16
Tamir se leva de bonne heure le lendemain matin, plus fraîche et dispose qu’elle ne l’avait escompté. Ayant finalement accepté la voie qu’elle devait emprunter, elle brûlait de se mettre en mouvement. Si c’était là le seul moyen qui lui permit de rencontrer Korin, eh bien, soit.
Una n’étant toujours pas revenue, elle s’offrit le luxe de s’habiller elle-même, sans autre aide, et minime, que celle de Baldus. Elle se para du collier et du bracelet que les Aurënfaïes lui avaient offerts, et elle était en train de se coiffer quand Ki frappa à sa porte. Le page le laissa entrer. En se retournant, son peigne à la main, elle s’aperçut qu’il la regardait fixement. « Qu’est-ce qu’il y a qui cloche ?
— Hmmm… rien », répondit-il en se dirigeant vers le râtelier d’armures. «Tu veux ta cuirasse ?
— Oui », répliqua-t-elle, déconcertée par la bizarrerie de son comportement. Il l’aida à endosser son corselet de plates brunies puis le lui boucla sur le flanc.
« Là. Est-ce que j’ai la dégaine d’une reine-guerrière ? », les interrogea-t-elle tout en ajustant son baudrier d’épée autour de ses hanches.
« Tout à fait. » Là-dessus reparut sur la physionomie de Ki cette étrange mine embarrassée.
« Baldus, va me chercher Lord Tharin et le reste des Compagnons. Avertis-les que je suis prête pour l’audience. »
Le page prit ses jambes à son cou pour aller transmettre l’ordre de Tamir.
« Lutha et Barieüs ont bien dormi ? demanda-t-elle .
— Oui.
— Je présume que Caliel n’a pas changé d’avis ?
— Non. Mais Tanil se porte mieux qu’avant. li a dormi la nuit dernière avec Cal et ne veut pas être séparé de lui. Caliel lui-même semble aller un peu mieux.
— Leur cas n’est peut-être pas si désespéré que ça.
— J’emmènerai plus tard Lutha et Barieüs à la recherche d’un forgeron capable de leur fournir une épée. lis sont irrévocablement décidés à chevaucher avec toi. » Il tendit la main derrière elle pour dégager une mèche coincée sous la cuirasse, puis effleura du pouce la blessure de son menton. « Tu n’es pas bellotte, mais c’est en train de se cicatriser. »
Ils se tenaient très près l’un de l’autre, presque à se toucher. Cédant à une impulsion subite, elle palpa la morsure du dragon sur sa joue. « Toi non plus.
— Ça ne me fait plus mal du tout. » Il garda les yeux attachés sur son menton, ses doigts se bornant à lui frôler la joue. Ce contact fit courir un petit frisson le long des bras de Tamir, et elle retint son souffle, tandis que les sensations qu’avait éveillées en elle la nuit du fort déferlaient à nouveau dans son être… un plaisir auquel s’enchevêtrait l’impression confuse et déroutante de posséder deux corps à la fois.
Cela ne l’empêcha pas de s’incliner vers lui pour l’embrasser légèrement sur les lèvres. Il lui retourna son baiser avec infiniment de délicatesse tout en cueillant sa joue au creux de sa paume. Elle glissa ses doigts dans les cheveux tièdes et soyeux de sa nuque, et sa chair s’embrasa et se glaça simultanément. Enhardie, elle l’enlaça à pleins bras, mais elle lui coupa si bien le souffle avec sa cuirasse qu’il se mit à rire.
« Tout doux, Majesté ! Votre humble écuyer a besoin de ces côtes-là.
— Mon homme lige, Lord Kirothius », rectifia-t-elle en gloussant et en l’embrassant avec davantage de ménagements, non sans repérer son propre émerveillement reflété dans le tréfonds de ses sombres prunelles brunes. Entre ses jambes, la torture s’aggrava, et la gêne commença à se laisser supplanter par quelque chose d’autre.
Elle s’apprêtait à l’embrasser de nouveau lorsque le bruit de la porte qui s’ouvrait les fit se disjoindre en sursaut, tout rougissants d’un air coupable.
Nikidès se tenait sur le seuil, avec une mine amusée. « Tharin, maître Arkoniel et le sorcier sont là. Puis-je me permettre de les introduire ?
— Naturellement. » Tamir rebroussa ses cheveux en arrière, tout en se tâtant pour atténuer la brûlure de ses joues.
Ki battit en retraite vers le râtelier d’armures pour tâcher de dissimuler son propre embarras en affectant d’y contrôler le bon entretien de la cotte de mailles.
Le sourire de Nikidès s’élargit tandis qu’il prenait congé. Arkoniel ne se rendit nullement compte de leur état lorsqu’il pénétra en coup de vent, un gros rouleau coincé sous son bras, talonné de près par les autres.
Mahti était habillé comme un hobereau. Ses cheveux, peignés, se trouvaient rejetés en arrière en une queue broussailleuse, et il ne portait plus ses bijoux barbares. Il s’était également défait de son cor, remarqua Tarnir, qui devina que c’était l’ouvrage du magicien. Le sorcier n’en paraissait pas spécialement enchanté. Il ne souriait pas.
«Mahti a quelque chose à vous raconter », dit Arkoniel, d’un air passablement excité.
«J’ai vision pour toi, déclara le Retha’noï. Je montrer toi un chemin vers l’ouest.
— Vers cette rade, tu veux dire ? Remoni ? demanda-t-elle.
— Tu aller être partir à l’ouest. Ma déesse dit ainsi.
— Et tu as vu cette route dans une vision ? »
Il secoua la tête. « Je connaître route. Mais la Mère ordonner je t’amener là. » Il semblait désormais encore moins content. « Être chemin caché, interdit à ceux pas de mon peuple. Ça, mon aide pour toi. »
Abasourdie, Tamir jeta un coup d’ œil interrogatif à Tharin et Arkoniel. «C’est tout à fait intéressant, mais dans l’immédiat, je suis plus soucieuse de…
— Ah, mais je pense que cela risque d’être utile. » Tharin s’empara du rouleau d’Arkoniel et le déploya sur le lit. Il s’agissait d’une carte du nord de Skala et de l’isthme. « Selon toute probabilité, Korin foncera directement t’attaquer ici par la route côtière. Il ne dispose pas d’une flotte assez conséquente, d’après ce qu’a dit Lutha, pour amener par mer toute son armée. Le chemin dont parle Mahti semble passer par ici, à travers les montagnes. » Le trajet que traça son doigt contournait Colath par le sud et l’ouest. « Cela t’amènerait là-bas, non loin de ton fameux port. De là, tu bénéficies d’une distance de frappe commode, soit pour couper Korin sur l’isthme, soit pour lui tomber dessus par-derrière pendant qu’il se dirige vers l’est.
— Il s’agit d’un sentier que les Retha’noïs maintiennent occulte en recourant à la même magie que celle dont se servait Lhel pour cacher son camp, expliqua Arkoniel. De nombreux villages le bordent, et ils ne seront pas hospitaliers pour des étrangers, mais Mahti se flatte de te le faire emprunter en toute sécurité. »
Tamir se plongea dans l’étude de la carte, le cœur battant un peu plus vite. Était-ce cela que l’Oracle s’était efforcée de lui montrer ? Était-ce à cela que conduisaient tous ses rêves du havre au bas des falaises ?
« Oui, je vois », prononça-t-elle d’une voix défaillante. Cela lui donnait l’impression qu’elle inhalait de nouveau la fumée des illiorains.
« Tu ne te sens pas bien ? s’inquiéta Ki.
— Si.» Elle prit une profonde inspiration, en se demandant ce qui clochait en elle. «J’attaque de l’ouest, peut-être même que je le surprends s’il se figure que je me trouve encore ici, m’apprêtant à subir un siège. »
Elle leva les yeux vers Mahti. «Pourquoi ferais-tu cela ?
— Tu donneras parole de faire paix aux Retha’noïs. Vous ne nous tuerez plus. Nous être libres de quitter les montagnes.
— Je m’y efforcerai de bon cœur, mais je ne saurais promettre de changer les choses du jour au lendemain. Arkoniel, faites-le-lui comprendre. Je veux accomplir ce qu’il me demande, mais il ne sera pas aisé de modifier les mentalités.
— Je le lui ai dit, mais il est convaincu que vous êtes capable d’y contribuer. Une meilleure compréhension entre nos deux peuples travaillera aussi en votre faveur.
— Il sera difficile d’acheminer le ravitaillement à travers les montagnes, observa Tharin. Il ne s’agit pas là d’une route à proprement parler.
— Les Gèdres pourraient assurer nos fournitures sur place, souligna Arkoniel. Leurs vaisseaux sont rapides. Ils seraient probablement à même d’atteindre la rade de Remoni en même temps que nous.
— Contactez-les tout de suite, ordonna Tarir.
Et les Bôkthersans aussi. Solun avait l’air très désireux de nous seconder.
— Pas rien que l’air, des fois ? » grommela Ki.
La nouvelle de ses projets se répandit promptement. La salle d’audience était archicomble lorsqu’elle y pénétra. Ses généraux et capitaines se pressaient au pied de l’estrade, mais une foule d’autres assistants - courtisans, simples soldats, citadins - bondait l’espace entre les piliers, tous bavardant avec excitation.
Elle monta sur l’estrade, et les Compagnons prirent leurs places derrière elle. Lutha et Barieüs se tenaient parmi eux, pâles mais fiers dans leurs vêtements d’emprunt.
Tamir tira son épée, consciente de l’importance capitale de ce qu’elle allait faire. « Messires, généraux et vous, mes bonnes gens, je me présente devant vous pour déclarer formellement que, par la volonté d’Illior, je vais marcher contre le prince Korin afin d’assurer mon trône et de mettre fin par l’union aux divisions de notre pays.
— Trois bans pour notre bonne reine ! » cria Lord Jorvaï en brandissant son épée vers le ciel.
L’appel fut repris à la ronde, et les ovations se poursuivirent jusqu’à ce qu’Illardi martèle le sol avec le bâton de son office et rétablisse l’attention de l’assistance.
« Merci. Que les hérauts portent aux quatre coins de Skala le message suivant : tous ceux qui combattent avec moi sont mes amis et de véritables Skaliens, » Après un instant de silence, elle ajouta: « Et tous ceux qui s’opposent à moi seront qualifiés de traîtres et dépouillés de leurs terres. Puisse Illior nous donner la force de remporter une prompte victoire et la sagesse de nous montrer justes. Lord Chancelier Illardi, je vous charge à présent de superviser les levées de guerriers et les réquisitions de fournitures. À vous, intendante Lytia, de vous occuper des vivandiers et des fourgons de bagages. J’entends me mettre en marche avant la fin de la semaine. Tous les capitaines doivent rejoindre leur compagnie et commencer les préparatifs sur-le-champ. »
Abandonnant la cour à sa frénésie, Tamir se retira vers la salle des cartes avec ses généraux et Compagnons. Arkoniel l’y attendait avec Mahti et ses principaux magiciens, Saruel, Malkanus, Vornus et Lyan.
Les Compagnons s’installèrent à leur place autour de la table, mais Jorvaï et une poignée d’autres nobles se pétrifièrent, tourneboulés par la vue du sorcier des collines.
« Que signifie ceci, Majesté ? demanda le premier.
— C’est grâce à cet homme que mes amis nous sont revenus sains et saufs, et il se trouve sous ma protection. J’ ai déjà, bénéficié des secours de ses semblables, et j’en suis venue à respecter leur magie. Je vous invite tous à faire de même.
— Sans manquer au respect qui vous est dû, Majesté, comment pouvez-vous savoir s’il ne mijote pas quelque vilain tour ? s’inquiéta Nyanis.
— J’ai lu dans son cœur, répondit Arkoniel. Certains des autres magiciens de la reine l’ont également fait. Il dit la vérité, et il est venu à l’aide de Sa Majesté Tamir guidé par des visions, exactement comme nous-mêmes jadis.
— Il est un ami de la Couronne, reprit Tamir d’un ton ferme. Je vous demande d’accepter mon jugement sur ce point. Je déclare d’ores et déjà solennellement la paix entre Skala et le peuple des collines, les Retha’noïs. À dater d’aujourd’hui, pas un Skalien ne leur fera subir la moindre violence, à moins d’être attaqué par eux. Telle est ma volonté. »
Il y eut bien quelques grommellements et des mines méfiantes, mais tout le monde s’inclina en signe d’obéissance.
« Voilà une affaire réglée, alors. » Tamir exposa son plan pour déborder Korin, utilisant pour sa démonstration la carte d’Arkoniel et plusieurs autres étalées sur l’immense table.
« J’ai parlé avec le Khirnari de Gèdre, les avisa Arkoniel. Il connaît la rade et y enverra des bateaux de ravitaillement et des archers. Il a également transmis mon message à Bôkthersa. Avec un peu de chance, ils seront là-bas pour nous recevoir.
Ce sera là un beau stratagème, si toutefois Korin ne se trouve pas déjà à mi-chemin d’Atyion lorsque nous aurons fini par traverser, objecta Jorvaï. S’il apprend que vous êtes partie d’ici, il n’y accourra que d’autant plus vite. Les greniers et le trésor d’ Atyion seraient pour lui des prunes pulpeuses s’il parvenait à les cueillir, sans parler du château lui-même. M’est avis qu’il a dû fameusement maigrir, terré à Cima pendant tous ces mois.
Il est vrai qu’il a besoin d’or, intervint Lutha.
C’est pourquoi je ne prendrai pas le risque de laisser Atyion sans défense, répliqua Tamir. Je vais y maintenir deux bataillons de la garnison en tant que troupes de couverture. Si Korin arrive vraiment aussi loin, il lui faudra se frayer passage de vive force. Cela le ralentira suffisamment pour me permettre de le rattraper. » Son doigt remonta le long de la côte est. « L’armée d’Atyion peut se porter contre lui à partir du sud. Au lieu de cela, j’espère attirer Korin à l’ouest, mais il pourrait se scinder pour nous attaquer sur les deux côtes. » Elle marqua une pause puis, se tournant vers Tharin : « Lord Tharin, je vous nomme maréchal des défenses orientales. Arkoniel, choisissez parmi vos magiciens ceux qui peuvent le mieux l’appuyer dans ce rôle. »
Les yeux de Tharin s’agrandirent, et elle comprit qu’il était à deux doigts de lui chercher querelle. Seule la présence des autres l’en empêcha, et c’est pour cette raison qu’elle s’était résolue à aborder le sujet ici plutôt qu’en privé. Elle lui posa une main sur l’épaule.
« Vous êtes un homme d’Atyion. Les guerriers vous connaissent et vous,respectent.
Après Sa Majesté Tamir elle-même, il n’est absolument personne d’autre qu’on respecte mieux dans les rangs, approuva Jorvaï.
En plus, vous connaissez mieux que n’importe quel autre de mes généraux les nobles détenteurs de fiefs entre ici et Cima, ajouta Tamir. Si jamais vous marchez effectivement vers le nord, vous pourriez bien être capable de recruter des combattants supplémentaires en route.
Qu’il en soit selon votre bon plaisir, Majesté », fit Tharin, bien que sa contrariété fût manifeste.
« Ce n’est pas là manquer à la foi jurée à mon père, lui dit-elle avec gentillesse. Il comptait sur vous pour assurer ma protection. Vous ne sauriez mieux exaucer son vœu en pareilles circonstances.
Il est aventureux de diviser vos forces, signala Nyanis. Tous nos rapports concordent sur le fait que Korin bénéficie vis-à-vis de nous de l’avantage du nombre à près de trois contre un.
Mon infériorité numérique me permet de me déplacer plus rapidement. L’itinéraire de Mahti va nous faire économiser bien des jours. » Elle se tourna vers le sorcier. « Nous sera-t-il possible d’y faire passer des chevaux ?
— La voie étroite par endroits. À d’autres, dure à grimper à pied. -Les Retha’noïs n’utilisent pas de chevaux. Ils transportent tout à dos d’homme, l’informa Arkoniel.
— Dans ce cas, nous devrons faire la même chose et espérer que les ‘faïes arrivent au moment voulu. » Elle se pencha de nouveau sur la carte, les sourcils froncés, puis releva les yeux vers ses lords. « Que conseillez-vous ?
— Je serais d’avis de constituer la plus grande partie de vos forces avec des hommes d’armes et des archers, Majesté, répondit Kyman. Il vous faudra des chevaux pour opérer des reconnaissances, mais moins nous en aurons à fournir en fourrage, mieux cela vaudra.
— Vous pourriez aussi mettre à profit ce que vous possédez de navires à Ero, suggéra Illardi.
— Ils ne nous rallieraient pas à temps pour nous être d’un grand secours. Conservez-les là et utilisez-les pour défendre Ero et Atyion. Illardi, vous aurez la haute main sur eux. Jorvaï, Kyman, Nyanis, vous êtes mes maréchaux. »
Ils consacrèrent le reste de la journée à mettre au point leurs plans. Les inventaires de Lytia étaient encourageants ; même en tenant compte de l’approvisionnement de l’armée de Tamir, il faudrait à Korin des mois pour réduire la place par la famine avec ce qui lui resterait encore de réserves. La garnison conserverait deux compagnies ; Tharin emmènerait une infanterie de deux mille hommes et cinq cents cavaliers. Le restant, soit près de dix mille fantassins et archers d’élite, ainsi qu’un cent de cavalerie, traverserait la montagne avec la reine à sa tête et Mahti pour guide.
Tamir et les Compagnons venaient tout juste d’entrer dans la grande salle pour le repas du soir quand Baldus se fraya précipitamment passage vers elle à travers la cohue en esquivant de justesse les serviteurs et les courtisans médusés.
« Majesté ! » cria-t-il, tout en agitant dans sa main un bout de parchemin plié.
Il s’arrêta pile hors d’haleine devant elle et prit à peine le temps de s’incliner. «J’ai trouvé ça… sous votre porte. Lady Lytia m’a ordonné de vous l’apporter tout de suite. Il lui a demandé des vêtements… Lord Caliel…
— Chut. » Elle s’empara du message et n’eut qu’à le déployer pour reconnaître instantanément l’élégante écriture de Caliel.
« Il est parti, n’est-ce pas ? » demanda Ki.
Après avoir parcouru les quelques lignes du billet, elle le lui tendit avec un soupir résigné. « Il remmène Tanil à Korin. Il a préféré s’en aller avant de risquer d’apprendre nos plans.
— Le diable l’emporte ! » s’écria Lutha, les poings crispés de contrariété. « Je n’aurais jamais dû le laisser seul. Il faut nous lancer à sa poursuite.
— Non.
— Quoi ? Mais il est fou d’y retourner !
— Je lui ai donné ma parole, Lutha, lui rappela-t-elle avec tristesse. Il est seul maître de son choix. Je n’y mettrai pas d’entraves. » Lutha resta immobile un moment, une supplication muette dans ses yeux, puis se retira, tête basse. « Tamir ? » dit Barieüs, manifestement écartelé entre ses devoirs et le souci de son ami.
« Vas-y, répondit-elle. Ne le laisse pas commettre quelque bêtise que ce soit. »
Une fois le conseil de guerre achevé, Arkoniel remmena Mahti aux quartiers de l’Orëska et réunit les autres dans la cour pour mettre au point leurs propres plans. « Haïn, Lord Malkanus et Cerana, je vous prie de m’accompagner. Melissandra, Saruel, Vomus, Lyan et Kaulin, je vous confie le soin du château et le reste des magiciens. » Il jeta un coup d’œil sur les enfants assis côte à côte dans l’herbe près de lui. Wythnir lui adressa un regard déchirant qui le bouleversa, mais les circonstances imposaient leur séparation. « Moi, je dois rester là, mais ça part ? » demanda Kaulin, branlant un pouce pour désigner le sorcier qui se trouvait avec les gamins. «Il est des nôtres, maintenant ? » Arkoniel soupira intérieurement. Kaulin était celui de ses collègues qu’il aimait le moins. « Il a été guidé vers Sa Majesté Tamir par des visions, exactement comme nous autres. Que cela ait été le fait de sa déesse ou de nos dieux, il n’en est pas moins membre de notre confrérie tant qu’il sert la reine. Vous étiez avec nous dans les montagnes ; vous savez quelle est notre dette vis-à-vis de Lhel. Honorez-la en l’honorant, lui. Nous ne pouvons pas laisser plus longtemps l’ignorance nous diviser. Néanmoins, si vous souhaitez venir avec moi, Kaulin, vous êtes le bienvenu. » Il promena sur les autres un regard circulaire. « Vous êtes tous ici de votre propre chef. Vous êtes libres comme toujours de préférer suivre vos voies personnelles. Je ne suis le maître d’aucun magicien indépendant. »
Kaulin céda. « J’ irai avec vous. Je ne suis pas tout à fait ignare en matière de guérison.
— Je préférerais vous accompagner, moi aussi, déclara Saruel.
— Je la suppléerai ici, proposa Cerana.
— Très bien. Quelqu’un d’autre ?
Vous nous avez sagement répartis , Arkoniel, répondit Lyan. Nous sommes suffisamment nombreux dans les deux endroits pour malmener l’ennemi et protéger les nôtres.
— J’en suis d’accord, dit Malkanus. Vous nous avez judicieusement conduits, et vous étiez le plus intime avec maîtresse Iya dont vous avez partagé la vision. Je ne vois aucun motif de changer les choses à présent.
— J’apprécie que vous soyez encore ici et souhaitiez soutenir la reine.
— Je suppose qu’Iya avait ses raisons de partir, mais sa puissance va sûrement nous manquer, soupira Cerana.
— Oui, elle nous manquera », répliqua tristement Arkoniel. Il leur avait simplement déclaré qu’ayant achevé son rôle la magicienne les avait quittés de son propre gré. Tamir avait besoin de leur loyauté, et ces liens étaient encore trop ténus pour qu’il prenne le risque de révéler tout de suite la vérité pleine et entière, là, carrément.
« Tu as oublié ton épée, Cal », remarqua tout à coup Tanil pendant qu’ils chevauchaient vers le nord sur la grand-route dans le déclin du crépuscule. Il baissa la tête d’un air contrit. «Moi, j’ai perdu la mienne.
— Aucun problème. Nous n’en avons pas besoin », lui assura Caliel.
Tanil n’avait nullement rechigné à quitter Atyion, tant il lui tardait de revoir Korin. Grâce à la générosité de Tamir, ils disposaient tous les deux de tenues convenables et d’un peu d’or, suffisamment pour une paire de chevaux et pour se nourrir à leur faim pendant le voyage.
«Mais si nous tombions de nouveau sur les Plenimariens ?
— Ils ont décampé. Tamir les a repoussés.
— Qui ça ?
— Tobin, rectifia Caliel.
— Ah… oui. Ma mémoire continue de flancher. Je suis désolé. » Il était de nouveau en train de tripoter cette fichue natte tranchée. Caliel se pencha pour lui repousser la main. « Aucun problème, Tanil. »
Physiquement, Tanil s’était remis, mais il était brisé intérieurement, son esprit tendait à battre la campagne et se fixait difficilement. Caliel avait envisagé de l’emmener tout simplement puis de disparaître, mais il savait que, s’il agissait de la sorte, Tanil ne cesserait jamais de languir après Korin.
Et où irais-je pour arriver à l’oublier ?
Caliel s’interdisait pour sa part de s’appesantir sur l’accueil probable qu’on lui réserverait à Cima. Il ramènerait Tanil à Korin, voilà tout, comme un dernier acte de devoir et d’amitié. Non, rectifia-t-il en silence. Que mon dernier acte soit de tuer Nyrin afin de délivrer Karin.
Après quoi, sans l’ombre d’un regret, libre à Bilairy de le prendre.