à la lumière de l’être
Il y a une différence entre le mystère d’avant-notre-naissance et le mystère d’après-notre-mort, comme il y a une différence entre le mystère de l’autre-côté-du-mur-de-Planck et le mystère de l’après-la-fin-des-temps : cette différence est la vie, cette différence est l’histoire, cette différence est la conscience que nous pouvons en prendre. Chacun de nous, comme le monde lui-même, est entré dans le temps. Et chacun de nous se demande ce qu’il est venu y faire.
Entrer dans le temps, c’est, d’une certaine façon, participer à l’être. Le temps, toujours en train de s’écouler, nous sépare de la permanence immobile et radieuse de l’être. Mais, parce que nous sommes capables de penser, il nous en donne une idée, il nous le montre de loin, par moments – dans un tableau du Titien, de Rembrandt, de Degas, dans une cantate de Bach ou dans l’andante déchirant du concerto 21 de Mozart, dans un poème de Ronsard ou d’Aragon, dans la théorie de Newton ou dans celle de Darwin, dans une formule mathématique, dans l’effort, dans la découverte, dans l’enthousiasme, dans la création, dans l’amour, dans la charité, dans la joie –, il fait miroiter sa splendeur à nos yeux prisonniers. Nous le savons depuis Platon : le temps est l’image mobile de l’éternité.
Dans le sens opposé à cette flèche du temps qui va du big bang à la fin des haricots et de notre naissance à notre mort, l’avenir n’est nulle part avant de se changer en présent, puis en passé. Et le passé aussi est nulle part – mais, à la différence de l’avenir, il a subi l’épreuve du feu, il a transité par l’existence, il s’est brûlé les ailes à la lumière de l’être. L’avenir est nulle part, mais, ressuscité par notre mémoire, le passé est quelque part – bien malin qui dira où. De la même façon, l’univers n’était nulle part avant le big bang et il sera quelque part après la fin des temps. Et nous, nous n’étions nulle part avant notre naissance, mais nous serons peut-être quelque part après notre mort – bien malin qui dira où.