le fil du labyrinthe

 

Le marquis de Laplace, celui-là même qui avait dit à Napoléon que Dieu était inutile, pensait que l’univers se résumait à un jeu de causes et d’effets, chaque cause étant d’abord un effet, chaque effet devenant cause à son tour, et que pour une intelligence capable de connaître toutes les forces de la nature l’avenir se présenterait avec une évidence comparable à celle du passé. Ce déterminisme rigoureux et naïf, la mécanique quantique allait le faire voler en éclats.

Un quart de siècle après la découverte des quanta par Max Planck – les découvertes s’enchaînent les unes aux autres, mais il leur faut du temps pour mûrir –, Werner Heisenberg formule son célèbre « principe d’incertitude ». De quoi s’agit-il ? Pour calculer la vitesse d’une particule et sa situation future, il faut l’éclairer par un quantum de lumière. Le quantum de lumière perturbe la particule, modifie sa vitesse et sa situation de façon imprévisible et empêche leur mesure simultanée et précise, quelle que soit la perfection de l’instrument utilisé. La réalité est transformée du fait même d’être regardée. Le principe d’incertitude de Heisenberg est une propriété fondamentale et inéluctable du monde.

Le principe d’incertitude – où se retrouve le thème cher à Einstein de l’influence de l’observateur sur le phénomène observé – a bouleversé de nouveau l’idée que nous nous faisons du monde autour de nous. Il marque la fin du rêve de Laplace – et de Copernic et de Descartes et de Newton – d’élaborer une théorie de la science et un modèle de l’univers rigoureusement déterminés. Même aujourd’hui, trois quarts de siècle plus tard, ce bouleversement n’est pas admis par nombre de philosophes et de savants et fait l’objet de polémiques. Il est permis d’imaginer qu’un être surnaturel, hors du temps et de la lumière, pourrait observer l’univers sans le perturber. Pour les hommes, en tout cas, et pour une observation donnée, la mécanique quantique est incapable de prédire le résultat spécifique d’une mesure individuelle. Quand on sait où se trouve un électron, on ne peut pas savoir ce qu’il va faire. Son lieu et sa vitesse ne pouvant pas être mesurés simultanément, son avenir devient flou : il ne peut être prévu que sous forme statistique. Le « flou quantique » introduit un élément irréductible d’imprévision et de hasard dans la science et dans l’univers.

En dépit du rôle décisif qu’il avait joué dans le développement de la science moderne, Einstein, s’opposa fermement à la mécanique quantique. Il n’a jamais admis que l’univers soit gouverné par le hasard et par l’indétermination. Le 4 décembre 1936, il écrit au physicien Max Born une des lettres les plus célèbres de l’histoire du monde, aussi célèbre que les lettres – inventées par le faussaire Vrain-Lucas – de Jésus à Marthe pour lui annoncer la résurrection de Lazare ou de Cléopâtre à César pour lui donner des nouvelles de leur fils Césarion, ou que les lettres, très réelles et sublimes, de Musset à George Sand ou de George Sand à Musset, ou encore celle de Zola sur Dreyfus ou celles de Marcel Proust à Gaston Gallimard qui font pleurer de bonheur tous ceux qui aiment la littérature : « Il faut prêter beaucoup d’attention à la mécanique des quanta. Mais une voix intérieure me dit que ce n’est pas le vrai Jacob. La théorie apporte beaucoup, mais du mystère du Vieux elle nous rapproche à peine. En tout cas, je suis persuadé que le Vieux ne joue pas aux dés. »

 

c'est une chose étrange à la fin que le monde
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