs.
— Tout a commencé le jour où j’ai reçu un coup de téléphone du ministre de la Santé de l’époque… On était au début des années soixante-dix. Le ministre m’a dit que j’allais bientôt recevoir la visite de deux hommes qui viendraient me confier un patient et que je ne devrais poser aucune question. Que cela relevait de la sécurité nationale, qu’il n’en savait pas plus, mais que l’ordre provenait des plus hautes instances… des instances qui n’hésiteraient pas à utiliser ma femme et mes enfants comme moyen de pression en cas de non-respect des règles que m’édicteraient les deux agents.
Sarah décolla son dos du dossier et posa les avant-bras sur ses genoux, les mains jointes entre les jambes, attentive.
— On était encore en pleine guerre froide, ajouta Olink, et ce genre de menace avait encore plus de poids qu’aujourd’hui.
— OK, continuez, approuva Sarah, dont le contexte historique lui semblait effectivement propice au chantage et à la paranoïa.
— Les agents en question se sont présentés un soir avec un homme à moitié endormi et dont le front était marqué par une vilaine cicatrice. Celle que vous avez vue… le 488. Ils m’ont contraint à enfermer l’homme dans une cellule en évitant tout contact avec les autres patients. Ils ont ajouté qu’on allait me livrer un appareil spécial que je devrais utiliser tous les jours sur ce sujet après l’avoir traité au LS 34. Je devrais minutieusement consigner ses réactions sur un carnet. Si l’existence du patient risquait d’être dévoilée, il fallait détruire toutes les preuves de son passage… Quitte à incendier l’établissement en entier grâce au dispositif de mise à feu qui serait bientôt installé. Quelle histoire, quand j’y repense, songea Olink à voix haute. Quelle horrible histoire…
— Ces hommes vous ont-ils dit autre chose ? relança Sarah.
— Quand je leur ai demandé combien de temps je devrais garder cet homme, ils m’ont répondu qu’il resterait là jusqu’à sa mort. Puis ils sont partis et je n’ai plus jamais eu de leurs nouvelles. Et pour ne pas avoir d’ennuis, j’ai appliqué leurs consignes jusqu’à en confier la succession au professeur Hans Grund.
— Qui étaient ces agents, selon vous ? C’est bien le ministre de la Santé de l’époque qui vous a prévenu de leur arrivée dans votre hôpital ?
— Oui, oui, on était amis à l’époque.
— Et vous ne lui avez jamais demandé de vous en dire plus ?
Olink laissa échapper un discret rictus.
— Si… mais lui-même n’en savait pas plus que moi. Il appliquait une directive qui venait de plus haut.
— De la présidence ? s’étonna Sarah.
— Je ne sais pas. Vous savez, la Seconde Guerre mondiale n’était pas loin, des alliances avaient été conclues entre plusieurs pays et, comment dire, ils se donnaient des coups de main sur certains dossiers encombrants.
— Vous pensez à quel pays ?
Olink jugea Sarah comme un professeur étonné de voir son élève ignorer une réponse si élémentaire.
— Les États-Unis. Je ne vois qu’eux pour imposer leur volonté à la Norvège sans qu’on leur pose plus de questions.
— Mais pourquoi ne pas avoir gardé cet homme sous contrôle auprès d’eux, pourquoi l’avoir mis dans cet hôpital loin de tout ?
— Je ne sais pas. Ils avaient certainement leurs raisons. En revanche, je pense qu’ils ont conservé un lien avec lui.
— Vous voulez dire un informateur au sein de l’hôpital ?
— Je ne vois pas comment ils auraient pu faire autrement pour s’assurer que tout se déroulait comme ils l’avaient demandé.
Olink n’avait pas l’air inspiré par la question.
— Il y a bien trop de personnel dans cette structure et je n’ai jamais repéré de comportement particulièrement suspect. J’ai cherché pendant un moment, mais à l’époque, la menace avait du sens, ma femme et mes enfants étaient encore là. Je n’ai donc pas insisté.
Le vieil homme détourna le regard vers une photo posée à côté de lui.
— Et le LS 34 ? D’où venait-il ?
Olink ne répondit pas, perdu dans des souvenirs que lui seul connaissait. Sarah se racla la gorge pour le ramener à la réalité. Il reprit la discussion comme s’il ne s’était pas arrêté.
— Aucune idée.
— D’accord, mais qu’est-ce que vous pouvez me dire sur le LS 34 ? Quel genre d’état était-il censé générer ?
— C’est un psychotrope hallucinogène utilisé pour désinhiber. Autrement dit pour libérer les blocages provoqués par certaines maladies mentales. On s’en servait à l’époque lors de thérapies psychanalytiques sur des patients dits fermés pour les aider à parler et à dénouer leurs névroses. Quand cela fonctionnait…
— Ça me rappelle le LSD.
— C’est de la même famille. Un dérivé de l’ergoline, vous savez, l’ergot de seigle qui provoquait des hallucinations au Moyen Âge. C’est la même chose. Sauf que le LS 34 était censé être encore plus puissant que le LSD.
— Les gribouillages sur les murs de sa chambre sont-ils le fruit des états provoqués par cette molécule ?
— Les gribouillages ? reprit Olink, étonné.
— Eh bien… à première vue oui. Pourquoi semblez-vous surpris ?
— Avez-vous pris des photos des murs de sa chambre ?
— Oui…
Sarah tira de sa poche son téléphone et l’orienta vers le vieux directeur après avoir ouvert le dossier correspondant.
— Ça n’a pas changé… Il a continué à toujours dessiner les mêmes formes.
— Quelles formes ? s’étonna Sarah en zoomant sur les clichés.
— Ah… astucieux et performant comme système, apprécia Olink. Désormais, vous devriez les voir clairement.
Sarah fit l’effort de suivre certains traits.
— Regardez bien… insista Olink, et dites-vous que cet homme a dessiné quelque chose qui a du sens, ça aidera votre cerveau.
Sarah observa de nouveau son écran avec acuité. Elle exécuta rapidement quelques manipulations jusqu’à obtenir un zoom encore plus précis des photos. Et cette fois, son cœur s’emballa.
— Un arbre ? chuchota-t-elle.
Ses yeux sautaient d’un côté à l’autre de la photo, sa tête s’inclinant à gauche, puis à droite.
— Un poisson ? Et… là, on dirait une flamme.
Olink acquiesça en silence.
— Regardez les autres pans de mur, lui conseilla le vieillard.
Mais Sarah était déjà en train de le faire et laissa échapper un souffle de stupeur. L’intégralité des graffitis des murs de la chambre étaient en réalité composés des trois mêmes formes emmêlées et répétées à l’infini : un arbre, un poisson et une flamme.
— Alors, vous voyez, conclut Olink. Le poisson, l’arbre et la flamme…
— C’étaient déjà les mêmes dessins à l’époque ?
— Depuis toujours.
— Vous lui avez demandé ce que ça voulait dire ?
— Une fois, mais ça l’a mis dans un tel état que je n’ai pas réitéré l’expérience.
Sarah n’en revenait pas que cet homme ait dessiné sur ces murs ces trois mêmes formes pendant plus de trente ans. Pourquoi cette obsession ? En quoi était-elle liée au fameux sommeil noir dont avait parlé Janger ? Olink en savait peut-être plus.
— J’imagine que vous avez quand même réfléchi à la signification de ces trois formes au cours des années…
— Oui, et il y a une chose que j’ai pu établir avec certitude, c’est que ces dessins ne représentent que des éléments intemporels. Autrement dit, ni avion, ni voiture, ni maison, ni visage… comme si les symboles qu’il dessinait étaient hors du temps. Mais je ne sais pas pourquoi ces formes l’obsédaient.
— Les infirmiers qui s’occupaient de lui m’ont aussi parlé d’une espèce de cri qui…
— Ah, le cri du patient 488. Cette note ou ce son qu’il ne trouvait jamais et qu’il cherchait en vain. Comme s’il l’avait oublié et essayait en permanence de s’en souvenir. Un mystère…
— Lié aux dessins ?
— Aucune idée, mais il est probable que cette névrose ait la même origine.
— Est-ce que le LS 34 a pu déclencher le décès du patient ? Je veux dire par là, provoquer une hallucination si terrifiante qu’elle l’aurait foudroyé de peur ?
Olink posa la main sur son front dans une attitude de réflexion.
— Oui et non… finit-il par répondre. De ce que vous me dites et de ce que je sais des propriétés du LS 34, je ne pense pas que ce soit une hallucination qui ait provoqué cette peur fatale. Même dans un état de léthargie comme devait être celui du patient 488 au moment des faits, le cerveau parvient encore à faire la distinction entre l’imagination et le réel. Un peu comme lorsque vous rêvez que vous mourez, vous vous réveillez parce que votre cerveau sait que ce n’est pas vrai. Le patient 488 n’est donc pas mort d’une hallucination, mais d’un souvenir. Un souvenir refoulé que le LS 34 a ramené à la conscience et qui a entraîné la fin que nous savons.
— Cet homme a donc par le passé vu ou entendu quelque chose de si terrible que son seul souvenir l’aurait tué…
Olink opina du chef.
— Mais quelle pensée peut tuer un homme de peur ?
L’ancien directeur eut un sourire ironique.
— La vie nous tuerait tous si nous n’avions pas l’oubli, madame Geringën. Cet oubli qui fait que nous ne pensons pas chaque seconde à l’absurdité de notre existence. Nous vivons sans savoir d’où nous venons et nous mourons sans savoir où nous allons. Comment vivre entre les deux ? Comment ne pas être paralysé par cette absence de sens ? C’est logiquement impossible. Et pourtant, la majorité y parvient et fait un peu comme si de rien n’était. Mais imaginez que vous soyez forcée de penser cet absurde sans rien pouvoir faire d’autre, pas sûr que vous survivriez. C’est le genre d’état qui peut nous traverser lorsque nous sommes confrontés de près à la mort d’un proche. Mais…
Olink termina son développement en secouant la tête, comme s’il n’était pas satisfait de sa conclusion. De son côté, Sarah essaya de faire abstraction des pensées douloureuses que ce raisonnement faisait remonter en elle.
— Mais quoi ? reprit-elle. Vous avez l’air de dire que cela ne correspond pas au cas du patient 488.
— Eh bien, il y a ces dessins qui changent tout. En termes pathologiques, ils sont clairement l’expression de quelque chose de traumatisant que le patient essayait de rendre intelligible. À travers eux, il tentait de dire quelque chose, ou tout du moins d’exprimer rationnellement un souvenir qui le hantait. Un souvenir précis et plus concret que cette confrontation au non-sens de la vie.
L’horloge du salon se mit en branle et sonna onze coups. Déjà 11 heures, se dit Sarah, et toujours aucune piste sérieuse.
— Voulez-vous boire quelque chose, inspectrice ?
— Non, merci. Écoutez, monsieur Vingeren…
Mais le vieil homme se leva avant qu’elle ait terminé sa phrase et traîna sa carcasse fatiguée jusque dans une pièce adjacente.
Sarah n’osa l’interrompre et entendit des bruits de casseroles. L’attente se transforma en impatience. Il reparut cinq minutes plus tard, une tasse et une théière posées sur un plateau qu’il tenait de façon approximative.
— Tout ce que vous me racontez est fort intéressant et intrigant, monsieur Vingeren, dit Sarah à peine avait-il mis un pied dans le salon, mais il me faut au moins une information qui m’aide à remonter jusqu’au coupable. Au moins une…
Olink se servit une tasse comme s’il n’avait pas entendu, but une gorgée et se rassit en savourant la saveur du thé.
— Je suis désolé, je ne vois pas ce que je peux vous dire de plus. Désormais, vous en savez même plus que moi sur cette affaire.
Ça ne peut pas se terminer comme ça, s’effraya Sarah.
— Je vois votre abattement, inspectrice, et je regrette de ne pouvoir vous aider plus. La chose certaine dans cette histoire, c’est que ceux qui se cachent derrière cette manipulation doivent jouer gros. Et leurs recherches doivent être sacrément ambitieuses pour courir sur autant d’années. Rendez-vous compte, cet homme a débarqué le 24 décembre 1979, il y a trente-six ans aujourd’hui. C’est exceptionnel.
Sarah releva la tête brutalement.
— Le 24 décembre 1979. Vous êtes sûr ?
— Écoutez, j’étais en train de courir après les derniers cadeaux de Noël pour mes enfants quand l’infirmier de service m’a dit qu’il y avait une urgence et que je devais venir tout de suite. J’ai dû tout abandonner sur place et foncer à Gaustad. Les deux hommes dont on m’avait annoncé la venue m’y attendaient et, comme prévu, m’ont demandé de garder ce patient dans le secret le plus absolu. Je peux vous dire qu’un Noël comme ça, on s’en souvient.
— Monsieur Vingeren, à qui avez-vous confié le patient le premier jour ? C’est très important.
— Le surveillant de garde m’a aidé le premier soir. Il s’en est d’ailleurs pas mal occupé, mais c’est moi qui étais le plus présent, en tout cas pendant le premier mois.
— Comment s’appelait le surveillant de garde, cette nuit-là ?
Olink pouffa.
— Vous plaisantez ? Comment voulez-vous que je me souvienne de cela ?
— Ce n’est pas grave. Je crois que j’ai trouvé le contact de ceux qui vous ont fait chanter toutes ces années.
Sarah se leva sous le regard surpris de l’ancien directeur.
— Merci.
— Madame Geringën, je ne vous connais pas, mais vous savez, j’ai passé ma vie à ausculter et à sonder les âmes. Même si vous essayez de le cacher, il y a quelque chose de bon et de fragile en vous. Soyez vigilante. Ceux qui tirent les ficelles de cette histoire n’ont pas duré quarante années pour rien.
Sarah remercia l’ancien directeur, puis sortit pour regagner sa voiture. Elle démarra à toute vitesse.