CHAPITRE V
Je voudrais maintenant parler de Tau Phraïm, le fils présumé du mahdi Shari des Hymlyas. Je serai très reconnaissant aux partisans des Neuf Évangiles d’Ephren, dont je sais qu’ils sont très nombreux parmi nous, de bien vouloir me laisser aller jusqu’au terme de mon raisonnement qui, étayé par des arguments scientifiques, tend à démontrer que la plupart des miracles attribués à Tau Phraïm ne recouvrent aucune réalité mais ne sont que l’expression d’un inconscient collectif exalté par les disciples phraïmiques. Ne protestez pas, je vous en prie. Vous aurez plus tard tout le loisir de contester ma version des faits… Mon premier exemple sera le premier miracle – quelle coïncidence, n’est-ce pas ! – imputé à Tau Phraïm : les Neuf Évangiles prétendent, je cite, qu’il « vola une aquasphère de liaison à l’âge de cinq ans, resta sept jours et sept nuits à fond de cale sans manger ni boire, puis débarqua clandestinement sur le quai du port de Koralion…» Il aurait ensuite assisté à l’office hebdomadaire, contré l’action d’effacement des Scaythes – effacer l’effacement, disent les Évangiles, là se situe le miracle – et provoqué une véritable émeute. Puis il retourna tranquillement sur l’île où l’attendaient sa mère et, je cite encore, les « proscrits »… Premier point contestable : les proscrits justement. Les anciens compagnons d’Oniki avaient été remplacés depuis un bon moment par un bataillon composé de Scaythes d’Hyponéros et de mercenaires de Pritiv. Deuxième élément de contestation : selon les Évangiles, cet épisode est survenu en l’an 20 de l’Ang’empire. Or à cette époque Tau Phraïm était âgé de trois ans et non de cinq… Troisièmement, Tau Phraïm et sa mère faisaient l’objet d’une surveillance étroite, permanente, de la part des Scaythes et n’auraient eu donc aucune possibilité de quitter le corail sans que ces derniers en eussent immédiatement été informés… Si les phraïmiques continuent de s’agiter de la sorte, je vais être obligé de faire évacuer la salle…
Il est envisageable, voire probable, qu’Oniki ait été assassinée par les mercenaires de Pritiv après l’extermination des serpents géants et l’effondrement du bouclier et que Tau Phraïm se soit réfugié sur les mondes du Centre. J’ai en ma possession des preuves de son passage sur les planètes Marquinat et Issigor. Parlons maintenant du deuxième miracle, le miracle dit des douze faveurs…
Conférence publique et houleuse d’Anatul Hujiak,
historien et érudit néoropéen, auteur des biographies contestées
(et probablement contestables)
de Sri Lumpa, du prince Jek des Hyènes et de Tau Phraïm