CCXCII
Où le moyen est trouvé.
Après un instant de silence, on entendit en quelque sorte descendre, des hauteurs où il semblait planer, la voix de Salvator.
– Il y a pourtant un moyen, monsieur Jackal, dit-il.
–
Bah
! et lequel
? demanda celui-ci, qui
semblait profondément étonné qu’il y eût un moyen et qu’il ne l’eût pas trouvé.
– Un moyen tout simple, continua Salvator, et c’est pour cela que vous n’y avez pas songé, sans doute.
– Alors dites vite, fit M. Jackal, qui semblait plus pressé de le connaître qu’aucun de ceux qui écoutaient Salvator.
–
Je vais me répéter, dit Salvator
; mais,
puisque vous n’avez pas compris la première fois, peut-être comprendrez-vous mieux la seconde ?
M. Jackal parut redoubler d’attention.
– Que suis-je venu faire tantôt chez vous, quelques instants avant d’être arrêté ?
– Vous êtes venu déposer sur mon bureau les pièces à conviction de l’innocence de M. Sarranti
– disiez-vous, du moins –, un squelette d’enfant trouvé dans un jardin de Vanves, chez un M.
Gérard. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
– C’est tout à fait cela, répondit Salvator. Et pourquoi vous ai-je remis ces pièces ?
–
Pour les déposer au parquet de M. le procureur du roi.
– L’avez-vous fait ? demanda d’un ton sévère le jeune homme.
– Je vous jure, monsieur Salvator, s’empressa de répondre M. Jackal d’un ton pénétré, que j’allais chez Sa Majesté, à Saint-Cloud, dans l’intention de parler à M. le ministre de la justice, qui se trouvait là, des pièces que vous m’aviez apportées.
– Abrégeons, dit Salvator, le temps presse.
Vous ne l’avez pas fait ?
– Non, répondit M. Jackal, puisque j’ai été arrêté au moment où je me rendais à Saint-Cloud.
– Eh bien, ce que vous n’avez pas fait seul, nous allons le faire tous les deux.
–
Je ne vous comprends pas, monsieur Salvator.
–
Vous allez m’accompagner chez le
procureur du roi, où vous raconterez les faits comme vous les comprenez à présent.
Quelque intérêt que M. Jackal parût avoir à adopter cet avis, il fut loin de le saisir au passage comme s’y attendait Salvator.
– Je le veux bien, répondit-il négligemment en hochant la tête, comme un homme qui n’a aucune confiance dans l’acte qu’il va accomplir.
– Vous semblez n’être point de mon avis, demanda Salvator
; désapprouvez-vous mon
projet ?
– Complètement, répondit M. Jackal.
– Exposez vos motifs.
– Quand nous aurons donné à M. le procureur du roi les preuves les plus irréfutables de l’innocence de M. Sarranti, M. Sarranti n’en sera pas moins condamné par un arrêt du jury, arrêt infaillible selon nos lois ; si claires que soient les preuves, on ne le mettra donc pas en liberté. Ce sera une nouvelle instruction à faire, un nouveau procès à suivre ; en attendant, M. Sarranti restera en prison. Un procès, cela n’a pas de limites précises ; un procès dure un an, deux ans, dix ans ; un procès dure toujours, si l’on a intérêt à ce qu’il ne finisse pas. Eh bien, supposez une chose : c’est que ces longs délais lassent M.
Sarranti ; lassé, il perd courage, il tombe dans le marasme, lutte quelque temps contre le spleen ; puis enfin, un beau jour, il lui passe par l’esprit d’en finir avec la vie.
Ces mots, après lesquels M. Jackal s’arrêta pour juger de l’effet produit, eurent à peu près le résultat d’une commotion électrique : les cent hommes frissonnèrent comme un seul corps.
M. Jackal s’effraya lui-même de l’émotion qu’il venait de soulever. Il pensa qu’elle pouvait lui être défavorable, et, pour détourner toutes ces colères qui pouvaient éclater sur lui, concentrées en un seul orage, il ajouta vivement :
– Remarquez, monsieur Salvator, et faites bien remarquer à ces messieurs que je ne suis qu’un agent, un rouage dans une machine ; je reçois l’impulsion, je ne la donne pas ; je ne commande pas, j’exécute ; on me dit : « Faites », et j’obéis.
–
Continuez, monsieur, continuez
; loin de
vous en vouloir, ces messieurs et moi vous remercions de nous éclairer.
Ces mots parurent rendre instantanément le courage à M. Jackal.
– Je vous disais donc, continua-t-il, qu’un beau jour, au moment où le procès tirera à sa fin
– si l’on va jusque-là, même –, il est possible qu’on lise dans les journaux du matin que le geôlier de la Conciergerie, en entrant dans la prison de M. Sarranti, l’a trouvé pendu comme Toussaint-Louverture, ou étranglé comme Pichegru ; car, enfin, ajouta M. Jackal avec une naïveté terrible, vous comprenez bien que, lorsqu’un gouvernement se met en marche, il ne s’arrête pas à la première borne du chemin.
– Assez !... dit Salvator d’une voix sombre ; vous aviez raison, monsieur Jackal, c’est un mauvais moyen. Heureusement, s’empressa-t-il d’ajouter, qu’en renonçant à celui-là comme nous avons renoncé à celui du général Lebastard de Prémont, j’ai un troisième moyen que je crois meilleur que les deux autres.
L’assemblée respira.
– Je vais vous en faire juge, continua Salvator.
Chacun prêta l’oreille, retenant son souffle.
Inutile de dire que M. Jackal n’était pas le moins attentif des auditeurs du jeune homme.
– De même, reprit Salvator s’adressant à M.
Jackal, que vous avez utilement employé votre temps depuis l’emprisonnement de M. Sarranti, je n’ai pas perdu le mien : il y a donc trois mois que, prévoyant, ou à peu près, ce qui arrive en ce moment, j’ai formé le plan que je vais vous communiquer.
– Vous n’avez pas idée de l’intérêt avec lequel je vous écoute, dit M. Jackal.
Salvator sourit imperceptiblement.
– Vous connaissez la Conciergerie sur le bout de votre doigt, n’est-ce pas, monsieur Jackal ?
continua-t-il.
– Naturellement, répondit celui-ci, étonné que l’on pût lui faire une question si simple.
– En entrant par la grille située entre les deux tours, c’est-à-dire par l’entrée et la sortie ordinaire des prisonniers, on traverse la cour et l’on se trouve, une fois le guichet franchi, dans la geôle, c’est-à-dire dans le vestibule de la prison.
– C’est cela, fit M. Jackal avec un signe de tête.
– Au milieu de la geôle, est un poêle autour duquel causent guichetiers, agents de police et gendarmes ; juste en face de la porte d’entrée, la porte du fond s’ouvre dans le corridor donnant sur les cachots ordinaires ; nous n’avons rien à faire avec ceux-là. C’est à gauche de la porte d’entrée, à gauche du poêle, dans une chambre dallée dont la porte, avec une ouverture grillée, donne sur un corridor particulier, que se trouve la chambre des condamnés à mort.
M. Jackal continua d’approuver de la tête ; la description topographique était des plus exactes.
– C’est là naturellement qu’a dû être enfermé M. Sarranti, sinon depuis son jugement, du moins depuis trois ou quatre jours.
– Depuis trois jours, dit M. Jackal.
– Et c’est là qu’il est à cette heure, n’est-ce pas, et qu’il restera jusqu’à l’heure de son exécution ?
M. Jackal répondit par un nouveau signe affirmatif.
– Voilà déjà un premier point arrêté ; passons au second.
Il y eut un moment de silence.
– Voyez un peu ce que c’est que le hasard, reprit Salvator, et combien, quoi qu’en disent les pessimistes, il protège les honnêtes gens ! Un jour, vers quatre heures du soir, en sortant du Palais, où j’avais assisté à l’une des dernières séances du procès Sarranti, je descends au bord de la rivière, et je tourne du côté de la pile du pont Saint-Michel, où j’ai d’habitude un canot amarré. Voilà qu’en longeant le bord de la rivière, j’aperçois, au-dessus de la berge et au-dessous du quai de l’Horloge, quatre ou cinq ouvertures fermées par des grilles de fer à doubles croisillons
; je n’avais jamais fait
attention à ces ouvertures, qui ne sont rien autre chose que de simples égouts ; mais, cette fois, tout en proie que j’étais au pénible sentiment où me jetait la condamnation probable de M.
Sarranti, je m’en approchai et les examinai, dans l’ensemble d’abord, puis ensuite dans les détails.
Le résultat de l’examen fut que rien n’était plus facile que de desceller ces grilles et de pénétrer ainsi sous le quai, et même, selon toute probabilité, sous la prison
; mais à quelle
profondeur ? C’est ce qu’il m’était impossible de deviner. Je ne m’en occupai pas davantage, ce jour-là ; ce qui n’empêcha point d’y songer toute la nuit. Mais, le lendemain, vers huit heures du matin, j’étais à la Conciergerie. Il faut vous dire que j’ai un ami à la Conciergerie – vous allez voir tout à l’heure qu’il est bon d’avoir des amis partout – ; j’allai le trouver, et, tout en causant et en me promenant avec lui, j’acquis la certitude que l’une des ouvertures donnant sur la berge de la rivière aboutissait au préau des prisonniers. Le tout était de bien connaître le chemin que parcourait souterrainement cette espèce de canal, qui ne devait point passer très loin du cachot des condamnés à mort. « Bien ! me dis-je, c’est une mine à creuser, et nos carriers des catacombes ne sont pas gens à reculer pour si peu. »
Cinq ou six des auditeurs de Salvator firent de la tête un signe d’assentiment.
C’étaient les carriers auxquels le jeune homme venait d’adresser son interpellation.
Salvator reprit :
– Je levai donc le plan de la Conciergerie, ce qui me fut facile, au reste, en décalquant un vieux plan que je trouvai à la bibliothèque du Palais, et, une fois bien pénétré de mon sujet, je désignai trois de nos frères pour me suivre. La même nuit, continua Salvator, nuit qui était heureusement une nuit sombre, après avoir descellé sans bruit la grille de l’égout, je pénétrai dans l’infect souterrain ; mais, au bout de dix pas, je fus forcé de m’arrêter : le souterrain était barré dans toute sa hauteur et toute sa largeur par une grille semblable à celle qui donnait sur la Seine. Je revins sur mes pas, et je fis engager un de mes hommes, armé de ses outils, dans le sombre et étroit passage ; au bout de dix minutes, il revint tomber à mes pieds sur la berge. Il était à moitié asphyxié, il n’avait voulu revenir que la besogne faite. Sur la certitude que l’obstacle avait disparu, je m’engageai de nouveau dans la gorge sombre et fétide ; cette fois, je fis vingt pas, à peu près ; mais, au bout de vingt pas, je rencontrai une nouvelle grille. Je regagnai le bord de l’eau, presque suffoqué moi-même, en encourageant un autre de mes compagnons à m’ouvrir le passage...
Il revint à moitié mort ; mais, comme le premier, il avait accompli sa besogne : la seconde grille était descellée. Je rentrai dans le souterrain, et, dix pas plus loin que la seconde grille, j’en rencontrai une troisième ; je revins triste, mais non découragé, vers mes hommes. Deux sur trois étaient exténués : il ne fallait pas compter sur eux. Un troisième était frais et plein d’ardeur ; avant que j’eusse achevé de formuler mon désir, il s’était élancé dans le sombre conduit... Dix minutes s’écoulèrent, puis un quart d’heure, l’homme ne revenait pas... Je m’engageai dans le souterrain pour me mettre à sa recherche. À dix pas de la gueule de l’égout, je heurtai un obstacle que je ne connaissais pas ; j’étendis les mains, je reconnus un corps, j’entraînai ce corps par la blouse, et je l’amenai sur la berge : il était trop tard, le corps n’était plus qu’un cadavre ; le pauvre diable était asphyxié !... Tels furent les travaux du premier jour, ou plutôt de la première nuit, acheva froidement Salvator.
Tous les assistants écoutaient le récit de ce labeur héroïque avec un recueillement et un intérêt que nous n’avons pas besoin de décrire.
M. Jackal, surtout, regardait le narrateur avec une sorte de stupéfaction ; il se sentait lâche et petit auprès de ce vaillant jeune homme, qui lui paraissait haut de cent coudées.
Quant au général Lebastard de Prémont, à peine Salvator eut-il achevé les derniers mots de son récit, qu’il s’avança vers le jeune homme.
– Et sans doute celui qui est mort avait une femme et des enfants ? demanda-t-il.
– Ne vous occupez point de cela, général, dit-il : tout est bien de ce côté. La femme a douze cents francs de rente viagère, ce qui est une fortune pour elle ; les deux enfants sont à l’école d’Amiens.
Le général fit un pas en arrière.
– Continuez, mon ami, dit-il.
– Le lendemain, reprit Salvator, je me rendis au même endroit avec les deux hommes restants, et qui m’avaient déjà accompagné. J’entrai seul, avec une bouteille de chlore dans chaque main.
La troisième grille était enlevée, je pus donc continuer mon chemin. Après la troisième grille, l’égout tournait à droite. À mesure que j’appuyais vers cette droite, l’envergure du souterrain se rétrécissait ; bientôt j’entendis que l’on marchait au-dessus de ma tête : c’était évidemment une ronde de guichetiers ou de soldats qui traversait le préau. Je n’avais rien à faire par là. J’avais calculé mes distances d’une façon infaillible : je savais qu’au trentième mètre, je devais creuser à gauche ; ma courbe, ou plutôt mon angle était mesuré avec la certitude d’une mine stratégique.
Je revins, répandant du chlore tout le long de ma route pour désinfecter, autant que possible, le souterrain ; nous rescellâmes la première grille et nous nous éloignâmes comme la veille. Les études topographiques étaient faites ; il restait à commencer les travaux pratiques, travaux dont nous apprécierez la difficulté quand je vous dirai que trois hommes, en se relayant d’heure en heure, et en travaillant chacun deux heures par nuit, ont mis soixante-sept nuits pour mener à bonne fin ce travail.
Un cri de reconnaissance, un murmure d’admiration sortirent de toutes les bouches.
Trois hommes seulement se turent. C’étaient le charpentier Jean Taureau et ses deux compagnons, le maçon Sac-à-Plâtre et le charbonnier Toussaint-Louverture. Ils firent un pas en arrière en entendant les carbonari manifester si hautement leur admiration.
– Voici les trois auteurs de ce gigantesque travail, dit Salvator en les désignant à l’assemblée. Les trois mohicans eussent donné beaucoup pour être enfouis au plus profond de la mine qu’ils avaient percée. Ils baissèrent les yeux comme des enfants.
– Que nous sauvions ou que nous ne sauvions pas M. Sarranti, dit tout bas le général Lebastard à Salvator, la fortune de ces trois hommes est faite.
Salvator échangea une poignée de main avec le général.
–
Au bout de deux mois, reprit le jeune homme, nous étions juste au-dessous du cachot des condamnés à mort, cachot presque toujours vide, puisque l’on n’y met les condamnées que deux ou trois jours avant leur exécution. Nous pouvions donc, arrivés là, travailler sans crainte d’éveiller l’attention des geôliers ; au bout de sept jours, nous avions descellé une dalle, ou plutôt, il suffisait de pousser un peu fortement cette dalle taillée en biseau pour la soulever et donner, par cette ouverture, passage au prisonnier. Pour plus de sûreté, et dans le cas où le geôlier entrerait au bruit que ferait le prisonnier en s’évadant, Sac-à-
Plâtre a scellé dans la dalle, et pour la retenir au-dessous, un anneau que Jean Taureau retiendra énergiquement jusqu’à ce que M. Sarranti ait gagné la rivière, où je l’attendrai avec une barque. Une fois M. Sarranti dans la barque, je réponds de tout ! – Voilà mon projet, messieurs, continua Salvator ; tout est prêt ; il ne s’agit plus que de le mettre à exécution, à moins que M.
Jackal ne nous prouve radicalement que nous pouvons échouer. Parlez donc, monsieur Jackal, et parlez vite ; car nous n’avons que bien juste le temps de nous mettre à l’œuvre.
– Monsieur Salvator, répondit sérieusement le chef de la police de sûreté, si je ne craignais de passer pour un homme qui flagorne les gens afin de les mettre dans ses intérêts, je vous exprimerais l’admiration profonde que j’éprouve pour ce gigantesque projet.
– Je ne vous demande pas de compliments, monsieur, répondit le jeune homme, je vous demande votre avis.
–
Admirer votre projet, c’est l’applaudir, monsieur, répondit l’homme de la police. Oui, monsieur Salvator, aussi vrai que je me suis conduit comme un sot en vous faisant arrêter, je trouve votre projet excellent, immanquable ; je vous affirme qu’il réussira ; mais permettez-moi de vous faire une question. Une fois le prisonnier en liberté, que comptez-vous faire de lui ?
–
Je vous ai dit que je répondais de sa personne, monsieur Jackal.
M. Jackal hocha la tête en homme qui voulait dire que l’assurance ne lui suffisait pas.
– Eh bien, je vais tout vous dire, monsieur, et vous allez être, je l’espère, de mon avis pour la fuite comme vous l’avez été pour l’évasion. Une chaise de poste attend dans une des petites rues aboutissant au quai ; les relais sont préparés tout le long de la route ; j’ai un courrier envoyé d’avance ; il y a cinquante-trois lieues d’ici au Havre ; on les fait en dix heures, n’est-ce pas ?
Au Havre, un bateau à vapeur anglais attend, tout chauffé ; de sorte que, juste à l’heure où l’on se bousculera sur la place de Grève pour voir exécuter M. Sarranti, M. Sarranti quittera la France avec le général Lebastard de Prémont, qui, M. Sarranti parti, n’aura plus aucun motif de rester à Paris.
– Vous oubliez le télégraphe, dit M. Jackal.
– Pas le moins du monde. Qui peut donner l’éveil, indiquer la route prise, faire jouer le télégraphe
? C’est la police, c’est-à-dire M.
Jackal. Eh bien, puisque M. Jackal reste avec nous, tout est dit.
– C’est juste, fit M. Jackal.
– Vous allez donc avoir la bonté de suivre ces messieurs à l’appartement qui vous est destiné.
– Je suis à vos ordres, monsieur Salvator, dit l’homme de police en s’inclinant. Mais Salvator l’arrêta en étendant la main sans le toucher.
– Je n’ai pas besoin de vous recommander une prudence extraordinaire, soit dans vos actions, soit dans vos paroles ; toute tentative d’évasion, par exemple, serait, vous le savez, réprimée à l’instant même d’une manière irréparable ; car je ne serais point là pour vous sauvegarder comme je l’ai fait tout à l’heure. Allez donc, monsieur Jackal, et que Dieu vous conduise !
Deux hommes prirent M. Jackal chacun par un bras et disparurent dans les épaisseurs de la forêt vierge.
Lorsqu’on eut cessé de le voir, Salvator prit de son côté avec lui le général Lebastard de Prémont, fit signe à Jean Taureau, à Toussaint-Louverture et à Sac-à-Plâtre de le suivre, et tous cinq disparurent dans le souterrain.
Nous ne les accompagnerons pas dans le dédale des catacombes, où nous nous sommes engagés à la suite de M. Jackal et d’où ils sortirent par une maison de la rue Saint-Jacques située auprès de la rue des Noyers.
Arrivés là, ils se séparèrent – moins Salvator et le général, qui continuèrent leur route ensemble – pour se rejoindre sur la berge du quai de l’Horloge, où, comme nous l’avons dit, était amarrée la barque de Salvator.
On s’arrêta sous l’ombre projetée par l’arche du pont. On plaça le général Lebastard, Toussaint-Louverture et Sac-à-Plâtre dans la barque, de manière à n’avoir plus qu’à la détacher. Salvator et Jean Taureau restèrent seuls sur la berge.
– Maintenant, dit Salvator à voix basse, mais de façon toutefois à être entendu, non seulement du charpentier, mais encore de ses trois autres compagnons, maintenant, Jean Taureau, écoute-moi bien et ne perds pas une de mes paroles, car ce sont tes dernières instructions.
– J’écoute, dit le charpentier.
– Tu ramperas sans t’arrêter, et le plus vite possible, jusqu’à l’extrémité du passage.
– Oui, monsieur Salvator.
– Quand nous nous serons assurés que nous n’avons rien à craindre, tu appuieras tes épaules à la dalle et tu pousseras vigoureusement, mais lentement toutefois, de façon à soulever la dalle, et non à la renverser dans le cachot, ce qui réveillerait le gardien ; quand tu en seras là, c’est-
à-dire quand tu sentiras qu’avec ce dernier effort la dalle est soulevée, tu me tireras par la manche : je ferai le reste. M’as-tu bien compris ?
– Oui, monsieur Salvator.
– Alors en marche ! dit Salvator.
Jean Taureau enleva la première grille et s’enfonça dans le souterrain, qu’il parcourut aussi vite qu’il était possible de le faire à un homme de sa taille.
Salvator s’y engagea quelques secondes après lui.
Ils arrivèrent à un pas de distance sous le cachot des condamnés à mort.
Là, Jean Taureau fit volte-face et écouta, tandis que Salvator écoutait de son côté.
Le silence le plus profond régnait autour d’eux et au-dessus d’eux.
N’entendant rien, Jean Taureau s’arc-bouta le mieux qu’il put, rentra sa tête dans son cou et son cou dans ses épaules, et, appuyant solidement ses deux mains sur ses deux genoux, il poussa la dalle d’une si vigoureuse façon, qu’au bout de quelques secondes d’efforts, il la sentit céder sous sa rude pression.
Il tira la manche de Salvator.
– C’est fait ? demanda celui-ci.
– Oui, murmura Jean Taureau tout haletant.
– Bien ! dit le jeune homme en se préparant à son tour
; à moi, maintenant. Pousse, Jean
Taureau ! pousse !
Jean Taureau poussa ; la dalle se détacha du sol et se souleva lentement ; une faible lueur, la lueur d’une lampe funèbre, pénétra dans le souterrain. Salvator passa sa tête par l’ouverture, jeta un regard rapide sur toute l’étendue du cachot, et poussa un cri de terreur.
Le cachot était vide !