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Lord Orun n’avait pas laissé d’héritier. Il en résulta que ses biens allèrent à la Couronne et furent absorbés par ce même Trésor à l’administration duquel il avait apporté tant de compétence. C’était d’ailleurs le seul et unique domaine où, d’après Nyrin, il eût jamais fait du bon travail. Quant à son honnêteté scrupuleuse en ce qui concernait ses fonctions officielles, elle avait toujours abasourdi le magicien.

On eut tôt fait de liquider la demeure et son ameublement comme d’installer le nouveau chancelier du Trésor. Seul restait à régler le sort des domestiques de la maisonnée, mais leur en eût-on fait cadeau que les habitants du Palatin n’auraient pas été foule à vouloir d’eux.

Les plus notoires des mouchards furent mis hors circuit par ceux-là mêmes qu’ils avaient contribué à compromettre. Orun avait éprouvé une véritable passion pour le chantage. Non par goût de l’argent - il était suffisamment bien pourvu de ce côté-là -, mais par pur sadisme : il adorait tenir les gens sous sa coupe. Eu égard à quoi comme à ses autres passe-temps tout aussi ragoûtants, personne, hormis quelques privilégiés, ne pleura sa perte.

Ainsi donc ses mouchards périrent étranglés dans quelque venelle ou empoisonnés, tandis que la fine fleur de ses gitons filait en douce se placer dans un certain nombre d’autres maisonnées, et que le surplus se voyait renvoyé de la ville avec de bonnes références et assez d’or en poche pour rester au diable.

Nyrin suivit de près toutes ces opérations, et il s’était fait un devoir d’assister à la crémation d’Orun. C’est au cours de celle-ci que la présence d’un jouvenceau parmi les rares endeuillés retint son attention.

Les traits de celui-ci lui étaient familiers, mais il mit un moment à reconnaître en lui un nobliau du nom de Moriel que le défunt avait coûte que coûte prétendu imposer comme écuyer au prince Tobin. Le testament d’Orun l’avait mentionné comme bénéficiaire d’un modeste legs, pour services rendus, sans doute. Apparemment âgé de quatorze ou quinze ans, il avait le teint blême, un petit air fielleux, l’œil vif et perçant. Par curiosité, le magicien lui frôla l’esprit pendant qu’ils se tenaient auprès du bûcher, et ce qu’il y découvrit le charma sans l’étonner du tout.

Aussi lui expédia-t-il dès le lendemain une invitation à dîner, si toutefois son chagrin ne l’empêchait pas d’accepter. Le porteur ne tarda guère à revenir avec la réponse escomptée, rédigée de cette même encre violette qu’avait entre toutes chérie le feu protecteur du jeune Moriel. Qui serait enivré de dîner avec le magicien de Sa Majesté.