il n’y a pas de formule du monde
La théorie de la relativité générale ne s’applique qu’à l’infiniment grand. La théorie des quanta s’applique exclusivement à l’infiniment petit. Il y a une « particularité », il y a un moment unique où l’infiniment petit et l’infiniment grand sont inextricablement mêlés : c’est le big bang, pointe d’épingle minuscule, poussière imperceptible, portée à une température et à une densité si énormes qu’elles sont difficiles à imaginer. Pour en savoir plus sur cette explosion originelle et paradoxale, une théorie unitaire, une sorte de théorie quantique de la gravitation, était nécessaire. Tout au long de la fin de sa vie, Albert Einstein s’efforça, mais en vain, d’élaborer une telle théorie unifiée qui engloberait les lois de la gravitation et de l’électrodynamique.
Après la Seconde Guerre, Werner Heisenberg proposa à son tour, à l’aide de la théorie des quanta, et de nouveau sans succès, une théorie unitaire de la matière. Tout récemment, la théorie des cordes et des supercordes, la cosmologie de Kaluza-Klein ou la redoutable théorie M – M comme magie, comme mystère, comme mythe ? – ou d’autres théories encore qui tablent sur un univers ou sur une infinité d’univers comportant, au lieu de nos trois dimensions d’espace plus la dimension du temps, jusqu’à une douzaine de dimensions d’espace-temps cachées et enroulées sur elles-mêmes, n’ont pas encore passé avec succès l’épreuve de la vérification expérimentale. Chaque fois, la tentative d’aboutir à une théorie unifiée, à une formule globale du monde, s’est soldée par un échec.
Dans sa Brève histoire du temps, qui a connu un succès planétaire, le physicien Stephen Hawking, paralysé de la tête aux pieds, atteint d’une maladie irréversible qui lui interdit de communiquer autrement que par ordinateur, appelait de ses vœux une grande théorie unifiée qui nous permettrait de « connaître la pensée de Dieu ». Cette « théorie du tout », Hawking lui-même reconnaissait qu’elle ne serait pas capable de répondre à la question : « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » Toute théorie unifiée possible « ne sera jamais qu’un ensemble de règles et d’équations. Qu’est-ce qui insuffle le feu dans ces équations et produit un univers qu’elles pourront décrire ? L’attitude habituelle de la science – construire un modèle mathématique – ne peut pas répondre à ces questions ».
Même cette théorie unifiée qui ne suffirait pas à expliquer le surgissement de l’univers, Hawking a abandonné, il y a à peine cinq ou six ans, tout espoir de pouvoir l’élaborer. Quelques années avant la Seconde Guerre, un mathématicien autrichien du nom de Gödel, ami proche d’Einstein, avait énoncé le théorème peut-être le plus important du XXe siècle. D’après ce théorème, il y a toujours dans tout système mathématique « des formules qui ne peuvent être ni démontrées ni prouvées ». « Nous ne sommes pas des anges qui regardent l’univers de l’extérieur, enchaîne Stephen Hawking. Bien au contraire, nos modèles et nous-mêmes sommes des parties de l’univers que nous décrivons. Une théorie physique se réfère à elle-même comme dans le théorème de Gödel. On peut donc s’attendre à ce qu’elle soit ou contradictoire ou incomplète. »
Le monde inépuisable dont nous faisons partie, aucun ouvrage de génie, aucune théorie unifiée, aucune formule de l’univers ne sera jamais capable d’en livrer le secret dans sa totalité. Tout ce que les hommes peuvent faire, c’est de bricoler dans le temps avant de disparaître à jamais.