le sixième jour
Une des caractéristiques de la vie, et un de ses privilèges, est la capacité à se reproduire. L’eau, l’air, les pierres ne se reproduisent pas. Seuls les êtres vivants se livrent sans se lasser à un double exercice qui suffit à les définir : ils disparaissent et ils reparaissent, ils meurent et ils ressuscitent, différents et semblables.
Vivre, c’est d’abord mourir. Les plantes, les fleurs, les arbres, les oursins, les koalas et vous mourez parce que vous avez vécu. Et vous ne vivez que pour mourir. Mais vivre, c’est aussi détenir le pouvoir de transmettre à d’autres, par une sorte d’acte magique que les hommes appellent l’amour et où se mêlent orgueil, plaisir, hasard et tous les mécanismes les plus rigoureux de la nécessité, cette vie qui nous échappe. La mort et l’amour sont les deux faces inséparables de la vie. Nous nous reproduisons parce que nous allons mourir. Et nous devons mourir parce que nous nous reproduisons.
Chez les mammifères, chez les primates, chez les hommes, la reproduction passe par la sexualité. Qui se reproduit ? Des individus séparés. Ils se reproduisent pour permettre à la vie de prendre des formes nouvelles qui répètent pourtant, au moins en partie, les formes anciennes appelées à disparaître. Les enfants sont la mort des parents qui se ruent vers leur propre fin dans le vertige du plaisir.
Cette tâche est, par excellence, notre exercice le plus familier. Il occupe tout un pan de nos imaginations et de notre temps. Il nourrit la plupart de nos romans, de nos films, de nos tragédies, de nos comédies et de nos opéras. C’est aussi, mais nous n’y pensons jamais, une de nos démarches les plus étonnantes. L’idée que, pour maintenir l’ordre du monde, pour assurer la continuité de l’histoire de la vie et de l’humanité, pour permettre à la pensée de poursuivre son travail sur l’univers, il faille rapprocher deux individus de sexe différent est, malgré sa banalité, ou peut-être à cause de sa banalité, de nature à provoquer pas mal de questions et de perplexité.
Le plus remarquable est que, chez les hommes, le soin de permettre à l’histoire de se poursuivre est confié à leur propre décision – soutenue par un plaisir si vif qu’il finit parfois par prendre une allure métaphysique. Qu’il y ait un Dieu ou non, c’est aux hommes – terme générique qui embrasse les femmes – qu’il appartient à chaque instant de répéter ce sixième jour célébré par la Genèse – « Dieu vit ce qu’il avait fait, et voici, cela était très bon » – et de recréer sans cesse par leurs propres forces ce qu’il y a de plus précieux dans l’univers.