CCLXIX – Les rêves de Pétrus.

 

En rentrant chez lui, Pétrus eut la curiosité de voir comment son hôte était aménagé, comme lui-même disait en termes de marine.

Il frappa doucement à la porte, ne voulant pas tirer son parrain du sommeil si celui-ci dormait ; mais sans doute il ne dormait pas, ou avait le sommeil bien léger, car à peine les trois coups d’usage, également espacés, eurent-ils retenti sur la porte, qu’une vigoureuse voix de basse-taille cria :

– Entrez !

Le capitaine était déjà dans son cadre, coiffé d’un foulard qui, après lui avoir enveloppé la tête, lui passait sous le cou. Cette précaution nocturne était sans doute prise pour imprimer aux cheveux et à la barbe le pli qu’ils avaient à adopter le jour. Il tenait à la main un livre pris à la bibliothèque et dont il paraissait faire ses délices.

Pétrus jeta un coup d’œil à la dérobée sur le volume, afin de se faire une idée des goûts littéraires de son parrain et de se rendre compte lui-même de ce problème : à savoir, si Pierre Berthaut était pour la vieille ou la nouvelle école.

Le livre que lisait Pierre Berthaut, c’étaient les Fables de La Fontaine.

– Ah ! ah ! fit Pétrus, déjà couché, cher parrain ?

– Oui, répondit celui-ci, et crânement couché, comme tu vois, filleul.

– Vous trouvez le lit bon ?

– Non.

– Comment, non ?

– Nous autres vieux loups de mer, nous sommes habitués à coucher sur la dure : c’est te dire, mon filleul, que je serai peut-être un peu trop douillettement ici ; mais bah ! je m’y habituerai : on s’habitue à tout, même au bien.

Pétrus fit à part lui cette réflexion que son parrain employait un peu trop fréquemment peut-être cette locution : « Nous autres vieux loups de mer. »

Mais, comme, dans la conversation, Pierre Berthaut était, ainsi qu’on l’a pu voir, d’une certaine sobriété sur les autres termes de marine, il passa par là-dessus, et, en vérité, c’était justice, car ce tic était racheté par tant et de si bonnes qualités, que Pétrus eût eu mauvaise grâce à faire, sous ce rapport, la moindre récrimination.

En conséquence, chassant le léger nuage qui venait de passer sur son esprit :

– Alors il ne vous manque rien ? demanda Pétrus.

– Absolument rien ! la cabine d’un vaisseau amiral n’est pas, à beaucoup près, aussi bien aménagée que ce prétendu appartement de garçon, et cela me rajeunit de quatre ou cinq lustres.

– Libre à vous, cher parrain, dit en riant Pétrus, de vous y rajeunir jusqu’à la fin de vos jours.

– Ma foi ! maintenant que j’en ai tâté, je ne dis pas non, quoique, nous autres vieux loups de mer, nous aimions assez le changement.

Pétrus ne put réprimer une légère grimace.

– Ah ! oui, fit le capitaine, mon tic ; oui, nous autres vieux... Mais sois tranquille, je m’en corrigerai.

– Oh ! vous êtes parfaitement libre.

– Non, non, je connais mes défauts, va ! d’ailleurs, tu n’es pas le premier qui me reproche cette mauvaise habitude.

– Remarquez que je ne vous reproche, au contraire, absolument rien.

– Mon garçon, un homme habitué à lire dans le ciel l’orage vingt-quatre heures d’avance, se rend compte du moindre nuage. Sois donc tranquille, encore une fois ; à partir de ce moment, je me surveillerai, surtout quand il y aura du monde.

– Mais, en vérité, je suis confus...

– De quoi ? de ce que ton parrain, tout capitaine qu’il se vante d’être, n’est qu’un matelot mal dégrossi dans sa forme ? Mais le cœur est bon, et l’on t’en donnera la preuve, entends-tu, garçon ?... Maintenant, va te coucher ; demain, il fera jour, et nous parlerons de tes petites affaires d’intérêt ; seulement, avoue que tu ne t’attendais guère ce matin à voir arriver ton parrain à cheval sur un galion.

– Vous m’en voyez abasourdi, ébloui, fasciné ; j’avoue que, si je ne vous voyais pas devant moi en chair et en os, je me soutiendrais à moi-même que j’ai rêvé.

– N’est-ce pas ? dit sans l’ombre d’orgueil le capitaine.

Puis, baissant tristement la tête et devenant pensif, il prononça les mots suivants avec une profonde mélancolie :

– Eh bien, mon filleul, tu me croiras si tu veux, mais j’aimerais mieux avoir un talent, quel qu’il fût, ou – puisque je suis en train de souhaiter, souhaitons l’impossible – un talent comme le tien, que de posséder ces trésors inépuisables. Je ne pense pas une seule fois à cette immense fortune sans me dire à moi-même ces vers du bon La Fontaine...

Et, montrant son livre posé sur la table de nuit :

 

– Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent

/ heureux !

Ces deux divinités n’accordent à nos vœux

Que des biens peu certains, qu’un plaisir peu

/ tranquille.

 

– Heu ! heu ! fit Pétrus, indiquant qu’il était assez disposé à combattre l’opinion du capitaine.

– Heu ! heu ! répéta celui-ci avec la même inflexion ; c’est-à-dire que, si je ne t’avais pas retrouvé, j’étais empêtré positivement ; je ne savais que faire de toute cette fortune ; j’eusse fondé sans doute quelque pieuse institution, quelque maison de retraite pour les marins infirmes ou les rois exilés ; mais je t’ai retrouvé et je puis dire comme Oreste :

 

Ma fortune va prendre une face nouvelle{15} !

 

Et, sur ce, va te coucher !

– Ma foi, je vous obéis, et de grand cœur même ; car demain, il faut que je me lève de bonne heure : la vente est annoncée pour dimanche, et je dois prévenir le commissaire-priseur ; sans quoi, samedi, il viendrait tout enlever.

– Enlever quoi ?

– Les meubles.

– Les meubles ! répéta le capitaine.

– Oh ! rassurez-vous, fit en riant Pétrus, votre appartement est réservé.

– N’importe ! enlever tes meubles, mon garçon ! dit le capitaine en fronçant énergiquement le sourcil ; je voudrais bien voir qu’un particulier quelconque, fût-ce le mousse d’un commissaire-priseur, vint enlever quelque chose ici sans ma permission ! Mille sabords ! je ferais de sa peau une jolie toile à voile.

– Vous n’aurez pas cette peine, mon parrain.

– Ce n’en serait pas une, ce serait un plaisir. Allons ! bonne nuit et à demain ! Attends-toi, du reste, à ce que j’aille te réveiller ; car, nous autres vieux loups... – allons, bon ! voilà que je retombe dans mon tic ! – car, nous autres marins, nous avons l’habitude de nous lever à la fine point du jour. Embrasse-moi donc et va te coucher.

Cette fois, Pétrus obéit. Il embrassa chaleureusement le capitaine et monta chez lui.

Il va sans dire que, toute la nuit, il rêva Potose, Golconde, Eldorado.

Dans son rêve, ou plutôt dans la première partie de son rêve, le capitaine lui apparut dans un nuage étincelant, comme le génie des diamants et des mines !

Aussi passa-t-il la première partie de la nuit dans un songe ravissant, féerique, accidenté comme un conte arabe ; mais ce qui domina toute cette fantasmagorie, l’étoile qui rayonna dans ce ciel lumineux, ce fut Régina, dans les cheveux de laquelle lui, Pétrus, égrenait, fleurs étincelantes, les diamants des deux Indes.

Disons, toutefois, que la locution familière de son parrain, « nous autres vieux loups de mer », ne lui revenait point du tout, ou plutôt lui revenait incessamment à la pensée comme une vilaine tache dans un diamant de la plus belle eau.

Le lendemain de cette journée fantastique, à la plus fine pointe du jour, ainsi qu’il l’avait annoncé, le capitaine Monte-Hauban ouvrait l’œil à la lueur d’un rayon matinal qui filtrait à travers les persiennes ; il consulta son chronomètre.

Il n’était pas encore quatre heures du matin.

Il se fit un scrupule sans doute d’aller réveiller son filleul à cette heure encore plus nocturne que matinale, et, décidé à lutter contre ce triomphant rayon de soleil qui entrait ainsi chez lui sans se faire annoncer, il tourna le nez le long de la muraille et ferma les yeux avec une espèce de grognement qui annonçait une profonde détermination de reprendre son sommeil.

L’homme propose et Dieu dispose.

Soit que ce fût son heure habituelle de s’éveiller, soit qu’il ne jouît pas d’une conscience sereine, le capitaine ne put se rendormir, et, au bout de dix minutes, avec un juron des mieux accentués, il sauta à bas du lit.

Les soins de sa toilette le préoccupèrent d’abord assez longuement.

Il donna le tour à ses cheveux, le pli à sa barbe ; puis il s’habilla de pied en cap.

Il était quatre heures et demie lorsque le capitaine eut mis le dernier coup de main à sa toilette.

Sa toilette finie, il parut retomber dans le même embarras.

Que faire en attendant une heure moins excentrique ?

Se promener.

Le capitaine se promena donc pendant un quart d’heure environ : il fit dix ou douze fois le tour de sa chambre en long et en large comme le malade imaginaire ; puis, fatigué sans doute de cet exercice, il ouvrit la fenêtre qui donnait sur le boulevard Montparnasse et aspira l’air frais du matin en écoutant le ramage des oiseaux qui faisaient, en chantant, leur toilette du matin dans les arbres.

Mais il fut bientôt rassasié de la brise matinale, bientôt blasé sur le chant des oiseaux.

Il arpenta de nouveau sa chambre ; mais il épuisa bien vite encore cette distraction qu’il connaissait.

Se mettre à cheval sur son siège lui parut sans doute un divertissement nouveau ; car, apercevant une haute chaise de chêne, il l’enfourcha et siffla un de ces airs maritimes comme ceux, probablement, qui ravissaient l’équipage de sa corvette ; aussi les oiseaux du boulevard, ni plus ni moins que les oiseaux de mer, se turent pour l’écouter.

Une fois cette gymnastique labiale épuisée, le capitaine fit clapper sa langue, comme si la symphonie eût desséché son palais.

Enfin, après avoir répété cet exercice cinq ou six fois de suite, il prononça d’un ton mélancolique ces quatre syllabes :

– Il fait très soif !

Alors il sembla réfléchir et chercher un moyen de remédier à cet inconvénient qu’il venait de signaler.

Tout à coup, se frappant assez vigoureusement le front pour être un instant étonné lui-même de la force du coup qu’il se portait :

– Mais, se dit-il, suis-je assez brutal d’un côté et assez bête de l’autre ! Comment, mon capitaine, il y a une heure que tu es sur le pont, et tu as oublié que la soute aux vins, autrement dit le cellier, se trouvait juste au-dessous de toi.

Il ouvrit doucement la porte et descendit sur la pointe du pied les douze ou quinze marches qui conduisaient au cellier. C’était, pour un cellier de garçon, un fort beau cellier, ma foi, bien garni... sinon d’un choix très varié. Il y avait trois ou quatre crus de bordeaux et de bourgogne, mais des plus fins.

Il suffit au capitaine de jeter, à la lueur du rat de cave qu’il tira de sa poche, un rapide coup d’œil sur une pile de bouteilles, pour reconnaître, à leurs cous allongés, un choix de vins de Bordeaux.

Il tira délicatement un flacon, l’éleva à la hauteur de son œil, porta son rat de cave derrière, et reconnut du vin blanc.

– Bon pour tuer le ver ! dit-il.

Puis, tirant une seconde bouteille du même tas, il referma doucement la porte du cellier et remonta chez lui à pas de loup.

– Si le vin est bon, dit le capitaine en fermant la porte de sa chambre et en posant avec une précaution infinie les bouteilles sur sa table, je pourrai un peu plus patiemment attendre le réveil de mon filleul.

Il prit sur la toilette le verre qui lui avait servi à se rincer la bouche, l’essuya avec la plus minutieuse attention, afin que l’odeur de l’eau de Botot ne vînt pas neutraliser le parfum du bordeaux, et, rapprochant une chaise, il s’assit devant la table.

– Un autre, dit-il en fourrant la main dans la poche de son immense pantalon à la cosaque et en tirant un couteau à manche de corne, orné de plusieurs lames et renforcé de toutes sortes d’accessoires, un autre serait bien empêché, ayant deux bouteilles devant lui, de ne pouvoir, comme l’antique Tantale, les déguster faute d’un tire-bouchon ; mais, nous autres vieux loups de mer, continua le capitaine en souriant d’un air goguenard, nous ne sommes embarrassés de rien, et nous avons l’habitude de nous embarquer avec armes et bagages.

Ce disant, il attira à lui, avec un soin et un respect infinis, l’immense bouchon hors de la bouteille ; puis, rapprochant son nez de l’orifice du goulot :

– Ah ! bigre ! s’écria-t-il, parfumé, ma foi ! il est parfumé ! Si son ramage ressemble à son plumage, nous allons avoir ensemble une conversation qui ne manquera pas de charmes !

Il se versa un demi-verre et le flaira encore un moment avant de le porter à ses lèvres.

– Parfum tout à fait exquis ! murmura-t-il en l’avalant.

Puis, posant le verre sur la table, il ajouta :

– C’est véritablement du graves première !... Oh ! oh ! si le vin rouge ressemble au vin blanc, j’ai là, par ma foi, un filleul dont je n’aurai aucunement à rougir. Je lui dirai, dès son réveil, d’emmagasiner quelques paniers de ce riche vin dans ma chambre ; de cette façon, je pourrai en boire à mon coucher comme à mon lever ; car, enfin, je ne vois pas, puisque le vin blanc tue le ver le matin, pourquoi il ne l’enterrerait pas le soir.

Et le capitaine absorba ainsi, sans paraître y songer, en moins d’une heure, les deux bouteilles de bordeaux, ne se reposant de boire que pour faire sur le vin blanc en particulier les plus judicieuses réflexions.

Ce soliloque et cette solibeuverie, si l’on nous permet de forger un mot pour représenter l’action d’un homme qui boit tout seul, conduisirent le capitaine jusqu’à six heures du matin.

Arrivé là, il s’impatienta et recommença à arpenter sa chambre de plus belle.

Il regarda sa montre.

Elle marquait six heures et demie.

Juste en ce moment, l’horloge du Val-de-Grâce sonnait six heures. Le capitaine secoua la tête.

– Il est six heures et demie, dit-il, et c’est l’horloge du Val-de-Grâce qui doit avoir tort.

Puis, philosophiquement, il ajouta :

– Au reste, que peut-on attendre de bon de l’horloge d’un hôpital ?

Enfin, après quelques instants d’attente :

– Allons, allons, dit-il, mon filleul m’a dit qu’il désirait être réveillé de bonne heure ; ce sera donc agir selon ses intentions que d’entrer dans sa chambre. Sans doute vais-je le troubler au milieu d’un rêve d’or ; mais, ma foi, tant pis !

Ayant dit, il monta, en sifflant un air, l’étage qui séparait l’entresol du premier.

La clef était sur la porte et de l’atelier et de la chambre à coucher.

– Oh ! oh ! fit le capitaine en voyant cette sécurité, jeunesse ! imprudente jeunesse !

Puis, tout doucement, il ouvrit d’abord la porte de l’atelier, passa sa tête par l’entrebâillement, et regarda.

L’atelier était vide.

Le capitaine respira bruyamment et referma la porte aussi doucement que possible. Mais, si doucement qu’il la refermât, les gonds crièrent.

– Voilà une porte qui a besoin d’être huilée, murmura le capitaine.

Puis il alla à celle de la chambre de Pétrus et l’ouvrit avec les mêmes précautions.

Celle-là ne faisait pas le moindre bruit en s’ouvrant et en se fermant, et, comme le plancher était garni d’un excellent tapis de Smyrne sourd et moelleux, le vieux loup de mer put pénétrer dans la chambre à coucher et arriver jusqu’au lit de Pétrus sans que celui-ci se fût réveillé.

Pétrus était couché les bras et les jambes hors du lit, comme si, dans le rêve qui l’agitait, il avait tenté des efforts pour se lever.

Or, dans cette position, Pétrus avait une ressemblance incontestable avec l’enfant de la fable qui dort auprès d’un puits.

Le capitaine, qui, dans certains moments, était savant jusqu’au pédantisme, saisit la situation au collet, et, secouant le bras de son filleul comme si celui-ci était l’enfant et qu’il fût, lui, la Fortune :

 

Mon mignon, lui dit-il, je vous sauve la vie.

Soyez une autre fois plus sage, je vous prie !

Si vous fussiez tombé, l’on s’en fût pris à

/ moi...

 

Peut-être allait-il poursuivre plus loin la citation ; mais, réveillé en sursaut, Pétrus ouvrit de grands yeux effarés, et, voyant le capitaine debout devant lui, il étendit la main vers un trophée d’armes qui faisait au fond de son lit un ornement et une défense, en arracha un yatagan, et sans doute en eût frappé le marin sans autre explication, si celui-ci ne lui eût arrêté le bras.

– Tout beau, garçon ! tout beau ! comme dit M. Corneille. Peste ! comme tu y vas quand tu as le cauchemar ; car tu as le cauchemar, avoue-le.

– Ah ! parrain, s’écria Pétrus, que je suis content que vous m’ayez réveillé !

– Vraiment ?

– Oui, vous l’avez dit, j’avais le cauchemar, et un terrible cauchemar, allez !

– Que rêvais-tu donc, garçon ?

– Ah ! c’est absurde.

– Bon ! je parie que tu rêvais que j’étais reparti pour les Indes ?

– Non : si j’eusse rêvé cela, j’eusse été fort content, au contraire.

– Comment, fort content ? Sais-tu que ce n’est point galant, ce que tu me dis là ?

– Ah ! si vous saviez ce que je rêvais ! continua Pétrus en essuyant la sueur qui lui coulait du front.

– Voyons, conte-moi cela en t’habillant, dit le capitaine avec cet accent de bonhomie qu’il savait si bien prendre dans l’occasion : cela me divertira.

– Oh ! non, ma foi ! mon rêve est par trop stupide.

– Bon ! est-ce que tu crois, garçon, que nous autres loups de mer, nous ne sommes point de taille à tout entendre ?

– Aïe ! dit tout bas Pétrus, voilà ce diable de loup de mer qui revient.

Puis, tout haut :

– Vous le voulez ?

– Sans doute, je le veux, puisque je te le demande.

– À votre guise ; mais j’eusse préféré garder cela pour moi seul.

– Je suis sûr que tu as rêvé que je mangeais de la chair humaine, dit en riant le marin.

– Si ce n’était que cela...

– Tribord et bâbord ! s’écria le capitaine ; mais ce serait cependant déjà un joli petit rêve.

– C’est pis que cela.

– Va donc !

– Eh bien, quand vous m’avez réveillé...

– Quand je t’ai réveillé ?

– Je rêvais que vous m’assassiniez.

– Tu as rêvé que je t’assassinais ?

– À la lettre.

– Parole d’honneur ?

– Parole d’honneur.

– Eh bien, tu peux dire que tu as une fière chance, toi, garçon.

– Comment cela ?

– « Rêve de mort, rêve d’or », disent les Indiens, qui se connaissent en or et en mort. Tu es véritablement un garçon privilégié, Pétrus.

– Vraiment ?

– J’ai rêvé cela une fois aussi, garçon ; et sais-tu ce qui m’est arrivé le lendemain ?

– Non, ma foi.

– Eh bien, le lendemain de la nuit où j’étais assassiné en songe – et c’était ton père qui m’assassinait, vois ce que c’est que les rêves ! – j’aidai ton père à capturer le Saint-Sébastien, vaisseau portugais venant de Sumatra et tout chargé de roupies. Ton père seul, pour sa part de prise, a touché six cent mille livres, et moi cent mille écus. Voilà ce qui arrive trois fois sur quatre, garçon, lorsqu’on a la chance de rêver que l’on vous assassine.