CCC

Où il est démontré que deux augures ne peuvent pas se regarder sans rire

Le comte Rappt arriva rapidement rue Saint-Guillaume, où était situé l’hôtel qu’habitait monseigneur Coletti.

Monseigneur occupait un pavillon entre cour et jardin. Rien de plus charmant que ce retrait : un vrai nid de poète, d’amoureux ou d’abbé, ouvert aux rayons du midi, hermétiquement fermé aux cruels vents du nord.

L’intérieur de ce pavillon décelait, à première vue, le sensualisme raffiné du personnage sacré qui l’habitait. Un air tiède, balsamique, voluptueux, vous saisissait dès qu’on entrait dans l’appartement, et un homme qu’on eût amené là les yeux bandés eût pu se croire, rien qu’en humant le parfum de l’atmosphère, dans un de ces boudoirs mystérieux, enivrants, où les beaux du Directoire allaient chanter leurs cantiques et brûler leur encens.

Un domestique, moitié huissier, moitié prêtre, introduisit le comte Rappt dans un petit salon à demi éclairé, ou plutôt à demi obscur, qui précédait le salon de réception.

– Sa Grandeur est profondément occupée en ce moment, dit le domestique, et je ne sais si elle pourra recevoir ; mais si monsieur veut dire son nom...

– Annoncez le comte Rappt, répondit le futur député.

Le domestique s’inclina profondément et entra dans le salon. Il revint quelques instants après en disant :

– Sa Grandeur va recevoir M. le comte.

Le colonel n’attendit pas longtemps. Au bout de cinq minutes, il vit sortir du salon, reconduits par monseigneur Coletti, deux personnages dont il ne distingua pas tout d’abord la figure, mais qu’il reconnut bientôt en les voyant s’incliner devant lui avec une servilité dont les seuls frères Bouquemont avaient jamais fait preuve.

C’étaient, en effet, Sulpice et Xavier Bouquemont.

M. Rappt les salua aussi courtoisement qu’il put et entra dans le salon, suivi de l’évêque, qui ne voulut pas consentir à passer le premier.

– Je ne m’attendais guère à avoir l’honneur et le plaisir de vous voir aujourd’hui, monsieur le comte, dit Sa Grandeur en faisant asseoir le comte Rappt sur une causeuse, et s’y asseyant à son tour.

– Et pourquoi donc, monseigneur ? demanda celui-ci.

– Parce qu’un homme d’État comme vous, répondit d’un air humble monseigneur Coletti, doit avoir autre chose à faire, la veille des élections, que de visiter un pauvre ermite comme moi.

– Monseigneur, dit vivement le comte, qui voyait que cet hypocrite marivaudage pouvait l’entraîner un peu trop loin, madame la marquise de la Tournelle a eu la charité de m’avertir que j’avais perdu, à ma grande surprise et à mon grand chagrin, tout crédit dans votre esprit.

– Madame la marquise de la Tournelle a été peut-être un peu loin, interrompit l’abbé, en disant tout crédit.

– C’est me dire, monseigneur, qu’il s’en faut de peu.

– J’avoue, monsieur le comte, répondit l’abbé en fronçant le sourcil d’un air de tristesse et en levant les yeux au ciel, comme s’il appelait sur le pécheur qui était devant lui toute la miséricorde divine, j’avoue qu’au moment où Sa Majesté m’a demandé mon opinion sincère sur votre réélection et sur votre entrée au ministère, j’avoue... que, sans dire tout ce que je pensais, j’ai été contraint de prier le roi de réfléchir et de ne pas prendre un parti avant que j’eusse longuement causé avec vous.

– Je ne suis ici que pour cela, monseigneur, dit assez sèchement le futur député.

– Eh bien !... causons, monsieur le comte.

Qu’avez-vous à me reprocher,

monseigneur

? demanda M. Rappt

;

personnellement, bien entendu.

– Moi ! s’écria l’évêque d’un air innocent ; moi, avoir personnellement quelque chose à vous reprocher ? Mais, en vérité, vous me rendez confus ; car, du moment qu’il s’agit de moi, monsieur le comte, moi, je n’ai qu’à me louer de vous ! Je l’ai dit au roi, je l’avoue hautement ; je le raconte à qui veut l’entendre, moi, je suis votre tout reconnaissant !

Alors, monseigneur, de quoi s’agit-il

?

Puisque vous n’avez, dites-vous, qu’à vous louer de moi, d’où vient le discrédit où je suis tombé auprès de vous ?

– C’est bien difficile à vous dire, fit l’évêque en hochant la tête d’un air embarrassé.

– Je puis peut-être vous aider, monseigneur.

– Je ne demande pas mieux, monsieur le comte ; aussi bien, vous vous doutez, je pense, de ce dont il s’agit ?

Nullement, je vous assure, répliqua M.

Rappt ; mais, en cherchant tous les deux, nous y arriverons peut-être.

– Je vous écoute avec le plus grand intérêt.

– Il y a en vous deux hommes, monseigneur : le prêtre et l’homme politique, dit le comte en regardant fixement l’évêque ; lequel des deux ai-je offensé ?

– Mais aucun des deux, répondit l’évêque en feignant d’hésiter.

Je vous demande pardon, monseigneur, reprit le comte Rappt ; parlons donc franc, et dites-moi auquel des deux hommes que vous êtes je dois des excuses et une réparation.

– Écoutez, monsieur le comte, dit l’évêque ; je serai franc avec vous, en effet

; et, pour

commencer, permettez-moi de vous rappeler l’admiration que j’ai pour votre beau talent. Nul homme ne m’a semblé, jusqu’ici, plus digne que vous d’aspirer aux plus grandes charges de l’État ; malheureusement, une tache est venue obscurcir l’éclat dont je me plaisais à vous parer.

Expliquez-vous, monseigneur. Je ne demande pas mieux que de me confesser.

Eh bien, dit lentement et froidement l’évêque, je vous prends au mot ; je veux vous confesser ! Le hasard m’a rendu confident d’une faute que vous avez commise ; avouez-la-moi comme si vous étiez au tribunal de la pénitence, et, dussé-je user mes genoux à prier pour vous, j’implorerai jour et nuit la miséricorde divine jusqu’à ce que j’obtienne votre pardon.

– Hypocrite ! pensa le comte Rappt, hypocrite et imbécile ! Comment peux-tu croire que je serai assez niais pour me laisser prendre au piège ?

C’est moi qui vais te confesser, au contraire...

– Monseigneur, dit-il tout haut, si je vous comprends, vous avez eu, par hasard (et il appuya avec intention sur ce mot), vous avez eu connaissance d’une faute que j’ai commise.

Mettez-moi un peu sur la voie ! Est-ce un péché véniel... ou... mortel ? Là est toute la question.

– Scrutez-vous, monsieur le comte, interrogez-vous, dit l’évêque d’un air plein de componction ; fouillez votre conscience. Avez-vous quelque chose de grave... de très grave, à vous reprocher ?

Vous savez que j’ai pour votre famille et pour vous, en particulier, une tendresse toute paternelle ; j’en aurai toute l’indulgence ! Parlez donc avec confiance ; vous n’avez pas d’ami plus dévoué que moi.

– Écoutez, monseigneur, reprit le comte Rappt en regardant sévèrement l’évêque

: nous

connaissons les hommes tous les deux ; nous connaissons, à ne pas nous y tromper l’un et l’autre, et aussi bien l’un que l’autre, les passions humaines ; nous savons que peu de nous arrivent à notre âge, avec nos appétits et nos ambitions, au point de la vie où nous en sommes, sans apercevoir, en regardant derrière eux... des faiblesses !

Sans doute

! interrompit l’évêque en

baissant les yeux, car il ne pouvait soutenir le regard fixe du futur député ; sans doute, la nature humaine est imparfaite, sans doute nous avons tous derrière nous, à notre suite, à nos trousses, un cortège d’erreurs, de faiblesses... Mais, reprit-il en levant la tête, il est de ces faiblesses dont la divulgation serait de nature à compromettre sérieusement, dangereusement même ! Si c’est une faute de cette espèce, avouez, monsieur le comte, que nous ne serions pas trop de deux pour conjurer les périls qui en seraient la suite.

Interrogez-vous donc.

Le comte regarda l’évêque d’un œil haineux.

Il avait envie de l’accabler d’injures ; mais il pensa qu’il aurait meilleur marché de lui en jésuitant à son image ; et il répondit d’un air contrit :

Hélas

! monseigneur, se souvient-on

parfaitement de tout ce qu’on a pu faire de mal ou de bien en ce monde ? Une faute qui peut nous paraître légère, de peu d’importance, à nous qui savons que la fin justifie les moyens, peut devenir une faute énorme, un crime monstrueux aux yeux de la société. La nature humaine est si imparfaite, comme vous le disiez tout à l’heure ; notre ambition est si grande ! notre vue si longue !

notre vie si courte ! nous sommes tellement habitués, pour arriver à notre but, à écarter chaque jour des épines inattendues, à traverser des broussailles nouvelles, que nous oublions facilement les misères de la veille devant les obstacles du moment. Et alors, quel est celui de nous qui ne porte pas au fond de lui son secret dangereux, ses remords, ses craintes ? quel est celui qui peut se dire, en toute conscience, arrivé à notre heure

: «

J’ai marché dans le droit

chemin, jusqu’aujourd’hui, sans laisser une goutte de mon sang aux épines de la route ! J’ai accompli glorieusement ma tâche, sans assumer sur moi le poids de telle ou telle faute, de tel ou tel crime, même ? » Que celui-là se montre, s’il a eu la moindre ambition dans le cœur, et, devant celui-là, je me prosternerai humblement, et à celui-là, je dirai en me frappant la poitrine : « Je suis indigne d’être ton frère.

» Le cœur de

l’homme est semblable aux grands fleuves, qui reflètent le ciel à la surface et cachent aux regards le limon de leur lit. Ne me demandez donc pas, monseigneur, la confidence de tels ou tels secrets ! J’ai plus de secrets que d’années ! Dites-moi plutôt lequel de ces secrets vous avez appris, et nous partirons de là tous les deux pour chercher le moyen d’absoudre la faute.

– Je ne demande pas mieux que de vous être agréable, monsieur le comte, dit l’évêque

;

cependant, si votre secret m’a été confié, et que j’ai fait serment de le garder, comment voulez-vous que je manque à mon serment ?

– Est-ce en confession ? demanda M. Rappt.

Non... pas précisément, dit en hésitant l’évêque.

– Alors, monseigneur, vous pouvez parler, dit sèchement le futur député. Entre honnêtes gens comme nous, il faut s’entraider... Je vous rappellerai, d’ailleurs, en passant, continua sévèrement le comte Rappt, et afin de mettre votre conscience à l’aise, que vous n’en êtes pas à votre premier serment.

– Mais, monsieur le comte... interrompit en rougissant l’évêque.

– Mais, monseigneur, reprit le député, sans parler des serments politiques, qui ne sont prêtés que pour être rendus, c’est-à-dire violés, vous en avez violés plusieurs autres...

– Monsieur le comte ! s’écria l’évêque d’une voix indignée.

Vous avez, monseigneur, fait vœu de chasteté, continua le comte, et vous êtes, à ma connaissance et au su de chacun, l’abbé le plus galant de Paris.

– Monsieur le comte, vous m’injuriez ! dit l’évêque en se cachant la figure dans ses mains.

– Vous avez fait vœu de pauvreté, poursuivit le diplomate, et vous êtes plus riche que moi ; car vous avez cent mille francs de dettes ; vous avez fait vœu de...

Monsieur le comte

! dit l’évêque en se

levant, je n’en saurais entendre davantage. Je croyais que vous veniez chercher la paix ici, et c’est la guerre que vous venez m’apporter ; soit.

Écoutez, monseigneur, reprit plus

doucement le futur député ; nous n’avons rien à gagner, ni l’un ni l’autre, à nous faire la guerre.

Je ne l’apporte donc pas, ainsi que vous le dites.

Si telle avait été mon intention, je n’aurais pas l’honneur de m’expliquer avec vous en ce moment.

– Mais que désirez-vous de moi ? demanda l’évêque en se radoucissant.

– Je désire savoir, répondit nettement le comte Rappt, laquelle de mes fautes est venue à votre connaissance.

– Une faute horrible ! murmura l’évêque en levant les yeux au plafond.

– Laquelle ? insista le comte.

Vous avez épousé votre fille

! dit

monseigneur Coletti en se voilant la face et en se laissant tomber sur la causeuse.

Le comte le regarda avec une sorte de mépris, d’un air qui signifiait : « Eh bien, oui, après ? »

– Est-ce de la comtesse que vous tenez ce secret ? demanda-t-il.

– Non, répondit l’évêque.

– De la marquise de la Tournelle ?

– Non, répéta monseigneur.

– Alors c’est de la maréchale de Lamothe-Houdon.

– Je ne puis vous dire de qui, fit l’évêque en hochant la tête.

J’aurais dû y penser

; vous êtes son

confesseur.

– Croyez que ce n’est pas par la confession que je l’ai appris, s’empressa de dire le prélat.

– Je le crois, dit M. Rappt, je n’en doute même pas, monseigneur. Eh bien, ajouta-t-il en regardant en face l’évêque, c’est la vérité. Elle est sans doute horrible, comme vous le disiez ; mais je l’avoue courageusement. Oui, j’ai épousé ma fille, mais spirituellement, monseigneur, si vous me permettez de m’exprimer ainsi, et non matériellement, comme vous semblez le croire.

Oui, j’ai commis ce crime, horrible aux yeux de la société, devant le Code. Mais, vous le savez, le Code n’est pas fait pour arrêter deux sortes de gens : ceux qui sont au-dessous, comme les criminels de bas étage, et ceux qui sont au-dessus, comme vous et moi, monseigneur.

Monsieur le comte, s’écria vivement l’évêque en regardant tout autour de lui, comme s’il se doutait que quelqu’un pût recueillir ces paroles.

– Eh bien, monseigneur, reprit le comte Rappt après un moment d’hésitation, en retour de votre secret, je vais vous en confier un autre qui ne manquera pas, j’en suis sûr, de vous être aussi agréable.

– Que voulez-vous dire ? demanda l’évêque en tendant les oreilles.

– Vous souvenez-vous d’une conversation que nous avons eue ensemble, un soir, quelques heures avant mon départ pour la Russie, en nous promenant sous les grands arbres du parc de Saint-Cloud

? Il était sept heures et demie

environ.

– Je me souviens, en effet, de la promenade, dit l’évêque en rougissant

; mais je ne me

rappelle que très vaguement notre conversation.

– En ce cas, monseigneur, je vais vous la rappeler tout à fait, ou plutôt vous la résumer brièvement. Vous m’avez demandé de vous faire nommer archevêque. Je me suis souvenu de vos paroles et j’ai agi. Le lendemain de mon retour de Saint-Pétersbourg, j’ai écrit à notre saint-père, et, en lui rappelant que vous aviez du sang de Mazarin dans les veines, et surtout de son génie dans l’esprit, j’ai insisté pour avoir une prompte réponse. Je l’attends d’ici à quelques jours.

– Croyez, monsieur le comte, que je suis confus de votre bonté, balbutia l’évêque ; je ne pensais pas avoir manifesté un si ambitieux désir.

Je regrette que la faute qui nous sépare ne me permette pas de vous remercier comme je l’aurais voulu ; car un pécheur comme...

Le comte Rappt l’arrêta.

– Attendez un moment, monseigneur, dit-il en regardant l’évêque, le rire sur les lèvres ; je vous ai parlé d’un secret, je ne vous ai rien dit que de très simple. Vous souhaitez d’être archevêque, j’écris à notre saint-père ; nous attendons sa réponse. Jusque-là, rien que de naturel. Mais le secret, le voici, et il faut que je compte entièrement et absolument sur vous, monseigneur, pour vous le révéler, car c’est un secret d’État...

Que voulez-vous dire

? s’écria vivement

l’évêque ; un peu trop vivement, peut-être, car le diplomate sourit de pitié.

– Pendant que la marquise de la Tournelle, reprit le comte, était auprès de vous, le médecin de monseigneur de Quélen était auprès de moi.

Ici, l’évêque ouvrit grandement les yeux, comme pour bien voir si celui qui lui annonçait la visite du médecin de l’archevêque était un messager de bonne nouvelle.

Le comte Rappt sembla ne pas s’apercevoir de l’attention que monseigneur Coletti prêtait à ses paroles ; il continua :

– Le médecin de monseigneur, assez jovial d’ordinaire, comme les gens de sa classe, qui ont assez d’esprit pour accepter gaiement ce qu’ils ne peuvent empêcher, m’a paru si profondément affecté, que je me suis cru forcé de lui demander la cause de son affliction.

Qu’avait donc le docteur

? demanda

l’évêque avec une feinte émotion qu’il tâcha de rendre véritable. Sans avoir l’honneur d’être son ami, je le connais assez intimement pour m’intéresser particulièrement à lui, outre qu’il est un des chrétiens les plus recommandables, puisqu’il est patronné par nos révérends frères de Montrouge !

La cause de son chagrin est facile à comprendre, répondit M. Rappt, et vous la comprendrez mieux que personne, monseigneur, quand je vous dirai que notre saint prélat est malade.

Monseigneur est malade

? s’écria l’abbé

avec une terreur très bien jouée, devant tout autre que le comédien que nous avons appelé le comte Rappt.

– Oui, répondit celui-ci.

– Dangereusement ?... demanda l’évêque en regardant fixement son interlocuteur. Dans ce regard, il y avait tout un discours, toute une question, toute une interrogation expressive, pressante. Ce regard voulait dire : « Je vous comprends ; vous m’offrez l’archevêché de Paris en retour de votre crime. Nous nous entendons tous les deux. Mais ne me trompez pas ; redoutez de me tromper, ou malheur à vous ! car, soyez-en bien sûr, j’userai de toutes mes forces pour vous abattre. »

Voilà tout ce que ce regard signifiait, et plus encore peut-être.

Le comte Rappt le comprit, et il répondit affirmativement.

L’évêque reprit :

Croyez-vous que la maladie soit assez dangereuse pour que nous ayons la douleur de perdre ce saint homme ?

Le mot douleur signifiait espérance.

– Le docteur était inquiet, dit M. Rappt d’une voix émue.

– Très inquiet ? dit monseigneur Coletti sur le même ton.

– Oui, très inquiet !

– La médecine a tant de ressources, qu’il est bien permis d’espérer la guérison de ce saint homme.

– Saint homme est le mot, monseigneur.

– Un homme qu’on ne remplacera pas !

– Qu’on remplacera difficilement, du moins.

Qui pourrait le remplacer

? demanda

l’évêque d’un air affligé.

– Celui qui, ayant déjà toute la confiance de Sa Majesté, dit le comte, serait encore présenté au roi comme le digne successeur du prélat.

Un tel homme existe-t-il

? demanda

modestement l’évêque.

– Oui, répondit le futur député, il existe.

– Et vous le connaissez, monsieur le comte ?

– Oui, répéta M. Rappt, je le connais.

Et, en disant ces mots, le diplomate regarda l’évêque de la façon dont celui-ci l’avait regardé précédemment, c’est-à-dire qu’il lui mit le marché à la main. Monseigneur Coletti le comprit, et, baissant la tête avec humilité, il dit :

– Je ne le connais pas !

– Eh bien, monseigneur, permettez-moi de vous le faire connaître, reprit M. Rappt. L’évêque frémit.

– C’est vous, monseigneur.

– Moi ! s’écria l’évêque ; moi, indigne ! moi !

moi !

Et il répéta ce mot moi pour feindre l’étonnement.

– Vous, monseigneur, dit le comte, si votre nomination dépend de moi, comme elle peut en dépendre, si je suis ministre.

L’évêque faillit se trouver mal de plaisir.

– Eh quoi !... balbutia-t-il.

Le futur député ne le laissa pas continuer.

– Vous m’avez compris, monseigneur, dit-il, c’est un archevêché que je vous propose en retour de votre silence. Je crois que nos deux secrets se valent l’un l’autre.

– Ainsi, dit l’évêque en regardant tout autour de lui, vous vous engagez solennellement, le cas échéant, à me trouver digne de l’archevêché de Paris ?

– Oui, dit M. Rappt.

– Et, le cas échéant, répéta l’évêque, vous ne renierez pas votre parole ?

– Ne connaissons-nous pas tous deux la valeur des serments ? dit en souriant le comte.

– Sans doute, sans doute ! fit l’évêque ; entre honnêtes gens, on s’entend toujours... Si bien, ajouta-t-il, que, si je vous en priais, vous me confirmeriez cette promesse ?

– Certainement, monseigneur.

– Même par écrit ? demanda l’évêque d’un air de doute.

– Même par écrit ! affirma le comte.

– Eh bien !... fit l’évêque en se tournant du côté d’une table sur laquelle il y avait du papier, une plume, de l’encre, et, comme on dit en argot de théâtre, tout ce qu’il faut pour écrire.

Ce mot eh bien était si expressif, que le compte Rappt, sans demander plus d’explication, se dirigea vers la table, et confirma par écrit la promesse qu’il venait de faire verbalement à l’évêque.

Il lui tendit le papier ; l’évêque le prit, en lut le contenu, le saupoudra, le plia, le mit dans un tiroir, et, regardant M. Rappt avec un sourire dont son aïeul Méphistophélès ou son confrère l’évêque d’Autun lui avaient certainement transmis le secret :

– Monsieur le comte, lui dit-il, à partir de cette heure, vous n’avez pas d’ami plus dévoué que moi.

– Monseigneur, répondit le comte Rappt, que Dieu, qui nous entend, me punisse si j’ai jamais douté de votre affection.

Et ces deux gens de bien se quittèrent après s’être étroitement serré la main.