Dieu et les hommes

 

Ce que les hommes ne comprennent pas, ils le mettent sur le compte de puissances auxquelles ils donnent des noms de dieux. Un pan immense de notre histoire est lié à cet exercice. On dirait qu’une des activités principales de l’humanité est d’inventer des religions. Selon la Genèse, Dieu a créé l’homme à son image. Les hommes ont pris leur revanche : ils ont créé des dieux à leur image. Les noms des dieux couvrent – le plus souvent assez mal – leurs propres craintes et leurs propres ambitions. Ils se servent d’un monde qu’ils ne connaissent pas pour exercer leur pouvoir sur ce monde qu’ils connaissent.

L’idée d’un Dieu tout-puissant à qui pourraient être attribuées la création de l’univers et sa conservation surgit assez tard dans l’histoire des hommes. Longtemps, ils ont accordé à des forces magiques, puis à des mythes, et enfin à des généalogies improbables et interminables de dieux et de déesses à visage animal ou humain les pouvoirs inconnus dont ils étaient les jouets. Peu à peu, des dieux plus puissants, plus habiles ou plus chanceux l’emportent sur les autres : Brahma, Vishnou, Siva, Isis, Osiris, Amon-Râ et Aton, Apollon, Dionysos, Athéna, Mars, Vénus et Junon, Poséidon ou Neptune, Héphaïstos ou Vulcain, surtout Zeus et Jupiter, qui sont les rois des dieux, ou encore Ahura-Mazda ou Mithra largement oubliés aujourd’hui et qui ont connu leur heure de gloire.

Le Dieu unique apparaît avec Abraham, qui a peut-être existé il y a quelques milliers d’années, à peu près à l’époque de la diffusion de l’écriture, toujours du côté de ce Tigre et de cet Euphrate d’où sort toute civilisation. Dans ses versions juive, chrétienne, beaucoup plus tard – entre Clovis et Charlemagne chez nous – musulmane, le Dieu unique conquiert une grande partie du monde. Ce qu’il y a de commun à Jérusalem et à Byzance, à Bagdad et à Rome, à Constantin et à Grégoire le Grand, à Théodoric et à Théodora, à saint Augustin et à Mahomet, à Charlemagne, à Haroun al-Rachid, à Dante, à Mehmet II, à Michel-Ange, à Charles Quint, à Shakespeare, à Cromwell, à Descartes, à Louis XIV, à Racine, à Akbar, à Newton, à Robespierre, à Washington, à Pétain et à de Gaulle, c’est Dieu.

L’idée que les hommes se font de Dieu a fait couler beaucoup de sang. Dieu est un grand pourvoyeur de guerres et de crimes de toutes sortes. Plus encore que la soif de pouvoir ou la passion de l’argent avec lesquelles il lui arrive de se confondre. Les hommes trouvent en Dieu ou dans l’idée qu’ils se font de lui une vérité absolue qu’il s’agit d’utiliser et de répandre par le fer et par le feu. Les croisades, l’Inquisition, le djihad, la conquête de l’Amérique, l’exploitation de l’Afrique et des Africains, la politique d’expansion de la Sublime Porte turque, la conquête de l’Inde par les Moghols musulmans ne sont pas des souvenirs de paix. L’intolérance et la cruauté s’y mêlent au goût de l’aventure, à la puissance et à la grandeur. Dieu, le plus souvent, fait bon ménage avec la culture, avec la beauté, avec l’argent et avec la violence.

 

c'est une chose étrange à la fin que le monde
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