Si c’est en garçon terrifié que je m’étais enfui d’Ero, c’est me sachant fille, et fille dans une peau d’emprunt, que j’y retournai.

Dans la peau de Frère.

Après que Lhel m’eut montré les esquilles d’os dissimulées à l’intérieur de la vieille poupée de chiffon de ma mère et permis de jeter un coup d’œil sur mon véritable visage, je portai mon corps comme un masque. Ma véritable forme demeurait cachée derrière un léger voile de chair.

Ce qui se passa par la suite, je n’en ai jamais eu qu’une conscience on ne peut plus confuse. Je me rappelle être arrivée au camp de Lhel. Je me rappelle avoir regardé dans sa source avec Arkoniel et y avoir distingué cette fille effarée qui nous retournait nos regards.

Quand je me réveillai, fiévreuse et souffrante, dans ma propre chambre du fort, les seuls souvenirs que je conservais étaient les tiraillements de l’aiguille d’argent dans ma peau, plus quelques bribes décousues d’un rêve.

Je n’en étais pas moins heureuse encore de posséder les dehors d’un garçon. Cette satisfaction-là m’a duré longtemps. Et cependant, même à cette époque où j’étais si jeune et si désireuse de me refuser à admettre la réalité, c’étaient bel et bien les traits de Frère que me renvoyait mon miroir. Je n’avais à moi que mes yeux, mes yeux et, sur mon bras, la marque de naissance lie-de-vin. Elle et eux me forçaient à me remémorer mon visage authentique, celui que Lhel m’avait fait voir, reflété dans la surface à peine ridée de la source - ce visage qu’il m’était encore aussi impossible de tolérer qu’interdit de révéler.

C’est sous ce visage d’emprunt que j’allais saluer pour la première fois l’homme qui, bien à contrecœur, avait déterminé mon sort et celui de Frère et celui de Ki et celui d’Arkoniel lui-même, bien avant la naissance d’aucun d’entre nous.