le fil du labyrinthe
Parmi les textes les plus anciens dont nous puissions disposer figurent les Védas indiens : ils remontent à la première moitié du IIIe millénaire avant notre ère, peu de temps après les débuts de l’écriture. Bien avant les épopées interminables du Mahabharata et du Ramayana, bien avant cet Indien de génie qui invente le zéro parvenu ensuite jusqu’à nous à travers les Arabes et que nous connaissons sous le nom d’Aryabhatta.
Les Védas, et notamment le Rig-Veda, donnent une idée de la pensée hindoue antique, entre panthéisme et polythéisme, avec des traces de monothéisme, à l’époque où les Aryens, Indo-Européens venus du nord-ouest, envahissent la vallée de l’Indus et l’emportent sur les Dravidiens autochtones. Parmi les divinités révérées – forces de la nature, astres, ciel, terre, vent, feu (agni), plantes, vin (soma)… –, une place à part est réservée à l’Unique, celui qui seul était déjà là avant la création : « Rien n’existait alors, ni visible ni invisible. Il n’y avait point de mort, point d’immortalité. Rien n’annonçait ni le jour ni la nuit. Lui seul respirait, ne formant aucun souffle, renfermé en lui-même. Il n’existait que lui. Au commencement, l’amour fut en lui. Et de sa sagesse jaillit la première semence. »
Aux Védas peuvent être associés les Upanishad, plus tardifs. Ils traitent de ces questions qui, de tout temps, ont tourmenté l’esprit des hommes : l’origine de l’univers, l’essence du divin, la nature des choses et de l’âme. C’est en s’unissant à l’esprit universel (Brahman) que l’esprit individuel (Atman), après sa migration à travers différents corps physiques, parviendra à la libération finale. Cette union en pleine conscience, cette identification suprême est « la vérité d’entre les vérités ». Les Upanishad exerceront une influence profonde sur Schopenhauer. Tout au long de sa vie, ils constitueront une de ses lectures favorites et ils lui apporteront un réconfort à l’instant de sa mort.
Dérivé des textes des sarcophages et des textes des pyramides, le fameux Livre des morts égyptien est surtout composé, à partir du milieu du IIe millénaire, de manuscrits funéraires sur papyrus, sur textiles ou sur cuir. Ils sont supposés fournir une garantie de survie à ceux qui sont déjà morts et à ceux qui sont encore vivants, mais pas pour longtemps, car ils sont des morts en sursis, des morts qui n’ont pas encore adopté leur forme définitive et inéluctable. Les plus anciens de ces textes sont antérieurs de quelques siècles à Ramsès II, le grand pharaon, le constructeur de temples, l’adversaire, puis l’allié des Hittites, le vainqueur proclamé de la bataille incertaine de Qadesh, le père d’une bonne cinquantaine d’enfants officiels, à Moïse qui fuit l’Égypte avec ses Hébreux avant de leur donner les Tables de la Loi et à la guerre de Troie qui se déroule là-haut, à l’autre bout du monde connu, sur la côte nord-ouest de cette Anatolie que nous appelons l’Asie Mineure.
Gilgamesh est le héros d’aventures aussi célèbres en Mésopotamie et dans tout le Proche-Orient ancien que, plus tard et ailleurs, celles d’Ulysse, d’Alexandre le Grand, du roi Arthur ou de Roland, de Sindbad le marin ou de Don Quichotte. La version la plus complète de l’Épopée de Gilgamesh provient de la bibliothèque d’Assurbanipal à Ninive, mais les plus anciens manuscrits consacrés au héros remontent bien plus loin, à une époque antérieure à Homère et même à la guerre de Troie. Gilgamesh lui-même a probablement existé. Il n’est pas impossible qu’il ait été un personnage historique et le souverain d’Uruk, dans le pays de Sumer, en basse Mésopotamie, non loin du golfe Persique, il y a près de cinq mille ans. Il serait né d’un souffle ou peut-être d’un démon, et il aurait régné cent vingt-six ans.
Ses exploits, les légendes autour de son nom, la postérité, l’écriture qui se répand font de lui un des premiers héros de l’humanité en train de prendre conscience d’elle-même et de se projeter dans des demi-dieux surgis de ses rêves et de son imagination. Il est entouré de personnages devenus célèbres eux aussi – son ami Enkidu, qui descend aux Enfers avant d’être victime de la jalousie des dieux, ou la cabaretière Siduri, installée aux confins du monde, qui lui conseille, plusieurs millénaires avant Faust, de jouir de l’instant présent – et, tantôt aux côtés des déesses et des dieux et tantôt sous leurs foudres, il n’en finit pas de lutter contre des monstres, contre des géants, et surtout contre la mort. La mort est son obsession. À une époque où se déchaînent la violence et des massacres inséparables de la lutte pour le pouvoir, toutes les formes de survie au-delà de la mort sont la grande affaire des hommes. Ils cherchent les réponses dans les astres, dans le culte des dieux et dans les livres sacrés.