douter en Dieu
Exprimée ou tacite, cette folle espérance me porte depuis toujours. Je ne crois pas à grand-chose. Je me dis souvent, avec une ombre de regret, avec un peu d’inquiétude, que je ne crois presque à rien. Je ne crois ni aux honneurs, ni aux grandeurs d’établissement, ni aux distinctions sociales, ni au sérieux de l’existence, ni aux institutions, ni à l’État, ni à l’économie politique, ni à la vertu, ni à la vérité, ni à la justice des hommes, ni à nos fameuses valeurs. Je m’en arrange. Mais je n’y crois pas. Les mots ont remplacé pour moi la patrie et la religion. C’est vrai : j’ai beaucoup aimé les mots. Ils sont la forme, la couleur et la musique du monde. Ils m’ont tenu lieu de patrie, ils m’ont tenu lieu de religion.
Ceux qui ne croient pas à Dieu font preuve d’une crédulité qui n’a rien à envier à celle qu’ils reprochent aux croyants. Ils croient à une foule de choses aussi peu vraisemblables que ce Dieu qu’ils rejettent : tantôt au hasard et à la nécessité, tantôt à l’éternité de l’univers ou à ce mythe qu’ils avalent tout cru d’un temps dont l’origine ne poserait pas de problèmes. À l’homme surtout, à l’homme, sommet et gloire de la création, chef-d’œuvre d’orgueil et trésor pour toujours, et à l’humanisme. J’ai le regret de l’avouer : je ne crois à rien de tout cela. Si je croyais à quelque chose, ce serait plutôt à Dieu – s’il existe. Existe-t-il ? Je n’en sais rien. J’aimerais y croire. Souvent, j’en doute. Je doute de Dieu parce que j’y crois. Je crois à Dieu parce que j’en doute. Je doute en Dieu.
Je suis un bon garçon. Au-delà même des mots et de leur musique, leur servant de source et de but, quelque chose de très obscur m’attache aux autres hommes. Je préfère qu’on ne les torture pas, qu’on ne les massacre pas, qu’on ne les méprise pas, qu’on ne les détruise pas, qu’on ne les humilie pas d’une façon ou d’une autre. Je crois que la vie – et pas seulement la vie des hommes – doit être respectée. Parce qu’une même espérance nous unit les uns aux autres et nous soutient tous ensemble. C’est cette espérance que les pédants, je crois, appellent la transcendance.