L’accent belge.

Leurs théâtres, sauf le théâtre du Parc, qui est tout à fait français, c’est presque la Comédie-Française, presque l’Opéra, presque les Nouveautés, presque l’Olympia, mais avec l’accent. Or, cet accent est triste et comique, à la façon d’un air faux.

Non seulement les ingénues, les grandes coquettes, les jeunes premières, les vieilles dernières, les amoureux, les pères nobles, les chanteuses, les choristes, les souffleurs, régisseurs, décorateurs, les gymnastes, les montreurs de phoques et les écuyères, ont cet accent sans accent qui fait rire et qui fait pleurer aussi, mais – chose fantastique – les danseuses également, les danseuses surtout qui, ne pouvant mettre l’accent dans leur bouche, l’introduisent dans leurs jambes, dans leurs bras, dans leurs sourires, dans leurs exercices de désarticulation, dans toutes leurs poses, jusque dans le frémissement aérien des tutus envolés.

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Je suis allé au Palais de Justice, où ils ont entassé pêle-mêle, tant qu’ils ont pu, des souvenirs de monuments sur des monuments de souvenirs, pour n’aboutir qu’à un monument d’une laideur invraisemblable. Ils y ont empilé de l’assyrien sur du gothique, du gothique sur du thibétain, du thibétain sur du Louis XVI, du Louis XVI sur du papou… C’est tellement laid, que ça en devient beau…

On y jugeait un pauvre diable de Français qui, ne pensant pas à mal, et pour s’emparer de son argent, dont elle ne faisait rien, avait étranglé une vieille dame de Bruxelles. Sa mine réjouie, bonasse, naïve me frappa. M. Edmond Picard le défendait, car, non seulement M. Edmond Picard écrit, mais il parle aussi le belge le plus pur et le plus châtié.

Quand le président lut, avec l’accent qui, cette fois, me parut d’un comique étrangement sinistre, l’arrêt qui le condamnait au bagne perpétuel, le client de M. Edmond Picard se mit à rire, à se tordre de rire. À plusieurs reprises, il applaudit frénétiquement.

Le soir, il a dit à son avocat, qui lui reprochait sa conduite inconvenante :

– Je ne croyais pas que c’était vrai… Je m’imaginais qu’on m’avait amené au théâtre, pour me distraire un peu, et me faire voir les meilleurs comiques de l’endroit. J’étais content… Je m’amusais… Ah ! je m’amusais !… Que voulez-vous ? J’aime les imitations…

Et il a ajouté, déçu :

– Alors, c’est pas imité ?… Ce juge, c’était bien un juge ?… Et vous, vous êtes bien un avocat ?… Et moi, je suis bien un assassin ?… Ah vrai !…