CCLXXXIV – Le dîner sur la pelouse.
Au centre d’une immense pelouse qui semblait un tapis jeté au bas de son château, et vers lequel on descendait par les magnifiques degrés de pierre qui en formaient le perron, M. Gérard avait fait dresser une table autour de laquelle étaient assis onze individus que l’honnête châtelain avait invités, sous prétexte de dîner, mais, en réalité, pour parler des prochaines élections.
M. Gérard avait eu soin de limiter à onze le nombre des individus ; onze étrangers et le maître de la maison faisaient douze convives. M. Gérard serait mort de peur, ou tout au moins aurait fait un fort mauvais dîner, à une table où l’on eût été treize ; l’honnête homme était fort superstitieux.
Ces onze convives étaient les notables de Vanves.
Les notables de Vanves avaient accepté avec empressement l’invitation du seigneur du pays ; car M. Gérard pouvait être considéré comme le seigneur de Vanves. Ils professaient, pour l’honnête homme que la Providence avait fait leur concitoyen, un pieux respect, et l’on eût été mieux venu à leur contester la lumière du soleil en plein midi, qu’à mettre en doute la vertu sans égale de leur Job ; bourgeois envieux, vaniteux, égoïstes, ils semblaient oublier leur vanité, leur envie et leur égoïsme devant la modestie, le dévouement et l’abnégation de leur incomparable concitoyen ; nul, en effet, à Vanves et aux environs, n’avait à se plaindre de M. Gérard, et beaucoup, au contraire, avaient à s’en louer. Il ne devait rien à personne, et chacun lui devait quelque chose : celui-ci de l’argent, celui-là la liberté, un autre la vie.
La voix publique de Vanves et des bourgs environnants le désignait hautement pour aller siéger à la Chambre des députés ; quelques citoyens, plus fanatiques que les autres, avaient même murmuré le mot de Chambre des pairs.
Mais on leur avait fait observer qu’on n’entrait pas à la chambre des pairs comme à l’Académie ou au moulin ; c’était l’époque où le mot de Paul-Louis Courier avait fait fortune : que, pour entrer à la Chambre des pairs, il fallait faire partie de certaines catégories ; et, comme la Chambre des députés était un des moyens de parvenir à la pairie, ils s’étaient ralliés à ceux de leurs concitoyens qui proposaient de choisir M. Gérard pour un représentant du département de la Seine.
Deux ou trois jours auparavant, les notables du village étaient donc venus en députation, entretenir M. Gérard des sympathies ardentes de la population de Vanves à son endroit.
M. Gérard avait d’abord modestement décliné l’honneur qu’on voulait lui faire, déclarant qu’en son âme et conscience – ce qui pouvait bien être vrai –, il s’en trouvait indigne, ajoutant qu’il n’avait pas encore assez fait pour le pays, et particulièrement pour le pays de Vanves. Il s’accusait loyalement d’être un plus grand pécheur qu’on ne le supposait ; il se taxait même de grand criminel ; ce qui avait fait rire à gorge déployée un agriculteur rêvant une ferme-modèle, pour l’établissement de laquelle il comptait lui emprunter de l’argent, et qui était un de ses plus grands propagandistes.
On avait donc insisté, malgré ce refus formel de siéger à la Chambre ; et, après avoir dit à ses dévoués concitoyens : « C’est vous qui m’y forcez, messieurs ; c’est vous qui l’aurez voulu ; vous commandez et j’obéis ! » après avoir dit tout cela et beaucoup d’autres choses, M. Gérard avait fini par accepter et autorisé ses amis à poser sa candidature.
L’agriculteur, royaliste s’il en fut – bien qu’il eût peut-être dû choisir instinctivement pour symbole plutôt les abeilles que les lis, –, l’agriculteur se chargea d’annoncer dès le soir même, à tous les bourgs voisins, ce grand événement de l’acceptation de M. Gérard, et d’aller, au premier jour de repos que donneraient ses mouches –, l’agriculteur, en attendant sa ferme-modèle, faisait un grand commerce de miel –, et d’aller, disons-nous, faire publier cette candidature dans tous les journaux de Paris.
On comprend que M. Gérard ne laissa point partir la députation sans lui offrir d’abord des rafraîchissements de toute sorte, et sans l’inviter ensuite à dîner pour le jeudi suivant.
C’était à la suite de cette invitation, que les onze délégués se trouvaient assis à la table de M. Gérard ; car, comme on le pense bien, aucun n’avait manqué à l’appel, et, à en juger par les éclairs de gaieté qui jaillissaient des yeux de tous les convives, au moment où commence ce chapitre, nul n’avait eu à se repentir de son empressement à accepter l’invitation.
Et, en effet, c’était une après-midi fraîche et douce ; les mets étaient savoureux, les vins exquis ; il était six heures du soir, à peu près ; on était à table depuis cinq, et chacun essayait à tour de rôle de mettre à profit l’audace que lui inspirait une demi-ivresse pour faire de sa chaise une tribune, et de sa conversation une harangue, comme si, au lieu d’être à la fin d’un dîner en plein air, on eût été à la fin d’une séance en pleine Chambre.
L’agriculteur, lui, ne donnait des preuves de son existence et de sa présence réelle à ce festin, qu’en murmurant d’une voix enrouée, entre chaque discours, des phrases sans suite, dont la fin évidente était une louange immodérée de l’amphitryon, à la disposition duquel il mettait sa vie et celle de ses mouches.
Un notaire, presque aussi enthousiaste que l’agriculteur, avait lu, d’une voix de procureur, un toast où il comparait M. Gérard à Aristide, où il proclamait la supériorité des Vanvais sur les Athéniens, lesquels s’étaient lassé d’entendre appeler Aristide le Juste, tandis que les Vanvais ne se lassaient pas d’entendre appeler M. Gérard l’Honnête.
Un huissier retiré, qui faisait partie du Caveau moderne, avait chanté des couplets de circonstance où il avait annoncé que M. Gérard combattrait l’hydre de l’anarchie avec non moins de succès que le fils de Jupiter et d’Alcmène avait combattu l’hydre de Lerne.
Un médecin, qui faisait des recherches toxicologiques sur le virus rabique, avait rappelé une circonstance où M. Gérard, armé de son fusil à deux coups, avait délivré le pays d’un chien enragé qui y causait les plus grands ravages, et il avait bu à l’espoir que conservait la science de trouver un antidote à cette terrible maladie appelée la rage.
Enfin un jardinier fleuriste avait disparu un instant de la table, et était revenu avec une couronne de lauriers et d’œillets qu’il avait mise solennellement sur la tête de M. Gérard ; ce qui eût produit l’effet le plus attendrissant, si un méchant petit bossu qui s’était glissé dans l’honorable députation, on ne sait à quel titre, n’avait fait observer que les lauriers de la couronne étaient des lauriers-sauce, et les œillets, des œillets d’Inde.
Le ravissement était à son comble, la joie étincelait dans tous les yeux, la louange voltigeait sur toutes les bouches, aucun nuage n’avait assombri cette fête de famille ; c’était, en un mot, un enthousiasme universel, et chacun, à entendre tout le monde, eût donné à l’instant sa vie pour racheter une goutte du sang de ce grand citoyen qui avait nom M. Gérard.
On en était là de cette enivrante félicité, quand le domestique de M. Gérard vint annoncer à son maître qu’un monsieur inconnu demandait instamment à lui parler.
– Il n’a pas dit son nom ? demanda M. Gérard.
– Non, monsieur, repartit le domestique.
– Allez lui dire, repartit majestueusement le digne châtelain, que je ne reçois que les gens qui peuvent dire qui ils sont et pour quelle cause ils viennent.
Le domestique s’éloigna pour porter la réponse.
– Bravo ! bravo ! bravo ! crièrent les convives.
– Comme c’est bien dit ! fit le notaire.
– Quelle éloquence quand il sera à la Chambre ! dit le médecin.
– Quelle dignité quand il sera ministre ! exclama le bossu.
– Oh ! messieurs ! messieurs ! dit modestement l’honnête M. Gérard.
Le domestique reparut.
– Eh bien, cet inconnu, demanda M. Gérard, que veut-il, et de quelle part vient-il ?
– Il vient de la part de M. Jackal et veut vous dire que l’exécution de M. Sarranti aura lieu demain.
M. Gérard devint livide, son visage se décomposa avec la rapidité de l’éclair ; il bondit hors de la salle et suivit précipitamment le domestique, en disant d’une voix altérée :
– J’y vais, j’y vais !
Si enfoncés que fussent déjà les convives dans ce chemin aux mille méandres que l’on appelle l’ivresse, il n’y eut pas un des hôtes de M. Gérard qui ne remarquât l’impression faite sur celui-ci par la double nouvelle qui lui était annoncée.
Aussi, de même que, dans une éclipse de soleil, la nuit succède au jour, l’éclipse de M. Gérard amena un silence momentané à la place de la conversation bruyante que l’annonce du domestique avait interrompue.
Cependant, comme plusieurs étaient au courant, superficiellement du moins, de l’affaire de M. Sarranti, qui avait fait grand bruit, ce fut à cet angle que se raccrocha, pour ne pas mourir, la conversation des convives.
Le notaire prit la parole et expliqua comment le nom de M. Sarranti, prononcé devant l’honnête M. Gérard, ne pouvait pas manquer de faire vibrer jusqu’aux fibres les plus sensibles de cette âme délicate.
M. Sarranti, ou plutôt le misérable Sarranti, chargé de l’éducation des deux neveux de M. Gérard, était atteint et convaincu d’un double assassinat sur les deux enfants, assassinat accompli avec de telles précautions, qu’on n’avait pas même pu retrouver les cadavres.
La narration du notaire expliqua l’absence de M. Gérard et le nom bien connu de M. Jackal jeté dans cette annonce du domestique.
M. Sarranti, au moment de marcher à l’échafaud, avait sans doute eu des révélations à faire, et l’on envoyait, de la part de M. Jackal, chercher M. Gérard pour entendre ces révélations.
L’indignation contre Sarranti s’en augmenta. Ce n’était point assez d’avoir soustrait une somme considérable, d’avoir assassiné deux innocents, il choisissait encore, pour faire ses révélations, l’heure sacrée du repas, contrairement à cette sentence de l’auteur de la Gastronomie :
Rien ne doit déranger l’honnête homme qui dîne !
Mais, au bout du compte, comme on n’en était qu’aux entremets, que le vin de Bourgogne était des meilleurs crus, le vin de Champagne parfaitement glacé, que sur une table voisine se dressait un excellent dessert, on résolut d’attendre M. Gérard, tout en causant, et surtout tout en buvant.
Cette résolution fut fortifiée par l’apparition du domestique, qui redescendait le perron, deux bouteilles dans chaque main, et qui dit en posant les quatre nouveaux échantillons sur la table :
– M. Gérard vous invite à goûter ce laffitte retour des Indes et ce chambertin 1811 sans vous inquiéter de lui. Une affaire indispensable l’appelle à Paris ; il sera ici dans une heure.
– Bravo ! bravo ! s’écrièrent les convives d’une seule voix.
Et quatre bras s’allongèrent instantanément pour saisir les quatre goulots des quatre bouteilles. En ce moment, on entendit le roulement d’une voiture sur le pavé de la rue. On comprit que c’était M. Gérard qui s’éloignait.
– À son prompt retour ! dit le médecin.
Les autres convives balbutièrent chacun un souhait, et essayèrent de se lever pour donner plus de solennité au toast ; mais l’effort était déjà au-dessus des forces de quelques-uns.
On en était là ; ceux qui étaient assis essayaient de se lever, ceux qui étaient levés essayaient de se rasseoir, lorsque, tout à coup, un nouveau personnage, d’autant plus à effet, qu’il était complètement inattendu, entra en scène et donna un tour de clef à la conversation.
Ce personnage qui fit irruption dans le jardin, sans qu’on sût par où il était entré, était notre vieil ami Roland, ou, si vous l’aimez mieux, à cause de la circonstance, Brésil.
En effet, quoiqu’il fût entré par la porte comme un chien bien élevé qu’il était, d’un bond il avait franchi les degrés, et, en deux autres bonds, il s’était trouvé sur la pelouse.
Le premier des convives qui l’aperçut poussa un cri de terreur.
Et, disons-le, la langue pendante, l’œil enflammé et le poil hérissé de l’animal justifiaient suffisamment ce cri.
– Eh bien, qu’y a-t-il ? demanda le médecin, qui, tournant le dos au perron et portant son verre à sa bouche, ne pouvait deviner ce qui se passait.
– Un chien enragé ! dit le notaire.
– Un chien enragé ? répétèrent les autres convives avec effroi.
– Là, là, regardez !
Tous les yeux se tournèrent du côté indiqué par le notaire, et ils virent, en effet, le chien, qui, tout haletant et furieux qu’il semblait, s’était retourné vers la porte et paraissait attendre quelqu’un.
Mais sans doute l’attente lui parut trop longue ; car, le nez en terre, il commença, comme le barbet de Faust, à décrire des cercles dont la table et les convives étaient le centre et qui, larges d’abord, se rétrécissaient peu à peu.
En calculant qu’à un moment donné, le chien devait arriver à écorner les convives, ceux-ci, sans chercher à cacher leur terreur, se levèrent spontanément et cherchèrent chacun de son côté à préparer sa fuite ; l’un lorgnait un arbre, l’autre un petit appentis dans lequel le jardinier plaçait les instruments de jardinage ; celui-ci pensait à escalader le mur, celui-là à chercher un refuge dans le château, quand, tout à coup, un sifflement aigu et prolongé se fit entendre, suivi de ce commandement prononcé d’une voix forte :
– Ici, Roland !
Le chien plia sur ses jarrets comme le cheval auquel on brise la bouche avec le mors, et revint droit à son maître.
Ce maître, inutile de dire que c’était Salvator.
Tous les yeux se tournèrent vers lui. En effet, pour les malheureux convives effrayés à la vue de Roland, c’était le dieu antique dénouant heureusement la tragédie.
Le jeune homme apparaissait dans les rayons du soleil couchant, qui semblait le couvrir d’une flamme ; il était vêtu avec la plus grande élégance, tout en noir ; son cou était entouré d’une cravate de fine batiste blanche ; sa main gantée jouait avec une badine à pomme de lapis-lazuli.
Il descendit lentement les degrés du perron, levant son chapeau de sa tête dès qu’il eut touché le sable de l’allée ; puis, traversant la pelouse, suivi de Roland, qu’il maintenait derrière lui avec un geste de la main, il arriva juste à la chaise qu’occupait M. Gérard, chaise que son absence avait laissée vide, se trouvant ainsi juste au centre des convives, qu’il salua les uns après les autres avec la plus exquise courtoisie.
– Messieurs, dit-il, je suis une des plus vieilles connaissances de notre ami commun l’honnête M. Gérard : il devait me faire l’honneur de me présenter à vous, et nous devions dîner ensemble, quand, malheureusement pour moi, j’ai été retenu à Paris par la même cause qui vous prive en ce moment de notre hôte.
– Ah ! oui, dit le notaire, qui commençait à se rassurer en voyant le chien comme enchaîné au regard du jeune homme – pour l’affaire Sarranti.
– Effectivement, messieurs, pour l’affaire Sarranti.
– C’est donc demain qu’on le raccourcit, le misérable ? dit l’huissier.
– Demain ; si, d’ici là, on ne trouve pas moyen de prouver son innocence.
– Son innocence ? Ce sera difficile ! dit le notaire.
– Qui sait ! fit Salvator ; nous avons, chez les anciens, les oies du poète Ibicus, et, chez les modernes, le chien de Montargis.
– À propos de chien, monsieur, dit l’agriculteur d’une voix enrouée, je dois dire que le vôtre vient de nous faire une belle peur.
– Roland ? fit Salvator d’un ton naïf.
– Il s’appelle Roland ? demanda le notaire.
– En effet, dit le médecin, j’ai eu un instant l’espoir qu’il était enragé.
– Il paraît que Roland n’était que furieux, dit le notaire se frottant les mains, enchanté qu’il était de son bon mot.
– Vous avez dit l’espoir ? demanda Salvator au médecin.
– Oui, monsieur, et je ne m’en dédis pas. Nous sommes onze : j’avais donc dix chances contre une que l’animal s’attaquerait à un de mes compagnons et non pas à moi ; et, comme je me suis spécialement occupé de la rage, j’eusse eu l’occasion d’appliquer sur une plaie vive et fraîche l’antidote que j’ai composé et que je porte sans cesse sur moi, dans l’espérance qu’une occasion se présentera de l’essayer.
– Je vois, monsieur, dit Salvator, que vous êtes un véritable philanthrope ; par malheur, mon chien n’est pas, pour le moment du moins, un sujet, comme on dit, je crois, en terme de médecine, et la preuve, c’est qu’il est d’une obéissance instantanée ; voyez plutôt !
Et, lui indiquant le dessous de la table, comme il eût fait d’une niche :
– Couche, Brésil ! dit-il, couche !
Puis, s’adressant aux convives :
– Ne vous étonnez pas, dit Salvator, que je fasse coucher mon chien sous la table, où je vais m’asseoir avec vous ; je venais pour dîner, mieux vaut tard que jamais, lorsque j’ai rencontré M. Gérard sur la route ; je voulais m’en aller avec lui ; mais il a si fort insisté pour que je vinsse vous rejoindre, que, déjà entraîné par mon désir, je n’ai pas su résister, d’autant plus qu’en son absence il m’a chargé de vous faire les honneurs de sa table.
– Bravo ! bravo ! s’écria toute la société, sur laquelle les façons de Salvator avaient produit le meilleur effet.
– Prenez la place de notre hôte, dit le notaire, et permettez-moi de remplir votre verre pour boire à sa santé.
Salvator tendit son verre.
– C’est trop juste, dit-il, et que Dieu le récompense comme il mérite !
Et, portant le verre à sa bouche, il y trempa le bout de ses lèvres. En ce moment, Brésil fit entendre un long gémissement.
– Oh ! oh ! qu’a donc votre chien ? demanda le notaire.
– Rien ; c’est sa manière d’approuver quand on porte un toast, dit Salvator.
– Bon ! dit le médecin, voilà un animal qui a reçu une belle éducation ; seulement, son speech n’est pas gai.
– Monsieur, dit Salvator, vous savez que, sans que la science puisse s’en rendre compte, certains animaux ont certains pressentiments ; peut-être quelque malheur imprévu menace-t-il notre ami M. Gérard.
– Oui, répliqua le médecin, on dit cela ; mais, nous autres esprits forts, nous ne croyons pas à toutes ces fadaises.
– Cependant, dit le jardinier fleuriste, ma grand-mère...
– Votre grand-mère était une sotte, mon ami, dit le médecin.
– Pardon, demanda le notaire, mais vous parliez d’un danger qui pouvait menacer M. Gérard ?
– Un danger ? dit un arpenteur géomètre ; et quel danger peut donc menacer le plus honnête homme de la terre, un homme qui a toujours suivi la ligne droite ?
– Un homme qui est le patriotisme même ! dit l’huissier.
– Le dévouement incarné ! ajouta le médecin.
– L’abnégation même ! s’écria la notaire.
– Eh ! vous le savez, messieurs, c’est justement ceux-là que le malheur épie. Le malheur, c’est le lion de l’Écriture, quaerens quem devoret{29}, et s’attaquant particulièrement aux gens vertueux – voyez Job.
– Mais que diable fait donc votre chien ? dit le jardinier fleuriste en regardant sous la table ; il dévore le gazon.
– Ne faites pas attention, répondit Salvator. Nous parlions de M. Gérard, et nous disions...
– Nous disions, reprit le notaire, qu’un pays doit être fier quand il a donné naissance à un pareil homme.
– Il réduira les impôts, dit le médecin.
– Il fera hausser le prix des blés, dit l’agriculteur.
– Il fera baisser le prix du pain, dit le jardinier.
– Il liquidera la dette nationale, dit l’huissier.
– Il réformera la constitution arbitraire de l’École de médecine, dit le médecin.
– Il soumettra la France à un nouveau cadastre, dit le géomètre arpenteur.
– Oh ! fit le notaire interrompant ce concert de louanges, mais votre chien m’envoie de la terre plein mon pantalon.
– C’est possible, dit Salvator ; mais ne nous occupons pas de lui.
– Au contraire, occupons-nous-en, messieurs, reprit le médecin, qui avait regardé sous la table ; car ce chien présente des phénomènes fort curieux : il a la langue pendante, les yeux sanglants, le poil hérissé.
– Peut-être, dit Salvator ; mais, tant qu’on ne le dérangera point de sa besogne, on n’a rien à craindre de lui ; c’est un chien monomane, ajouta Salvator en riant.
– Je vous ferai observer, dit prétentieusement le médecin, que le mot monomane, qui vient de monos et de mania, qui veut dire, par conséquent, seule idée, ne peut s’appliquer qu’à l’homme, puisque l’homme seul a des idées et que le chien n’a qu’un instinct, très perfectionné sans doute, mais qui ne peut entrer en comparaison avec la sublime organisation de l’homme.
– Eh bien, répliqua Salvator, expliquez cela comme vous voudrez, instinct ou idée, Brésil n’a qu’une préoccupation.
– Laquelle ?
– Il avait deux jeunes maîtres qu’il aimait beaucoup, un petit garçon et une petite fille ; le petit garçon a été assassiné, la petite fille a disparu ; jusqu’à présent, il a si bien cherché, qu’il a trouvé la petite fille.
– Vivante ?
– Oui, vivante, parfaitement vivante ; mais, quant au petit garçon, comme il a été assassiné et enterré, le pauvre Brésil, qui espère retrouver l’endroit où a été caché le cadavre, le pauvre Brésil va toujours cherchant.
– Quaere et invenies{30}, dit le notaire, qui n’était pas fâché de placer trois mots latins.
– Pardon, dit le médecin, mais c’est tout un roman que vous nous racontez là, monsieur.
– Une histoire, si vous voulez bien, dit Salvator, et même des plus terribles.
– Ma foi, dit le notaire, nous sommes juste entre la poire et le fromage, comme disait feu M. d’Aigrefeuille, de gastronomique mémoire ; c’est le moment des histoires, et, si vous voulez nous raconter la vôtre, cher monsieur, elle sera la bienvenue.
– Volontiers, dit Salvator.
– Cela va être très intéressant, dit le médecin.
– Je le crois, répondit simplement Salvator.
– Chut ! chut ! fit-on de toutes parts.
Il se fit un moment de silence pendant lequel Brésil poussa un hurlement si plaintif, qu’un frisson passa dans les veines de tous les convives et que le jardinier, qui avait, par quelques mots, indiqué qu’il n’était point esprit fort comme le docteur, ne put s’empêcher de murmurer en se levant :
– Diable de chien, va !
– Mais asseyez-vous donc ! dit le géomètre en le tirant par la basque de son habit et en le forçant de s’asseoir.
Le jardinier se rassit en grommelant, mais il se rassit.
– Allons, allons, l’histoire ! dirent les convives, l’histoire !
– Messieurs, dit Salvator, j’intitulerai mon drame, car c’est plutôt un drame qu’une histoire, Giraud l’honnête homme.
– Tiens, dit l’huissier, c’est presque M. Gérard l’honnête homme.
– C’est, en effet, une différence de deux lettres seulement ; mais j’ajouterai à ce premier titre, Giraud l’honnête homme, un sous-titre, ainsi conçu : ou Il ne faut pas se fier aux apparences.
– Voilà d’abord un excellent titre, dit le notaire, et, à votre place, je le porterais à M. Guilbert de Pixérécourt.
– Je ne puis, monsieur ; je le destine à M. le procureur du roi.
– Messieurs, messieurs, dit le médecin, je vous fais observer que vous empêchez le narrateur de commencer sa narration.
– Oh ! fit Salvator, soyez tranquille, nous y arriverons.
– Silence ! fit le géomètre, silence !
On entendit Brésil qui grattait la terre avec fureur et qui respirait bruyamment.
Salvator commença.
Nos lecteurs connaissent le drame qu’il raconta sous des noms supposés. À force d’investigations et de recherches, aidé par sa merveilleuse perspicacité, à laquelle servait de guide l’instinct de Brésil, il était arrivé à reconstruire tout l’événement, comme un architecte habile, par quelques vestiges, reconstruit un monument antique, comme Cuvier, par quelques ossements, reconstruisait un monstre antédiluvien.
Nous ne suivrons donc pas Salvator dans ce récit, qui n’apprendrait rien de nouveau au lecteur, mais ne lui rappellerait que ce qu’il sait déjà.
Seulement, quand, après avoir raconté le crime de Giraud, Salvator en arriva à montrer à l’aide de quelle hypocrisie l’assassin et spoliateur était parvenu à s’entourer, non seulement de l’estime et du respect, mais encore de l’affection, du dévouement et de l’amour de ses concitoyens, l’auditoire poussa un long cri d’indignation auquel Brésil répondit par un grognement sourd, comme s’il avait voulu faire sa partie dans ce concert de malédictions.
Puis, quand, après avoir développé l’hypocrisie du misérable, le narrateur raconta la barbare lâcheté avec laquelle cet homme laissait condamner un innocent, lorsqu’il ne s’agissait pour lui que de s’exiler, de changer de nom, et de s’en aller dans un autre monde pleurer sur son premier crime, au lieu d’en commettre un second plus terrible peut-être que le premier, l’émotion de l’auditoire fut au comble, sa colère se changea en exaspération, et chacun hurla sa malédiction sur le meurtrier.
– Mais, s’écria le notaire, ne dites-vous pas que c’est demain que l’innocent paie pour le coupable ?
– C’est demain, dit Salvator.
– Mais, dit à son tour le médecin, d’ici à demain, comment trouver une preuve qui ouvre les yeux à la justice ?
– La bonté de Dieu est grande ! dit Salvator baissant la tête et regardant sous la nappe le travail acharné auquel se livrait Brésil, qui, sentant que son maître s’occupait de lui, se détourna un instant de son travail et vint, en manière de baiser, appuyer son nez humide sur la main de son maître, puis se remit immédiatement à creuser la terre.
– La bonté de Dieu, la bonté de Dieu, répéta le docteur, qui, en sa qualité de médecin, était profondément sceptique ; mais une bonne preuve serait encore plus sûre.
– Sans doute, répondit Salvator ; aussi cette preuve, qui m’a échappé une fois, j’espère que nous allons la trouver.
– Ah ! dirent les convives d’une seule voix, vous avez eu une preuve ?
– Oui, répondit Salvator.
– Et cette preuve vous a échappé ?
– Par malheur.
– Quelle preuve était-ce ?
– J’avais, grâce à Brésil, retrouvé le squelette de l’enfant.
– Oh ! firent les convives terrifiés.
– Et pourquoi n’avez-vous pas réclamé une descente de justice avec l’assistance d’un médecin ? dit le docteur.
– C’est ce que j’ai fait, moins le médecin ; mais, pendant l’intervalle, le squelette avait disparu, et la justice m’a ri au nez.
– Le meurtrier aura eu vent de la chose, dit le notaire, et l’aura transporté ailleurs.
– De sorte que vous êtes à la recherche de ce cadavre ? demanda l’huissier.
– Mon Dieu, oui, fit Salvator ; car, enfin, vous comprenez bien, si le cadavre se trouve à un endroit où n’ait pas pu l’enterrer M. Sarranti.
– M. Sarranti ! s’écrièrent d’une seule voix les convives ; c’est donc M. Sarranti qui est l’innocent ?
– Ai-je laissé échapper son nom ?
– Vous avez dit Sarranti.
– Si je l’ai dit, je ne me dédis pas.
– Et quel intérêt avez-vous à rechercher l’innocence de cet homme ?
– C’est le père d’un de mes amis ; puis, me fût-il complètement étranger, il me semble qu’il est du devoir de tout homme de sauver un de ses semblables de l’échafaud, quand il a la conviction de son innocence.
– Mais, enfin, dit le notaire, cette preuve que vous cherchez, vous n’espérez pas la trouver ici ?
– Peut-être.
– Chez M. Gérard ?
– Pourquoi pas ?
Le chien, comme s’il répondait aux paroles de son maître, fit entendre un hurlement lugubre et prolongé.
– Entendez-vous ? fit Salvator ; voici Brésil qui me dit qu’il ne désespère pas.
– Comment, qu’il ne désespère pas ?
– Sans doute ; ne vous ai-je pas dit qu’il avait une monomanie, celle de retrouver le cadavre de son jeune maître ?
– C’est vrai, répondirent les convives d’une seule voix.
– Eh bien, reprit Salvator, pendant que je raconte les quatre premiers actes du drame, Brésil, lui, travaille au cinquième.
– Que voulez-vous dire ? demandèrent en même temps l’huissier et le notaire, tandis que les autres, tout en restant muets, interrogeaient des yeux.
– Regardez sous la table, fit Salvator en soulevant la nappe. Chacun plongea la tête sous la table.
– Que diable fait-il là ? demanda sans aucun trouble le médecin, qui commençait à croire que, pour n’être point enragé, le chien n’en était pas moins un sujet intéressant à étudier.
– Il fait un trou, comme vous voyez, répondit Salvator.
– Et un trou énorme, reprit le notaire.
– Un trou d’un mètre de profondeur et de deux mètres cinquante de circonférence, dit l’arpenteur.
– Et que cherche-t-il ? demanda l’huissier.
– Un pièce à conviction, dit Salvator.
– Laquelle ? fit le notaire.
– Le squelette de l’enfant, dit Salvator.
Ce mot de squelette, prononcé à la suite du récit terrible de Salvator, à l’heure où l’ombre commençait à descendre du ciel, fit dresser les cheveux sur toutes les têtes ; chacun, d’un mouvement instantané, s’éloigna du trou ; le médecin seul s’en rapprocha.
– Cette table nous gêne, dit-il.
– Aidez-moi, dit Salvator.
Les deux hommes prirent la table, la soulevèrent, et, la transportant à quelques pas, laissèrent le chien à découvert.
Brésil ne parut pas même s’apercevoir du changement qui s’était fait, tant il était acharné à la funèbre besogne.
– Allons, messieurs, dit Salvator, un peu de courage, que diable ! nous sommes des hommes.
– En effet, dit le notaire, et j’avoue que je suis curieux de voir le dénouement.
– Nous y touchons, dit Salvator.
– Allons, allons, dirent les autres en se rapprochant.
On fit cercle autour du chien.
Brésil continua de creuser avec une telle énergie et une telle régularité, que l’on eût plutôt dit une machine qu’un animal.
– Courage, mon bon Brésil ! dit Salvator ; tu dois être au bout de tes forces, mais aussi tu es au bout de tes peines ; courage !
Le chien tourna la tête, et du regard sembla remercier son maître.
La fouille dura quelques minutes encore, pendant lesquelles les convives, la bouche ouverte et la respiration suspendue, gardaient le silence, suivant, d’un œil dilaté par la curiosité, l’étrange scène qui se jouait sous leurs yeux entre ce chien et son maître, qu’ils commençaient à croire n’être pas autant l’ami de M. Gérard qu’il avait bien voulu le dire en arrivant.
Au bout de cinq minutes, Brésil poussa un long soupir et cessa de gratter pour appuyer son museau en soufflant brusquement sur une partie de l’excavation.
– Il y est, il y est ! dit joyeusement Salvator. Tu as trouvé, n’est-ce pas, mon chien ?
– Qu’a-t-il trouvé ? demandèrent les assistants.
– Le squelette, dit Salvator. Ici, Brésil ! le reste regarde les hommes ; ici, mon chien !
Le chien s’élança hors du trou et s’accroupit au bord de la fosse, regardant son maître comme pour lui dire : « À ton tour. » En effet, Salvator descendit dans l’excavation, plongea sa main à l’endroit le plus profond, et, appelant le médecin :
– Venez, monsieur, dit-il, et tâtez.
Le médecin descendit bravement près de Salvator, tandis que les autres convives, parfaitement dégrisés, se regardaient avec stupéfaction, et, allongeant la main comme avait fait son devancier, il sentit au bout de ses doigts cette matière douce et soyeuse qui avait fait frissonner Salvator lorsque, pour la première fois, Brésil avait découvert le squelette de l’enfant dans le parc de Viry.
– Oh ! oh ! fit-il, ce sont des cheveux.
– Des cheveux ! répétèrent tous les assistants.
– Oui, messieurs, dit Salvator, et si vous voulez aller chercher des bougies, vous pourrez vous en convaincre.
Chacun se précipita vers la maison et revint armé, celui-ci d’un candélabre, celui-là d’un chandelier.
Le médecin et Brésil étaient seuls restés près de la fosse. Salvator, qui s’était dirigé vers la petite baraque où le jardinier renfermait ses instruments, en revint bientôt avec une bêche.
Les convives étaient rangés autour de l’excavation, qui se trouvait éclairée par cinquante bougies, comme en plein jour. On apercevait, à fleur de terre, une mèche de cheveux blonds.
– Allons ! allons ! dit le médecin, il faut continuer cette exhumation.
– C’est bien ce que je compte faire, dit Salvator. Messieurs, prenez une serviette, étendez-la près de la fosse.
On obéit.
Salvator descendit dans le trou, et, avec la même précaution, nous dirions presque avec le même respect que s’il eût eu affaire à un cadavre, il introduisit sa bêche dans la terre, et, faisant levier, il amena doucement à la surface la tête de l’enfant posée sur son oreiller d’argile.
Un long frémissement courut parmi les spectateurs, quand Salvator, avec ses gants blancs qu’il n’avait pas quittés, prit délicatement cette petite tête et la posa sur la serviette.
Puis Salvator reprit sa bêche et se remit à la besogne.
Il ramena peu à peu, et débris par débris, tous les restes de l’enfant, si bien, qu’au bout d’un instant, il put, sur la serviette, tout en se servant des termes techniques et en mettant chaque ossement à sa place, recomposer le squelette tout entier, à l’étonnement général des assistants, mais particulièrement à la satisfaction du médecin, qui dit à Salvator :
– C’est à un confrère que j’ai l’honneur de parler ?
– Non, monsieur, dit Salvator, je n’ai point cet honneur ; je suis un simple amateur d’anatomie.
Puis, se tournant vers les spectateurs de cette scène :
– Messieurs, reprit-il, vous êtes tous témoins, n’est-ce pas, que je viens de trouver dans cette fosse le cadavre d’un enfant ?
– J’en suis témoin, dit le médecin, qui semblait vouloir monopoliser le témoignage que Salvator réclamait de tout le monde ; et le squelette d’un enfant mâle qui devait être âgé de huit ou neuf ans.
– Tout le monde est témoin ! répéta Salvator en interrogeant des yeux chacun des spectateurs.
– Oui, tous, tous, répétèrent en chœur les convives flattés d’avance, quel que fût l’événement, de la part distinguée qu’ils étaient appelés à y prendre.
– Et, par conséquent, chacun en témoignera devant la justice, s’il y a lieu ? continua Salvator.
– Oui, oui, répéta l’assemblée.
– Seulement, dit l’huissier, il faudrait dresser un procès-verbal.
– Inutile, dit Salvator, il est tout dressé.
– Comment cela ?
– J’étais tellement sûr de ce que je trouverais, dit Salvator en tirant de sa poche un papier timbré, que le voici.
Et il lut, en effet, un procès-verbal rédigé dans les termes où s’écrivent d’ordinaire ces sortes d’actes, et dans lequel tout se trouvait relaté, même l’indication précise du lieu où avait été retrouvé le squelette ; ce qui était une preuve que Salvator ne visitait point pour la première fois le jardin de Vanves.
Une seule chose manquait : les noms et prénoms des personnes assistant à l’exhumation.
Tous les spectateur de cette scène, qui, depuis un quart d’heure, marchaient d’étonnement en étonnement, avaient écouté la lecture du procès-verbal en regardant d’un œil stupéfait l’étrange personnage qui venait de les faire assister à ce drame fantastique.
– Un encrier, demanda Salvator à un domestique qui regardait, aussi stupéfait que les autres.
Le domestique s’empressa d’obéir, comme s’il reconnaissait à Salvator le droit de commander, et, s’éloignant tout courant, revint un instant après avec un encrier et une plume.
Chacun signa.
Salvator prit le papier, le remit dans sa poche, caressa de nouveau Brésil, noua les quatre coins de la serviette qui soutenait le squelette de l’enfant, et, saluant la société :
– Messieurs, dit-il, je vous rappelle que c’est demain à quatre heures de l’après-midi que l’on doit exécuter un innocent ; je n’ai donc pas de temps à perdre ; aussi, après vous avoir remerciés de votre bonne assistance, je vous demande la permission de me retirer.
– Pardon, monsieur, dit le notaire, vous avez dit, je crois, que le nom de cet innocent était Sarranti.
– Je vous l’ai dit, oui, monsieur, et plus que jamais je vous le redis.
– Mais, continua le notaire, est-ce que le nom de notre hôte, M. Gérard, n’a pas, il y a deux ou trois mois, été mêlé dans cette triste affaire ?
– En effet, dit Salvator ; oui, monsieur, il y a été mêlé.
– De sorte, interrompit le médecin, qu’on pourrait supposer que votre Giraud est tout simplement ?...
– M. Gérard ?
– Oui, firent les assistants d’un mouvement de tête.
– Supposez tout ce que vous voudrez, messieurs, dit Salvator ; au reste, demain, nous en serons, non plus à la supposition, mais à la certitude. J’ai l’honneur de vous saluer. – Viens, Brésil.
Et Salvator, suivi de son chien, s’éloigna rapidement, laissant tous les convives de M. Gérard dans un état de consternation difficile à décrire.{31}
Un seul n’avait point pris part à cette terreur générale, c’était l’agriculteur qui, depuis longtemps, avait roulé sur le gazon où il dormait d’un sommeil pénible que l’on pourrait qualifier du nom de cauchemar.
Il rêvait qu’on l’avait enterré debout et vivant, la tête seule hors de la terre, qu’on lui avait frotté le visage de miel et qu’il était mangé par les mouches.
Il avait entendu raconter ce supplice, fort usité en Turquie, et, chaque fois qu’il avait le malheur de boire plus que mesure, il tombait dans le sommeil et, du sommeil, dans ces abominables rêves.