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La terre n’est à personne. Aucun homme n’est assez grand pour posséder la terre. Même une toute petite portion de terre large comme une main. La terre appartient au maître de la vie. Il t’a fait naître sur cette terre où tu entreras quand Il te reprendra la vie qu’il t’a confiée. Ce jour-là et après ce jour-là, pour l’éternité du temps, c’est toi qui appartiendras à la terre.
Tu seras la propriété de la terre comme les os de ton père et du père de ton père. Les os de tous tes ancêtres sont enfouis dans la terre où ils vivent la mort qui est une autre vie. L’esprit des ancêtres monte par les racines jusque dans les feuilles. Il habite les arbres. C’est lui qui parle avec le ciel, c’est lui qui voyage avec le vent et la lumière. C’est lui qui ordonne aux saisons. C’est lui qui fait venir la pluie ou la neige ou le gel. C’est l’esprit des ancêtres qui commande le flot des rivières. Quand un homme veut modifier le flot des rivières, il contrarie la volonté des vieux qui veillent sous la terre. Et ceux qui oseront se dresser sur le chemin qu’a tracé la volonté des morts déclencheront leur colère. Crèveront alors sur nos têtes des orages comme nul jamais n’en a subi.
L’homme blanc ne veut pas la terre pour marcher, pour dormir, pour chasser et reposer après sa vie.
L’homme blanc que n’habite pas l’esprit des ancêtres ignore que la forêt se nourrit de ses propres morts. Quand un arbre a fini sa vie, son corps s’allonge au pied des arbres plus jeunes. Peu à peu, il entre dans la terre. Il se mêle à la mousse et donne lentement sa chair pour nourrir le reste de la forêt.
L’homme blanc ne coupe pas le bois dont il a besoin pour dresser sa demeure et nourrir son feu, il coupe tout et il emporte tout.
Si l’homme blanc continue d’emporter la substance vivante, la forêt mourra et la terre avec elle. Si le maître de l’univers vide le ciel de tous les astres qui l’éclairent, la nuit s’épaissira et tous les êtres vivants deviendront aveugles. S’il vide le ciel du vent qui fait chanter le jour et la nuit, tous les êtres vivants deviendront sourds.
L’homme blanc qui ne détient pas la sagesse vide notre terre de cette vie qui lui vient du fond des âges et que rien ne saurait remplacer. Ivre de richesses, il s’enfonce tout vivant dans le sein de la terre pour lui prendre son or. En fouillant ainsi dans la nuit, ce sont les os des ancêtres qu’il dérange et meurtrit.
L’homme blanc qui ne possède pas la sagesse de l’Esprit se figure que les morts sont insensibles. Il se trompe. Il blesse la chair et les os. Tu le vois bien quand les ancêtres excédés se retournent d’un coup sous la surface, au fond du fond des profondeurs, et étouffent l’homme blanc. Il arrive même que les vieux morts crèvent le fond des lacs et des rivières pour noyer les fous dans leurs galeries de rats.
Des Indiens sont allés aider les Blancs dans cette œuvre de folie. Certains ont déjà été tirés tout vifs vers les profondeurs de la nuit par les ancêtres en colère, d’autres le seront demain.
Et ceux-là qui n’étaient pas habités par le Grand Esprit au cours de leur vie parmi les arbres ne le seront jamais dans l’autre monde. Ils ont plongé trop profond sous les racines qui sont le lien entre l’ombre et la lumière. Et c’est le pire qui puisse arriver à un Indien que d’être éloigné de celui qui dispense la sagesse et peut seul procurer le repos éternel.