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Sarah parvint devant l’entrée blindée du secteur C. Les deux techniciens l’y attendaient déjà, leurs masques baissés sur la gorge. Un brun, élancé, mince, figé dans une expression austère, et une femme d’une trentaine d’années qui observait Sarah avec beaucoup d’attention. Avait-elle surpris sa main qu’elle avait plongée dans la poche de son jean pour tenter d’en dissimuler les tremblements ?
Alors qu’elle guettait l’arrivée de l’officier Nielsen et du directeur en se demandant pourquoi ils mettaient autant de temps, le portable de Sarah vibra dans sa poche. Un message.
Salut grande sœur. T’as pas oublié l’anniversaire de Moira ce soir ? Elle fête ses 5 ans… On vous attend à la maison pour 7 h ? Je t’aime. À ce soir.
P.S. : en PJ, une photo de tes 5 ans que j’ai retrouvée.
Espérant que cela l’aiderait à dissiper son malaise, Sarah toucha la vignette de la photo pour l’agrandir. Apparurent en gros plan les frimousses de deux petites filles rousses illuminées par la lueur joyeuse de cinq bougies plantées sur un gâteau. Joue contre joue, elles s’apprêtaient à souffler, mais un fou rire avait dû les surprendre et leur bouche grande ouverte dévoilait leurs dents de lait.
Sarah regretta d’avoir ouvert la photo et n’eut cette fois ni la force ni le temps d’empêcher l’angoisse de se répandre en elle.
— Vos enfants ? demanda la technicienne scientifique.
La question sembla lointaine. Les premiers fourmillements montèrent dans les extrémités de ses jambes et de ses doigts. L’endroit où elle se trouvait commençait à lui devenir étranger. Ne restait plus en elle que la pensée tétanisante du désastre qu’était désormais sa vie d’adulte, si loin de ses rêves d’enfant.
La gorge comme obstruée par une barre de métal, elle marcha droit devant elle, mue par une crainte presque plus forte encore. Celle de se retrouver prostrée à même le sol sous le regard médusé de l’équipe scientifique, de l’officier et du directeur de l’hôpital qui allaient arriver d’une seconde à l’autre.
Dans l’agitation de ses pensées, elle se souvint d’avoir croisé des toilettes sur son chemin. Mais la porte par laquelle elle voulut passer s’ouvrit pour laisser place à l’officier Nielsen précédé de la haute silhouette du directeur.
— Est-ce que vous pourriez au moins m’informer de ce qu’il se passe ? l’interpella le directeur.
Ignorant la question, Sarah le contourna.
Elle aperçut bientôt les toilettes, se précipita dans la première cabine, verrouilla la porte et s’assit sur la cuvette. Les lèvres pincées, elle s’efforça d’inspirer calmement par le nez alors que la peine frappait contre sa poitrine.
Les cris d’Erik lui étaient brutalement revenus en tête : « On s’est perdus, Sarah ! On s’est perdus à force de ne faire exister notre couple qu’à travers cet unique et putain de projet d’enfant ! »
C’était ainsi qu’il se justifiait de l’avoir trompée et de la quitter.
Alors oui, elle avait peut-être trop voulu ce bébé au détriment de son couple. Oui, elle s’était battue avec son corps, avec son âme pour ne pas fléchir dans cette épreuve et, forcément, elle avait moins donné à Erik. Mais jamais elle ne lui avait fermé ses bras ou son écoute. Jamais. Alors pourquoi ne lui avait-il pas fait part de ses craintes avant qu’il ne soit trop tard ?
Sarah sentait au fond d’elle qu’elle détenait la réponse et la douleur n’en était que plus aiguë : s’il n’avait rien dit, c’est qu’il n’en avait pas envie.
— Inspectrice ? Tout va bien ? cria l’officier Nielsen de sa voix puissante.
La peur d’être surprise dans un tel état de détresse fouetta l’esprit de Sarah. Une brève lueur de raison parvint à se faire entendre dans le chaos de ses émotions : son travail était la dernière chose qui tenait encore debout dans sa vie. Elle devait s’y accrocher comme un naufragé à sa bouée.
— Vous êtes sûre que tout va bien ? insista l’officier.
— Rejoignez le directeur !
— À vos ordres, madame.
Quand Sarah quitta les toilettes trois minutes plus tard, elle se sentait épuisée. Elle rejoignit le couloir où l’attendaient l’officier Nielsen, et les techniciens scientifiques et le directeur. Tous la dévisagèrent. Mais Sarah ne leur laissa pas le temps de poser de questions.
— Qui se trouve dans cette zone C ? demanda-t-elle au directeur.
— La zone C ?
Comme à son habitude, Sarah ne confirma pas ce que son interlocuteur avait parfaitement entendu. Elle patienta.
— Comme je vous l’ai dit, les patients qui sont dans cette zone sont considérés comme dangereux. En ce moment, nous n’en avons qu’un, que vous connaissez mieux que moi : Ernest Janger. À cette heure-ci, il doit dormir. Son traitement est assez… fort.
— Quel est le numéro de sa chambre ?
— La C27, mais pourquoi voulez-vous aller dans ce secteur ? Vous risquez de réveiller un patient que l’on a toutes les peines du monde à apaiser…
Sarah posa son badge sur le capteur électronique. Un voyant vert s’alluma et la porte se déverrouilla dans un claquement mécanique.
— Vous venez avec moi, enjoignit-elle au directeur.
Elle entra la première, suivie de la police scientifique et de l’officier qui surveillait le directeur.
Le couloir au sol en caoutchouc vert, sans fenêtres, était éclairé de néons à très faible intensité. Sarah compta six portes au-dessus desquelles était inscrite la lettre C suivie d’un numéro. Une caméra de surveillance veillait dans un coin du plafond, au-dessus de l’entrée.
Quand elle passa devant la C27, Sarah ralentit l’allure et souleva le judas.
La chambre était plus exiguë que celle du secteur A et ne comportait aucune fenêtre. Une ampoule nue fixée au plafond projetait une lumière crue sur un lavabo, un cabinet de toilette et un lit collé au mur de droite. Un homme blond et d’un physique malingre y était allongé, tourné vers le mur. L’espace d’un frisson, Sarah repensa aux abominations dont cet homme s’était rendu coupable.
— Voilà, vous l’avez vu, chuchota le directeur.
Sarah referma le pan du judas et poursuivit dans le couloir.
— Il n’y a plus personne après. Comme je vous l’ai dit, Janger est l’unique patient de ce secteur.
Sarah continua à marcher sans se retourner. Arrivée devant la cellule C32, elle s’arrêta.
— Ouvrez cette pièce.
Le directeur lissa sa cravate. Et cette fois, Sarah sut que ce geste trahissait un état de stress. D’ailleurs, il avait pâli.
— Pourquoi voulez-vous entrer ici ? C’est une cellule vide…
Sarah consulta sa montre en guise de réponse.
Le directeur s’humecta les lèvres et sortit un trousseau de sa poche. Il glissa la clé dans la serrure, la tourna à deux reprises et appuya sur la poignée en poussant un soupir.
La pièce était plongée dans l’obscurité. Sarah demanda une nouvelle paire de gants tactiles aux techniciens scientifiques, les enfila et enclencha l’interrupteur à gauche avant d’entrer. Le spectacle qui se dévoila sous yeux l’ahurit.
Chaque centimètre carré de mur était recouvert de milliers de graffitis, comme autant de pattes d’araignée qui auraient été collées les unes aux autres sur de la peinture blanche. De minuscules figures noires entrelacées dans un vertigineux chaos graphique. Comme si la pièce avait été contaminée par un obscur parasite.
Sarah passa sa main gantée sur l’un des murs et scruta l’enchevêtrement de traits, s’ingéniant à y distinguer une forme intelligible. Mais elle n’y vit qu’un amas de gribouillis.
— Je veux une reproduction photographique intégrale des murs de la pièce.
Puis elle regarda par terre.
— Et faites une recherche de traces d’urine.
Les deux policiers scientifiques s’équipèrent de nouvelles combinaisons et se couvrirent la tête de leur capuche.
— Que représentent ces graffitis ? demanda Sarah au directeur.
— Je n’en sais rien. C’est un ancien patient qui a fait ça. Il n’est plus là.
Elle n’avait même plus besoin de se retourner pour deviner sa fébrilité.
— Et vous n’avez jamais pris le temps de nettoyer les murs ?
— Pas encore, comme je vous l’expliquais, cet endroit est peu fréquenté et nous n’avons pas assez de personnel pour tout gérer. Ce n’était pas une priorité.
— C’est ici qu’il est mort ?
— Pardon ?
Sarah s’assura que l’officier Nielsen était aux aguets, prêt à retenir le directeur en cas de fuite.
— Je sais que cette cellule est celle de la victime, assena-t-elle. Pourquoi avez-vous essayé de nous faire croire qu’il résidait dans le secteur A ?
— Vous racontez n’importe quoi ! s’emporta le directeur. Cette cellule était effectivement celle de 488, mais nous l’avons passé en zone A il y a deux jours parce qu’il nous semblait ne plus représenter aucun danger.
— Où Janger et la victime sont-ils emmenés chaque soir ? Qu’est-ce que vous leur faites subir ?
Le directeur eut l’air stupéfait.
— Mais de quoi parlez-vous ?
— De quoi est vraiment mort le patient soi-disant victime d’une crise cardiaque ? Pourquoi avoir déplacé le corps ? Ce sont ces dessins que vous vouliez garder secrets ? Pourquoi ?
— Bon, écoutez, puisque vous le prenez de cette façon, à partir de maintenant, pour toutes les questions que vous me poserez au sujet de ce décès, je demande à me faire assister d’un avocat.
Sarah s’attendait à cette réponse.
Elle rebroussa chemin en indiquant au directeur et à l’officier Nielsen de la suivre et s’arrêta devant la cellule C27.
— Pourquoi Janger est-il enfermé ici ? La zone est-elle seulement mieux sécurisée ou y a-t-il une autre raison ?
Le directeur eut un geste d’agacement et lâcha un brutal soupir.
— Mieux sécurisée, c’est tout ? Dois-je vous rappeler que Janger a violé et étranglé une dizaine de femmes dans son ambulance il y a environ cinq ans. Pour chacune d’entre elles, le calvaire a duré cinq jours. Alors oui, il est ici pour éviter une évasion. Et non, il n’y a pas d’autre raison. Je ne vois pas ce que vous insinuez.
— Dans combien de temps va-t-il se réveiller ?
— Je ne sais pas… D’ici trois ou quatre heures.
Sarah ne répondit pas, se contentant de déceler la peur dans le comportement du directeur.
— Écoutez, dans tous les cas, je préfère vous prévenir, malgré son traitement, Janger est encore très agressif. Et puis pourquoi vous voulez lui parler ?
— Parce qu’il connaissait 488, parce qu’il a peut-être vu ou entendu ce qui a causé sa mort et parce que, contrairement à vous, il n’a aucun intérêt à me mentir. Ouvrez la cellule.
*
Un infirmier trapu, au cou massif et aux oreilles décollées, ressortit de la cellule où était enfermé Ernest Janger. Son front luisait de sueur.
— La camisole est fixée. Il est réveillé, déclara-t-il essoufflé.
Hans Grund fit un pas en avant vers Sarah.
— Inspectrice Geringën. Si Janger a été calme jusqu’à aujourd’hui, c’est en partie parce qu’il est sous calmants et qu’il n’a pas vu une femme depuis plusieurs années… Ne le provoquez pas. Et laissez-moi intervenir si je sens qu’il faut le laisser tranquille.
— Officier Nielsen, raccompagnez M. Grund dans son bureau et restez avec lui jusqu’à mon retour. Je ne veux pas qu’il reste ici.
— Pardon ? Vous n’êtes pas sérieuse ?
Sarah posa la main sur la poignée de la porte. Le directeur lui agrippa le bras. Sarah le dévisagea. Hans Grund retira immédiatement sa main en reculant.
Sarah le toisa une dernière fois et entra dans la cellule où elle fut accueillie par une étouffante odeur de transpiration mêlée à des vapeurs d’éther. Le patient Ernest Janger était immobile, allongé en chien de fusil sur le lit, le dos tourné à sa visiteuse, prisonnier de sa camisole de force aux manches nouées sur le ventre.
— Bonjour, Ernest.
Le patient bascula lentement vers Sarah, découvrant cette apparence qui l’avait tant troublé à l’époque.
En lieu et place d’un être monstrueux, il présentait un visage presque enfantin, à la peau rosâtre et aux formes rondes.
Il observa Sarah et sourit, dévoilant un espace entre ses deux incisives du haut qui lui donnait un air encore plus naïf. Il ressemblait en fait à un garçon de la campagne aux boucles dorées que la vie au grand air aurait préservé des effets du temps.
Sarah se dirigea vers une petite table et une chaise fixées au sol à deux mètres du lit. Elle s’assit en croisant les jambes.
Janger la suivit du regard. Au départ, Sarah reconnut la lueur que beaucoup d’hommes laissaient transparaître quand ils la détaillaient. Mais la seconde d’après, toute réserve s’évanouit au profit de deux braises concupiscentes et avides.
Janger parvint à s’asseoir sur le rebord de son lit et se mordit la lèvre inférieure.
— Janger, connaissiez-vous le patient de la cellule C32 ?
Il leva les yeux vers le plafond, comme s’il réfléchissait.
— Inspectrice Geringën… comme la vie est imprévisible. Si vous imaginiez la joie que j’ai à vous revoir.
Sarah ne savait que trop ce que sous-entendait le mot joie dans la bouche de ce pervers.
— Je ne suis pas là pour parler de votre affaire, Ernest.
— Bien, bien… dommage, j’aurais eu plaisir à évoquer notre passé commun, susurra Janger en caressant son interlocutrice du regard.
Malgré l’expérience, Sarah ne put se défaire de ce sentiment de dégoût face à ce que dans son métier on appelait un viol visuel.
— Je suis là pour celui qu’on surnommait ici 488. Vous le connaissiez ?
— 488 ? Oui, je le connaissais… Mais pourquoi parlez-vous au passé ?
Sa voix s’était faite enjouée, agréable.
— Il est mort, répondit Sarah. Vous étiez… amis ?
— Ah, qu’est-ce qui lui est arrivé ?
— Nous ne savons pas encore exactement. Mais vous allez peut-être nous aider. Vous le connaissiez bien ?
— On était copains, même si, en cinq ans, il ne m’a jamais parlé.
— 488 était-il là hier soir ?
— Oui, il a crié, comme tous les soirs… Son cri à lui. Un truc moche… Vraiment moche. Et vous êtes bien placée pour savoir que j’en ai entendu, des cris. Mais vous savez, même à moi, celui-là, il m’a foutu les foies.
— Il criait donc tous les soirs. Savez-vous pourquoi ?
— Ça se pourrait bien…
Le sourire qui avait traversé le visage de Janger effaça brièvement toute trace d’innocence, juste avant qu’il ne reprenne son apparence joviale.
— Monsieur Janger ? interpella Sarah. Que saviez-vous de 488 ?
— Vous voulez savoir qui l’a tué ?
— Tué ? Vous pensez qu’il a été assassiné ?
— Tu veux que je te dise un truc, espèce de petite salope de flic ?
Sarah réprima un mouvement de recul. Le rythme de son cœur s’emballa. Elle devait s’y attendre, mais la confrontation à la réalité l’avait malgré tout surprise. Elle tenta une autre approche.
— Ernest, je sais que l’on vous emmène quelque part tous les soirs. Que l’on vous fait des choses. Dites-m’en plus. Je peux peut-être vous aider.
— C’est le sommeil noir qui l’a tué. Et je serai le prochain.
— Le sommeil noir ? C’est quoi ?
Janger fit pénétrer sa langue dans l’interstice de ses lèvres, et ses traits se déformèrent en un masque de colère.
— Je vais te soigner, toi aussi ! hurla-t-il en se levant droit comme un ressort.
Sarah contint difficilement un sursaut.
— Je vais te soigner comme les autres ! éructa Janger. On va jouer au papa et à la maman dans mon ambulance.
Puis il se rassit et se recomposa un air angélique.
— Ne vous inquiétez pas, je vous conduis à l’hôpital. Tout ira bien, madame, chuchota-t-il en couvrant Sarah d’un regard compatissant.
Lors de ses entretiens avec Janger par le passé, Sarah avait été confrontée à maintes reprises à cette folie. Et elle savait qu’elle devait au plus vite reprendre l’ascendant sous peine de lui donner confiance.
— Ernest ? C’est quoi ce sommeil noir ?
Janger parla d’une voix où transpirait la colère.
— Le directeur n’est pas celui que vous croyez… chuchota-t-il.
Sarah se redressa de façon imperceptible. Elle entendait la respiration bruyante du patient emplissant l’air comme le tic-tac d’un compte à rebours.
— C’est lui le vrai fou dans cet hôpital.
— Que vous fait-il ?
— Est-ce que tu m’aimes ?
— Ernest Janger. Je suis votre unique chance de soulager votre souffrance. Ne perdons pas un temps précieux.
— Personne ne m’aime. Alors, j’étais obligé de les forcer à me dire qu’elles m’aimaient. C’était tellement fort de les entendre me susurrer ces mots alors que quelques minutes avant, elles m’ignoraient dans la rue.
— Et aujourd’hui, c’est quelqu’un d’autre qui vous force à faire des choses que vous ne voulez pas, n’est-ce pas ?
— Me prends pas pour un con. Je sais très bien que tu joues la gentille pour me faire parler et, dès que t’auras eu ce que tu voulais, tu te casseras et tu m’oublieras, comme toutes les autres. Alors, tu sais quoi, déshabille-toi. Et dis-moi que tu m’aimes.
Janger regardait maintenant par en dessous, le menton baissé, le souffle de plus en plus bruyant, ses yeux fouillant l’objet de son désir.
Sarah chassa l’image sordide qui lui traversa l’esprit.
— Ernest. Je ne suis pas comme les autres. Quand je dis quelque chose, je tiens parole. Si je dis que je peux vous éviter une souffrance, c’est que je le peux. Il faut m’aider et je vous promets de vous aider. Pourquoi dites-vous que le directeur est… fou ?
— Déshabille-toi ! répéta Janger alors que ses jambes s’agitaient.
Sarah hésita puis releva lentement les manches de son pull, dévoilant une peau diaphane et crémeuse piquée de taches de rousseur.
Janger écarquilla les yeux comme s’il avait été foudroyé.
— Que vous font-ils ? répéta Sarah, sûre d’elle.
— Encore, enlève encore !
— Si tu veux en voir plus, réponds-moi.
Janger tapa du pied.
— Pas à moi, à 488 ! Ils le piquaient, je les ai vus ! Et puis après ils l’emmenaient là-bas pour le sommeil noir, c’est comme ça qu’il l’appelait. Et c’est ça qu’il dessinait sur ses murs !
— Avez-vous une idée du but des expériences qu’ils réalisaient sur lui ?
Janger commençait à avoir des tics nerveux et se mordait les lèvres de plus en plus fort.
— Si tu veux que j’en enlève plus, tu vas devoir être sage et me dire ce que tu sais, chuchota Sarah.
Le regard du meurtrier flamboyait de fantasmes qu’elle n’osait imaginer. Il émit une espèce de râle. Il tapait des pieds comme pour contenir ses pulsions.
— Janger…
— De toute façon, tu ne me croiras pas !
— Dis-moi !
Pour la première fois, Sarah avait élevé le ton.
— Enlève tout, ordonna Janger, son apparence enfantine déformée par la concupiscence.
Janger avait forcé sur sa camisole et se penchait d’avant en arrière.
— Que lui faisaient-ils exactement ? répéta Sarah en guettant la porte du couloir.
— Je sais pas, mais y avait que lui et lui seul qui pouvait supporter ce qu’ils lui faisaient, c’est tout ce que je sais !
Et soudain, il se projeta vers Sarah. Elle fut debout en un clin d’œil et esquiva Janger. Le détraqué sexuel se cogna contre la chaise fixée au sol et bascula par terre.
Sarah le saisit par les épaules, le redressa et le plaqua contre le mur, la joue écrasée contre la paroi.
— Tu te calmes, Janger. Je vais sortir de cette chambre et tu vas sagement rester ici en attendant que je parte. C’est bien clair ?
Il grogna en guise de réponse. Sarah raffermit sa poigne.
— T’as pas besoin de t’énerver, la rousse. Moi, je veux qu’une chose : que Hans Grund souffre comme il nous a fait souffrir. Punis-le de ma part.
Sarah relâcha sa prise. Janger se laissa glisser par terre, levant ses beaux yeux bleus d’enfant à l’air triste.
— J’aurais adoré t’avoir dans mon ambulance. Toi au moins, t’aurais pas couiné comme toutes ces truies.
Sarah marcha à reculons. Puis elle cogna du poing à la porte de la cellule et on lui ouvrit. Elle sortit et l’infirmier au cou de taureau referma vite derrière elle. L’officier Solberg la considéra comme si elle revenait d’entre les morts.
— Les renforts sont-ils arrivés ? demanda-t-elle.
— Pas encore.
— En attendant, vous restez ici.
Un doigt posé sur son oreillette, Sarah contacta l’officier Nielsen remonté dans le bureau du directeur.
— Appréhendez Hans Grund. Soyez méfiant. Ce type n’est peut-être pas qu’un intellectuel. J’arrive.
— Bien reçu.
Sarah retraversa les couloirs de l’hôpital au pas de course. Elle gravit en hâte l’escalier en colimaçon menant à l’étage et eut à peine le temps de tendre la main vers la porte du bureau du directeur que le battant s’ouvrit avec fracas. Elle se protégea le visage et tituba en arrière sous l’effet du choc. Devant elle, le directeur venait de surgir de son bureau et courait vers l’escalier.
L’équilibre incertain, Sarah s’empara de son talkie-walkie.
— Hans Grund est en fuite vers le secteur A ! Il est dangereux et peut-être armé.
Elle se pencha pour jeter un coup d’œil dans le bureau. L’officier Nielsen se maintenait adossé contre la bibliothèque, une main pressée contre son crâne ensanglanté. À ses côtés, un cube à photos en plexiglas, dont l’un des angles était maculé de sang. Il adressa un fragile signe de main à l’inspectrice pour lui signifier que ça allait.
Sarah se rua vers l’escalier en lançant un nouvel ordre.
— Et envoyez des secours à son bureau ! Un officier est blessé.
Sarah dévala les marches. Son entraînement lui permit de rattraper le directeur dont elle entendait le souffle et les pas juste au-dessous. Elle sauta les dernières marches à l’instant où Hans Grund disparaissait derrière une porte située sous l’escalier. Elle percuta le battant d’un coup d’épaule et déboucha dans un long couloir sale. Hans Grund n’était qu’à environ dix mètres devant elle. Il s’arrêta, se retourna vers elle et plongea la main dans sa poche intérieure.
Sarah réalisa qu’elle n’était pas armée.