le fil du labyrinthe

 

Pour dire les choses en une phrase, Newton découvre la loi de la chute des corps et l’applique au modèle de l’univers établi par Copernic et par Galilée.

L’origine de cette découverte est une image d’Épinal aussi célèbre que les légendes d’Adam et Ève dans le Paradis terrestre à la veille de leur chute, d’Œdipe aveugle guidé par sa fille Antigone, de Balzac en robe de chambre entouré de Vautrin et de Lucien de Rubempré devant sa tasse de café, de Proust cloué par l’asthme dans son lit de douleur parmi le flot de paperolles d’où sortira la RechercheAu fond de la campagne anglaise, haies basses, pelouses très vertes, arbres fruitiers, ciel bleu pâle parsemé de nuages, Isaac est assis dans l’herbe à l’ombre d’un pommier. À quoi pense-t-il ? À rien peut-être. À Dieu. À ses études. Au mystère du monde et de l’être. Une pomme tombe de l’arbre sur sa tête ou à ses pieds. Une idée foudroyante lui traverse l’esprit : la pomme tombe du pommier parce qu’elle est attirée par la Terre.

Cette idée si simple – plus simple que celle d’Archimède jaillissant de son bain pour aller crier : « Eurêka ! J’ai trouvé ! » dans les rues de Syracuse, aussi simple que celle de Christophe Colomb décidant, puisque la Terre est ronde, de partir à la rencontre des Indes par l’ouest au lieu d’aller les chercher par l’est comme tous les autres – va transformer le monde.

Découverte par Newton dans la campagne anglaise au temps de la peste de Londres, la loi de la gravitation universelle stipule que tout corps est attiré par tout autre corps selon une force d’autant plus grande que les corps sont plus massifs et plus proches. Le coup de génie de Newton est de faire le lien entre la chute de la pomme dans le jardin de sa mère et les mouvements de la Terre autour du Soleil et de la Lune autour de la Terre. La pomme, la Lune, la Terre et tous les astres dans le ciel obéissent à une seule et même loi : l’attraction universelle.

Les anciens modèles sont mis en pièces. Il n’y a plus de distinction entre le ciel et la Terre. Il n’y a plus de sphères de cristal, il n’y a plus d’anges pour les mettre en mouvement. Il y a une loi unique pour un monde où tout est toujours en mouvement et où tout est lié.

Newton ne se contente pas d’expliquer comment les corps se meuvent, il développe aussi les mathématiques complexes nécessaires à l’analyse de ces mouvements. Une fois lancé, un corps sur lequel ne s’exerce aucune force continue à se déplacer en ligne droite à la même vitesse. Mais tout corps attirant tout autre corps selon une force proportionnelle à la masse des deux corps et à leur distance entre eux, la Lune, au lieu de poursuivre son chemin tout droit, tourne autour de la Terre et la Terre, au lieu de continuer, elle aussi, tout droit, tourne autour du Soleil.

Si la Lune ne tombe pas comme la pomme sur la Terre, c’est que son mouvement naturel constitue une force qui s’oppose à la force de gravité. Cette force – dite centrifuge – qui repousse la Lune de la Terre est exactement égale et opposée à la force de gravité. Si la force d’attraction gravitationnelle l’emportait sur la force centrifuge, la Lune tomberait sur la Terre comme la pomme. Si la force centrifuge née du mouvement de la Lune l’emportait au contraire sur la force de gravitation, la Lune échapperait à l’attraction de la Terre et irait se perdre dans l’espace infini. Mais les deux forces s’équilibrent et s’annulent. La Lune s’obstine à tourner autour de la Terre comme la Terre s’obstine à tourner autour du Soleil. Et les lois de Newton prédisent avec exactitude les mouvements réguliers de la Terre, de la Lune et des autres planètes.

Trois quarts de siècle après la mort de Newton, Pierre Simon de Laplace, mathématicien et astronome français, fils de cultivateur, protégé de d’Alembert, examinateur du jeune Bonaparte à l’École royale militaire, professeur à l’École normale et à l’École polytechnique, spécialiste du calcul des probabilités, ministre de l’Intérieur le temps d’un éclair au lendemain du 18 Brumaire, comte d’Empire et marquis sous la Restauration, présente à Napoléon sa Mécanique céleste, inspirée des travaux de Newton et de ses successeurs. L’Empereur lui fait remarquer que Dieu n’apparaît nulle part dans son système du monde.

– Sire, lui répond Laplace, Dieu est une hypothèse dont j’ai cru pouvoir me passer.

c'est une chose étrange à la fin que le monde
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