Catholicisme.
Ce n’est pas en passant quelques jours dans un pays qu’on peut juger de ses mœurs, de ses tendances, de ses idées, de ses institutions. Les observations y sont forcément rapides et superficielles ; elles ne portent que sur un ordre de choses infiniment restreint, et d’ailleurs peu important. On n’atteint pas l’âme intime, l’âme secrète, l’âme profonde d’un pays, à moins d’y vivre de sa vie… Il faut donc se contenter des apparences, qui trompent souvent. En considération de quoi, je prie les lecteurs de me pardonner le ton parfois frivole et injuste de ces pages.
Pourtant, dès que vous entrez en Belgique, vous êtes frappé par cette sorte de malaria religieuse qui y règne. Elle attriste singulièrement ce petit pays… C’est peut-être cela qui rend si noires ces verdures de la campagne belge que détestait tant Baudelaire… De même que dans notre sauvage et dolente Bretagne, où l’esprit religieux a en quelque sorte tout pétrifié, de même que, dans le Tyrol autrichien, où, à chaque tournant de route, à chaque carrefour, partout, se dressent des images de sainteté qui pourraient servir à l’administration vicinale de bornes kilométriques, de même, en Belgique, la superstition religieuse est souveraine maîtresse des âmes, des paysages et des lois. Je ne parle pas seulement des couvents qui y pullulent, comme, en Allemagne, les casernes ; je ne parle pas de ces béguinages, qui ne sont d’ailleurs plus que des souvenirs, gardés seulement par Gand et par Bruges, pour les badauds du pittoresque et les moutons de Panurge du tourisme. Je parle de tout ce pays, sur qui le catholicisme étend son ombre épaisse et malsaine. Dans les chemins, dans les sentes et dans les villes, on rencontre, par milliers, de ces figures de foi têtue, de ces figures de prières, agressives et sombres, telles qu’elles sont peintes dans les triptyques des primitifs flamands. Les siècles ont passé sur elles, les progrès et la science ont passé sur elles, sans en adoucir les angles durs et obtus.
Je me souviens qu’il y a plusieurs années, pris d’un malaise subit dans une auberge de village, je demandai qu’on allât me chercher un médecin, à la ville voisine, qui était Gand.
– Ah ! Seigneur Jésus, s’écria la bonne, en me voyant très pâle… Il va peut-être mourir… Dites une prière, bien vite, monsieur… Dites une prière… Et attendez-moi…
Elle sortit précipitamment, sans m’apporter d’autres secours.
Quelques minutes après, je vis entrer, introduit dans ma chambre par la petite bonne, un gros prêtre, essoufflé d’avoir trop couru… Il voulut, à toute force m’administrer l’extrême-onction. Et comme je refusais de me munir des sacrements de l’Église, il insista avec violence et ne se retira qu’après avoir appelé, sur ma tête de mécréant, toutes les malédictions du ciel et toutes les fureurs de l’enfer.
Partout des processions, des sons de cloche, des cérémonies cultuelles, extravagantes et moyenâgeuses, des églises pleines et chantantes, des décors d’autels dans les chambres privées, des dos courbés, des mains jointes… et des prêtres insolents, paillards et pillards, et de terribles évêques, avec des faces d’Inquisition. Partout, aussi, cette littérature dont l’érotisme mystique s’associe si bien aux ferveurs pieuses et les exalte… Qui n’a pas assisté aux fêtes du Saint-Sang, dans Furne, devenu, ces jours-là, un véritable asile d’aliénés, ne peut concevoir à quels dérèglements, à quelles démences, la religion, ainsi enseignée, peut conduire la pauvre âme des hommes… C’est ce carillonneur de Rodenbach – personnage d’ailleurs historique – qui gravait sur l’airain sonore et bénit de ses cloches les plus monstrueuses obscénités… (Il paraît que ces cloches illustrées, on peut les voir à Bruges, si l’on a quelques hautes références ecclésiastiques…) C’est Philippe II, couvrant son carnet d’imaginations démoniaques, alors qu’entouré de ses évêques, de ses moines, de ses bourreaux, une nonne sur les genoux, il faisait couler le sang et tenailler la chair des hérétiques, dans les chambres de torture…
Les centres ouvriers eux-mêmes, les cités industrielles, où souvent grondent la révolte et l’émeute, n’échappent pas toujours à la contagion. J’ai vu autrefois, à Gand, une grève. Ce n’étaient point des flots de peuple lâchés et battant, avec des clameurs de mer soulevée, les murs de la ville… C’était une procession religieuse qui défilait silencieusement, avec des attributs religieux, des bannières ecclésiales, des oriflammes, des femmes déguisées en Saintes-Vierges, des enfants, en petits anges frisés… Et je me souviendrai toujours de cet ouvrier, à la gueule farouche, qui marchait devant la foule, portant je ne sais quoi, qui ressemblait à un ostensoir…
La Belgique ne peut pas éliminer le sang espagnol qui coule dans ses veines…