LXXXIII
Tandis que ces péripéties émouvantes se déroulaient avec une effrayante rapidité, deux hommes épiaient dans l’ombre, et séparément, le résultat de leurs criminelles tentatives.
L’un, sir Williams, le machinateur de ce drame, enveloppé dans un manteau qui lui couvrait soigneusement le visage, était immobile, vers huit heures, dans cette petite ruelle sombre, toujours déserte, sur laquelle le jardin de madame Malassis avait une issue.
Quelques minutes auparavant, Venture était sorti par cette porte ; il avait passé auprès de son chef sans le voir, et celui-ci avait compris que le marquis Van-Hop venait de prendre possession de sa cachette.
Huit heures sonnèrent, puis huit heures et demie…
– Voici un coup de pistolet qui se fait bien attendre, pensait sir Williams. Il est vrai qu’il vaut cinq millions.
Une demi-heure s’écoula encore. Aucun bruit ne retentit. Alors sir Williams eut un frisson.
Et involontairement il songea à Baccarat.
Il attendit quelques minutes encore… Et puis, comme le plus profond silence continuait à régner, il n’y tint plus, se dirigea en courant vers la place Laborde, gagna la rue de la Pépinière par la rue Miromesnil, et se décida à pénétrer dans la maison par la grande porte et à voir par ses yeux ce qui était arrivé.
Pour la première fois depuis sa métamorphose, Andréa le maudit sortait de ses habitudes prudentes, et s’exposait à être reconnu ; mais, cette fois, il commençait à perdre un peu la tête… Il passa sans jeter son nom au concierge, traversa le jardin, trouva la porte du pavillon ouverte, prêta l’oreille, n’entendit aucun bruit, et se décida à gravir l’escalier.
Il y avait dix minutes que le marquis Van-Hop et Baccarat étaient partis.
Cet inquisiteur nocturne trouva toutes les portes ouvertes, et, pénétrant enfin dans la chambre de madame Malassis, il y aperçut Fanny, à demi folle de terreur…
Celle-ci, reconnaissant sir Williams, crut qu’il venait la tuer, se jeta à ses genoux et demanda grâce.
– Qu’est-il donc arrivé ? s’écria-t-il d’une voix tonnante. Parle, ou je t’étrangle !
Mais Fanny n’eut pas besoin de répondre.
L’œil de sir Williams tomba sur le poignard que Baccarat avait laissé sur la cheminée, et il comprit que sa redoutable ennemie avait passé par là.
– Où sont-ils ? où est-elle ? demanda-t-il en s’emparant du poignard et l’appuyant sur la gorge de Fanny. Où est Chérubin ?
– Il n’est pas venu.
– Baccarat ?
– Elle est partie avec le marquis.
– Où sont-ils allés ?
– Chez Daï-Natha.
– Tout est perdu ! exclama sir Williams, ivre de rage ; toujours Baccarat !
Et, dans un accès de fureur, il enfonça le poignard jusqu’au manche dans la gorge de Fanny, qui mourut sur le coup.
– Au moins, murmura-t-il, tu ne me trahiras plus, toi !
Et l’assassin s’élança hors de cette maison, où il venait de verser le sang.
– Oh ! disait-il, je ne veux pourtant pas qu’Armand de Kergaz m’échappe comme les autres ! Je veux me venger, au moins !
Une de ces inspirations d’une terrible audace comme seul en pouvait concevoir ce génie du mal, venait de germer tout à coup dans son cerveau, l’illuminant comme un éclair.
Quand il fut dans la rue, au lieu de fuir ses ennemis triomphants, au lieu de se réfugier rue Culture-Sainte-Catherine, à l’hôtel de Kergaz, sir Williams se jeta dans un fiacre qui passait et cria au cocher : – Avenue de Lord-Byron !