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Lorsque j’étais enfant, des Indiens des tribus qui vivent plus au sud s’arrêtaient parfois ici en partant vers le nord. Ils chassaient avec nos parents. Ils s’invitaient les uns les autres sur leurs terres de trappe. Et ils parlaient. C’était le temps où se construisait le chemin de fer montant vers Schefferville. La ligne passait sur des terres que les Blancs avaient pourtant promis de ne jamais toucher.

Les ouvriers qui travaillaient à la voie ignoraient tout de la forêt. C’était des gens venus des villes. Pour cuire leur nourriture, pour se protéger des mouches noires et des maringouins, ils allumaient des feux et des boucanes. Ils s’en allaient sans tuer les braises rouges et la flamme renaissait pour dévorer la taïga. Seuls les Indiens s’effrayaient de voir ainsi détruire leur forêt. Les bêtes que l’incendie ne parvenait ni à encercler ni à rattraper s’enfuyaient pour ne plus revenir. De vastes étendues étaient perdues à la vie pour des saisons et des saisons. Il faut plus du temps de la vie d’un homme pour que se refasse la forêt incendiée, car la mousse brûle, le sol de tourbe lui aussi se consume. Et la nouvelle forêt ne vaut jamais l’ancienne, elle est toujours dominée, écrasée, étouffée par la broussaille et de tout petits trembles sans valeur pour personne.

Après ces malheurs, le chemin de fer en a engendré d’autres : le gouvernement a concédé d’immenses contrées boisées à des compagnies forestières. Les Blancs qui ne savent plus faire de feu ont pourtant besoin de beaucoup de bois. Les compagnies ont tout rasé. La taïga est morte et sont morts avec elle les lacs et les cours d’eau. Les Indiens qui vivaient de la pêche et de la chasse sur les terres ont dû fuir. Ce sont des souvenirs pareils qui nous font vivre dans la peur constante de ces hommes de profit qui veulent toujours exiger de la terre bien plus qu’elle ne peut donner.

Les Indiens ne vont jamais dans les cités pour acheter et vendre les rues ni les maisons carrées ; et pourtant les grandes cités des Blancs ont été édifiées sur des terres que des Indiens habitaient depuis les débuts du monde. Le Nord est vaste, mais les hivers y sont très longs et nous avons bien besoin de toute cette étendue pour vivre. Mais l’homme blanc veut nous donner des leçons dans tous les domaines.

Il a même voulu nous enseigner le ciel et l’amour d’un Dieu qui nous est étranger. Et moi je n’arrive pas à regarder l’image du Dieu des Blancs qui se trouve dans l’église et la salle paroissiale, sans penser à ce que des gens à sa ressemblance nous ont apporté d’autre. J’ai dans ma tête le grondement des génératrices et des avions, la pétarade des moteurs. Ces bruits sont entrés en moi et ne veulent plus en sortir. Ils sont comme les bouteilles qui entrent dans la terre et que la terre refuse de digérer. Les bouteilles mourront avec la terre et les bruits de moteurs mourront avec moi.

Comment pourrions-nous aimer un Dieu tout-puissant venu chez nous avec des hommes qui ont souillé notre pays avant de nous le prendre ?

Comment pourrions-nous aimer un Dieu qui, du haut de sa croix, contemple ses fils tandis qu’ils s’emploient à prendre la forêt et la liberté d’un peuple ?

Et nous nous demandons souvent si pour ce Dieu comme pour ceux qui voudraient nous contraindre à l’adorer, nous ne serons pas toujours les maudits sauvages.

Maudits sauvages
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