5
Ralinus emmena Tamir de l’autre côté de la place vers l’une des hostelleries. Une porte de chêne massive et noircie par les siècles ouvrait sur une espèce de vestibule spacieux creusé dans la falaise. D’autres permettaient d’accéder à des chambres d’hôtes encore’ plus profondément taillées à même la roche. De jeunes acolytes conduisirent les visiteurs le long d’un corridor à celles qu’ils allaient occuper.
Elles étaient toutes petites, à peine plus grandes que des cellules, et meublées de manière rudimentaire: un lit, une table de toilette, quelques tabourets. Mais leurs murs étaient blanchis à la chaux et ornés comme la Serrure d’Illior de peintures de couleurs vives. Celle de Tamir possédait une minuscule fenêtre obstruée par une jalousie de pierre. Tandis que Ki s’adjugeait d’autorité la chambre contiguë, le reste de ses gens furent répartis dans les suivantes, donnant toutes sur la même coursive. Il se révéla que la roche était truffée d’un labyrinthe de petites pièces dont la succession faisait l’effet d’une véritable garenne.
Tamir se débarbouilla rapidement et laissa Una lui servir de camériste pour se défaire de sa tunique souillée par le voyage et l’aider à enfiler l’une de ses robes. Ki se présenta lorsqu’elles en eurent terminé.
« C’est quand même quelque chose, ces ‘faïes qui se pointent comme ça, là, observa Una tout en pliant la tunique de Tamir avant de la déposer sur un coffre.
— Après toutes les histoires que j’ai entendues sur eux, je n’en suis pas vraiment étonnée », répondit Tamir qui, armée d’un peigne, se battait pour démêler ses cheveux. «Que penses-tu d’eux jusqu’ici, Ki ? »
Il s’appuya contre le chambranle de la porte, se rongeant une cuticule. «Ces gens ne manquent pas de gueule, je dirais. »
Una se mit à rire. «Beaux leur va mieux ! Et j’ai bien aimé la manière dont le jeune Bôkthersan a rougi quand vous l’avez salué, Tamir, »
Celle-ci s’épanouit. «Je n’ai pas encore rencontré d’Aurënfaïe laid. Croyez-vous qu’il y en ait ? » demanda t-elle en continuant de malmener le peigne.
Ki s’avança pour lui retirer celui-ci des mains puis, tout en s’employant à désenchevêtrer le fouillis de sa crinière, grommela : «Peut-être que les laids, ils se gardent soigneusement de les envoyer à l’étranger. »
Una le regardait d’un drôle d’air, et Tamir se rendit brusquement compte que jamais personne n’avait vu Ki faire cela pour elle. Soudain gênée, elle récupéra le peigne et déclara d’un ton léger: «Peut-être que ceux qu’ils trouvent laids sont quand même plaisants à nos yeux.»
Ki lâcha un grognement évasif puis se dirigea vers la porte à longues enjambées. «Venez çà, Votre Majesté, je meurs de faim, moi. »
Comme Tamir se levait pour lui emboîter le pas, Una la retint par le bras et chuchota : «Il est jaloux ! Vous devriez fleureter avec le beau ‘faïe, »
Tamir la regarda d’un air incrédule et secoua la tête. Elle ne s’était jamais livrée à ces jeux de séduction et n’était pas près de s’y mettre à présent. Escortée par Una, elle suivit Ki pour regagner la grande salle, sur le devant de l’hostellerie, où le reste de leur compagnie se mêlait déjà aux Aurënfaïes et aux desservants du temple. Una devait forcément se tromper sur le comportement bizarre de Ki, se dit-elle ; il ne s’était auparavant jamais rien passé de semblable entre eux. Il ne s’intéressait même pas à elle, pas de cette façon !
Quoi qu’il en fût, elle éprouva un nouvel accès d’embarras quand Solun la salua en s’inclinant de l’autre bout de la pièce. Elle jeta un coup d’œil vers Ki, et, malgré son expression égale, elle eut l’impression que son regard n’arrêtait pas de revenir vagabonder dans la direction de l’éblouissant étranger.
« S’il vous plaît, Majesté », dit Ralinus en lui désignant le siège qu’on lui avait réservé au centre d’une des tables. Il s’assit avec elle et ses magiciens, Tharin, Ki et les Aurënfaïes, De jeunes garçons en robes blanches apportèrent des cuvettes pour qu’ils s’y rincent les doigts, pendant que d’autres leur servaient du vin. On procéda à de nouvelles présentations parmi les gens de la reine pendant qu’ils venaient occuper leurs places respectives aux différentes tables. Tamir ne fut pas fâchée de se trouver installée juste en face des beaux Bôkthersans.
Après qu’elle eut versé une libation en l’honneur d’Illior et des Quatre, le repas débuta. Tout en mangeant, les convives échangèrent des plaisanteries. Tamir questionna les ‘faïes sur leur patrie et les observa pendant qu’ils s’entretenaient avec les autres. Una et Hylia faisaient toutes les deux les yeux doux à Solun, et les tentatives auxquelles il se livrait pour avoir un brin de conversation avec Corruth, son voisin de table, paraissaient passablement émoustiller Lynx.
Les deux hommes étaient indubitablement superbes, mais Tamir ne comptait pas s’en laisser aveugler pour autant. Ils ne seraient pas venus de si loin s’ils n’avaient voulu obtenir quelque chose en contrepartie. À côté d’elle, Ki était en train de satisfaire à la curiosité d’Arengil par une évocation sommaire des combats auxquels ils avaient participé jusque-là.
« Si le roi ne nous avait pas attrapés en flagrant délit sur les toits, j’aurais été des vôtres, ronchonna leur ami. À Gèdre, nous nous entraînons bien pour la guerre, nous aussi, mais tout ce que nous avons à nous mettre sous la dent, ce sont de vulgaires pirates zinguais.
— Mon neveu s’était éperdument amouraché de l’existence tirfaïe, intervint Sylmaï en le regardant d’un air plein d’affection. Peut-être a-t-il besoin d’assister à une véritable bataille pour ne plus montrer autant d’empressement à aller chercher l’occasion d’en voir une. »
Après avoir débarrassé les tables, on déposa devant eux des tartes et du fromage servis avec un vin doux.
« Ralinus a dit que vous étiez venus expressément pour me rencontrer », reprit Tamir à l’adresse de Sylmaï qui, selon toute apparence, occupait le rang le plus élevé du groupe. «Est-ce simplement la curiosité qui vous a fait entreprendre un aussi long voyage ? »
L’interpellée sourit d’un air entendu tout en grignotant une lichette de fromage, mais ce fut Khaïr qui répondit.
« Il a été prédit que vous redresseriez les torts dont l’Usurpateur s’est rendu coupable envers les fidèles. Cela nous incite à espérer que Skala pourrait dorénavant renoncer à ses agissements blasphématoires…
— Comme notre clan et celui de Bôkthersa ont à certains égards les liens les plus étroits avec Skala, le ‘ coupa Sylmaï de façon plutôt abrupte, les khirnaris ont décidé de dépêcher des représentants pour faire votre connaissance et apprendre la vérité tout entière.
— Je n’en suis nullement offusquée, leur assura Tamir, Les persécutions perpétrées par mon oncle à l’encontre des adeptes d’Illior sont impardonnables. Souhaitez-vous renouer des liens avec mon pays ?
— Peut-être, répliqua le Khatmé. Notre première tâche consistait à établir la validité de vos prétentions et à découvrir si vous entendiez dûment honorer I’ Illuminateur, ainsi que l’ont toujours fait vos ancêtres.
— J’ai été le témoin direct des horreurs commises par mon oncle. Pour rien au monde je ne voudrais poursuivre pareille politique. Si les Quatre sont tous honorés à Skala, Illior est notre patron particulier.
— Veuillez pardonner sa rudesse à Khaïr », intervint Solun, les yeux plissés vers celui-ci. Les autres avaient l’air aussi choqués que Tamir par l’agressivité de leur compagnon.
À la surprise de la jeune femme, le Khatmé se toucha le front. «Je n’avais pas du tout l’intention de vous manquer de respect. Votre seule présence en ces lieux témoigne de vos intentions.
— Mon clan verrait d’un bon œil le rétablissement de liens avec Skala, reprit Solun. Il y a encore parmi nous des gens qui se souviennent de votre Grande Guerre ; ce sont les enfants des magiciens qui se joignirent à la prestigieuse reine Ghërilain pour affronter les nécromanciens de Plenimar. Nous possédons des portraits d’elle à Bôkthersa. Arengil a raison. Vous avez ses yeux, Tamir li Ariani.
— Je vous remercie.» Elle se sentit rougir de nouveau, mortifiée de l’effet qu’il produisait sur elle. «Êtes-vous en train de m’offrir votre alliance contre mon cousin, le prince Korin ?
— Vos prétentions au trône sont les seules légitimes, énonça Khaïr.
— Est-ce qu’on en viendra vraiment à se battre ? s’enquit Arengil. Korin et son père faisaient deux. Nous étions bons amis.
— Il a changé depuis que tu nous as quittés, et pas pour le mieux, l’avisa Ki. Il s’est entiché de Lord Nyrin. Tu te rappelles Vieille Barbe de Goupil, hein ?
— Ce Nyrin est bien le magicien qui a constitué la clique des Busards, n’est-ce pas ?
— En effet, lui confirma Tamir. D’après toutes les informations dont nous disposons, il s’est attaché aux basques de Korin. l’ai essayé d’entrer en contact avec mon cousin, mais il refuse toute espèce de pourparlers. Il proclame à cor et à cri que je suis soit démente, soit une menteuse.
— Vous n’êtes à l’évidence ni l’une ni l’autre, dit Solun, Nous en protesterons auprès de l’Ila’sidra, »
Au même instant, quelque chose émergea de l’ombre et se mit à papillonner juste en deçà de la clarté que diffusait le feu de la large cheminée de pierre.
«Maître, regardez ! » s’écria Wythnir. Una eut un mouvement de recul. «Des chauves-souris ?
— Je ne pense pas.» Ralinus brandit sa main, comme s’il rappelait un faucon. Une minuscule créature ailée descendit en voletant se poser sur l’un de ses doigts tendus, s’y agrippant délicatement avec ses pattes griffues et y enroulant sa longue queue fine. «Regardez, Majesté. Un des dragons de l’Illuminateur vient vous présenter ses hommages, en définitive. »
Tamir se pencha pour mieux voir, non sans se rappeler l’avertissement de ne pas toucher. L’animal était magnifique, une miniature parfaite des monstres colossaux qu’elle avait vus représentés dans des manuscrits, sur des tapisseries ou sur les murs de temples des environs d’Ero. Ses ailes étaient d’une forme assez semblable à celles d’une chauve-souris, hormis qu’elles étaient presque translucides et vaguement iridescentes, à l’instar de l’intérieur d’une coquille de moule.
« Je me figurais qu’il ne restait plus de dragons à Skala, dit Arengil .— Ils sont rares, mais ces petits-là sont devenus plus communs dans les parages d’Afra depuis ces dernières années. L’Illuminateur a dû les envoyer pour accueillir leur nouvelle reine. » Ralinus tendit la petite créature à Tamir. « Vous plairait-il de le tenir ? Je suis persuadé qu’il ira vers vous si vous restez calme. »
Tamir dressa un doigt. Le dragon s’aplatit sur celui du prêtre pendant un moment, dénudant ses minuscules crocs et rejetant en arrière son col de serpent comme pour se disposer à mordre. Ses yeux étaient d’infimes perles d’or, et une crête acérée de piquants se hérissa sur son museau et sa tête, aussi délicate qu’un chef-d’œuvre de joaillerie. Tamir nota chaque détail, songeant déjà à la façon dont elle s’y prendrait pour recréer l’original avec de la cire et de l’argent.
Elle avait suffisamment travaillé avec des faucons pour savoir qu’elle devait autant s’abstenir du moindre mouvement brusque que manifester quelque appréhension. Forte de cette expérience, elle amena lentement son doigt au contact de celui du prêtre. Un frémissement nerveux parcourut les ailes du dragon, puis il changea pas à pas de perchoir avant de lover sa queue autour du bout de l’index de Tamir. Ses griffes étaient aussi pointues que des piquants de chardon. Alors qu’elle s’était attendue à ce qu’il ait le corps lisse et froid comme celui d’un lézard, elle sentit qu’il dégageait une chaleur ahurissante à l’endroit où son ventre reposait sur sa propre peau.
Elle déplaça doucement sa main pour permettre à Wythnir de mieux le contempler. Elle n’avait jamais vu l’enfant aussi rayonnant de bonheur.
« Est-ce qu’il peut cracher du feu ? demanda-t-il .— Non, pas avant d’être beaucoup plus gros, si tant est qu’il survive, ce qui n’est pas le cas de la plupart des petits, même à Aurënen, dit Solun.
— Ces bouts de chou sont à peine plus que des lézards, ajouta Corruth. Ils changent en grandissant et deviennent tout à fait dangereux au fur et à mesure de leur croissance. L’un de nos cousins s’est fait tuer par un efir, l’année dernière.
— C’est quoi, un effer ? demanda Ki, que la petite créature plongeait également dans le ravissement.
— Efir. Un jeune dragon, de la taille à peu près d’un poney. Leurs esprits ne sont pas encore formés, mais ils sont extrêmement féroces.
— Celui-ci n’a pas l’air dangereux du tout », gloussa Ki en se penchant pour l’examiner de plus près. Peut-être bougea-t-il trop vite, car la bestiole se détendit soudain et le mordit à la joue, juste en dessous de l’œil gauche.
Ki fit un bond en arrière en piaulant, la main plaquée contre sa joue. «Enfer et damnation, ça cuit comme une morsure de serpent ! »
Tamir demeura d’un calme imperturbable, mais le dragon se raidit, la mordit à son tour et prit son essor pour retourner dans l’ombre d’où il était venu. «Aie ! cria-t-elle en secouant son doigt, tu as raison, ça fait vraiment mal.
— Tenez bon, vous deux ! » s’esclaffa Corruth. Le jeune Bôkthersan extirpa de sa bourse une fiole de grès puis tamponna rapidement les deux morsures avec quelques gouttes d’un liquide sombre.
La douleur s’amenuisa d’emblée, mais lorsqu’il épongea le surplus, Tamir s’aperçut que la drogue avait maculé les imperceptibles empreintes laissées par les crocs. Elle avait quatre taches indigo sur le flanc de son doigt, juste en dessous de la première phalange. Ki portait sur la joue une marque identique et qui était en train d’enfler.
«Nous sommes assortis », observa-t-elle d’un ton narquois.
Arengil morigéna Corruth dans leur langue, et celui-ci s’empourpra. « Pardonnez-moi, je n’ai pas réfléchi, dit-il, abasourdi. C’est ce que nous faisons toujours.
— Corruth était bien intentionné, mais j’ai peur que les traces ne soient indélébiles maintenant, expliqua Solun. Le lissik sert à teinter les morsures afin qu’elles restent toujours visibles. »
Il montra à Tamir une tache beaucoup plus large qui s’étalait entre son pouce et son index. « Elles sont considérées comme des porte-bonheur éminents, des signes de la faveur de l’Illuminateur. Mais peut-être préféreriez-vous ne pas les avoir ?
— Non, cela m’est égal, lui assura Tamir.
— Toi, tu tiens là pour de bon ta marque de beauté, Ki ! » s’esbaudit Nikidès.
Ki polit sur sa cuisse la lame de son poignard et la brandit comme un miroir pour voir la marque. «Elle n’est pas si mal. Garantit une bonne histoire à conter si quiconque m’interroge à son propos.
— Les dragons sont peu fréquents ici, et les morsures le sont aussi, dit Ralinus en inspectant plus minutieusement la marque sur la joue de Ki. Consentiriez vous à m’enseigner la recette de cet onguent, Solun ì Meringil ?
— Les plantes que nous utilisons ne poussent pas dans vos parages, mais je pourrais toujours, le cas échéant, vous expédier certaines de nos mixtures. »
Khaïr prit gentiment la main de Tamir dans les siennes pour examiner attentivement la marque. « Une croyance de notre peuple veut qu’après avoir atteint ses pleines dimensions d’intelligence, un dragon se rappelle le nom de toutes les personnes qu’il a mordues et se trouve lié à elles.
— Combien de temps cela prend-il ? demanda Ki.
— Plusieurs siècles. Ça nous fait une belle jambe, alors.
— Peut-être pas, mais vous aurez tous les deux une place dans les légendes dragoniennes.
— S’il vous arrivait jamais de venir à Aurënen, une marque comme celle-ci vous mériterait un respect unanime. Les Tifrfaïes qui en portent ne sont pas foule », avança Corruth, qui déplorait toujours d’être intervenu aussi précipitamment.
« Cela vaut bien la peine d’être mordu, alors. Votre médicament a déjà supprimé le plus pénible de la souffrance. Merci. » Ki lui adressa un grand sourire, et ils échangèrent une vigoureuse poignée de main. « Ainsi, les tout-petits ne sont pas en mesure de parler non plus ?
— Non, cela ne leur vient qu’à un âge très avancé.
— Les Aurënfaïes sont les seuls à posséder dans leur pays des dragons dotés d’une telle longévité, spécifia le prêtre. Personne ne sait pour quelle raison. Il y en avait de semblables à Skala dans des temps très anciens.
— Cela vient peut-être de ce que nous sommes les plus fidèles, répondit Khaïr, repris par sa rudesse antérieure. Vous autres adorez les Quatre, tandis que nous reconnaissons exclusivement Aura, que vous appelez Illior. »
Ralinus demeura muet, mais Tamir surprit dans ses yeux un éclair d’aversion.
«C’est une vieille discussion, et qu’il vaut mieux reporter à de tout autres temps, s’empressa d’intervenir Iya. Mais je suis sûre que même les Khatmés ne sauraient mettre en doute l’amour que l’Illuminateur porte maintenant à Skala, manifesté qu’il est en la personne de Tamir.
— Elle a déjà été gratifiée d’une vision véridique, sous la forme d’une mise en garde avant la seconde offensive plenimarienne, dit Saruel au malotru. Sauf votre respect, Khaïr f Malin, vous n’avez pas vécu chez les Tirs comme je l’ai fait. Ils font preuve d’une dévotion fervente, et la bénédiction d’Aura leur est acquise.
— Pardonnez-moi, Tamir ä Ariani, déclara Khaïr. Une fois de plus, je me suis montré offensant, mais c’était sans male intention.
— J’ai grandi parmi des soldats. Ce sont des gens qui ne mâchent pas leurs mots non plus. J’aime cent fois mieux vous entendre exprimer sans ambages votre pensée que de vous voir vous soucier d’étiquette et de façons de cour. Et vous pouvez compter sur la réciproque de ma part. »
— Solun poussa un gloussement chaleureux et amical, et Tamir se retrouva rougissante à nouveau sans motif valable.
Solun échangea un regard amusé avec ses compagnons gèdre, puis il retira de son poignet un lourd bracelet d’or serti d’une pierre rouge polie et se leva pour le lui présenter. « Bôkthersa serait volontiers l’ami de Skala, Tamir ä Ariani. »
Elle reçut le bracelet et vit du coin de l’œil qu’lya faisait signe de le mettre. Elle l’enfila sur son poignet gauche en essayant de se rappeler la kyrielle de noms que portait Solun, mais sans y parvenir. L’or était tiède sur sa peau, ce qui n’était pas fait pour l’aider à recouvrer son calme. Encore réussit-elle à ne pas bafouiller quand elle remercia. «C’est un honneur pour moi que d’accepter ce don, et j’espère que vous me considérerez toujours comme votre amie dévouée.»
Sylmaï lui fit présent d’un collier constitué de minuscules feuilles d’or montées avec des pierres blanches scintillantes. «Puissent les vaisseaux de Gèdre et de Skala mouiller dans les mêmes ports, comme par le passé. »
Le Khatmné fut le dernier à s’avancer, et son offrande fut d’une autre espèce. Il lui donna une petite bourse de cuir dans laquelle elle découvrit un pendentif taillé dans une pierre cireuse vert sombre et enchâssée dans de l’argent massif. Elle était couverte de menus symboles, à moins qu’il ne s’agît de lettres, qui entouraient l’œil nébuleux d’Illior.
«Un talisman en pierre de Sarikali, expliqua-t-il. C’est le plus sacré de nos sanctuaires, et ces talismans là confèrent des rêves et des visions authentiques à ceux qui vénèrent Aura. Puisse-t-il vous servir à votre entière satisfaction, Tamir ä Ariani. »
À l’expression de stupeur que prirent les physionomies des autres, Tamir devina que c’était là faire un cadeau peu banal à un étranger. «Merci à vous, Khaïr ì Malin. Il me sera aussi précieux que le souvenir de votre honnêteté. Puissent tous mes alliés faire preuve d’autant de franc-parler.
— Un noble espoir, quoique bien mince », commenta-t-il avec un sourire. Là-dessus, il se leva et lui souhaita une bonne nuit. Les autres ne le suivirent pas tout de suite.
Solun prit à son tour la main de Tamir dans la sienne pour se livrer à un nouvel examen de l’empreinte bleue de la morsure du dragon. Elle sentit à son contact un picotement agréable lui parcourir le bras. «Grâce à cette marque, nous vous reconnaîtrons toujours dorénavant, ô Élue d’Aura. Je pense que mon père sera dans les meilleures dispositions pour vous soutenir. Faites appel à nous si vous vous trouvez dans le besoin.
— Il en va de même pour Gèdre, affirma Sylmaï, Le commerce avec votre pays nous a manqué. » Elle se tourna vers Iya et Arkoniel, qui étaient restés non loin de là, et se mit à bavarder tout bas avec eux.
«Je viendrai me battre pour toi, moi aussi, dit Arengil d’un air plein d’espoir.
— Et moi donc ! s’écria Corruth.
— Vous serez toujours les bienvenus, guerre ou pas. Si vos khirnaris y consentent, vous occuperez tous deux une place d’honneur parmi mes Compagnons », répondit Tamir.
Un jeune acolyte arriva de l’extérieur sur ces entrefaites et chuchota quelque chose à l’oreille du supérieur.
Ralinus acquiesça d’un hochement de tête et se tourna vers Tamir. «La lune est maintenant bien au-dessus des pics. Il n’y a pas de meilleure heure pour consulter l’Oracle, Majesté. »
Tamir refoula le flottement nerveux que ces mots suscitaient dans sa poitrine et glissa le talisman du Khatmé dans son escarcelle. «Très bien, alors. Je suis prête. »