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Pour nous nourrir et nous vêtir, nous n’avions que les animaux des lacs, des rivières, de la forêt. Parfois en abondance, parfois si peu qu’il pouvait arriver que les plus faibles meurent de faim.

À la fin des automnes et tout le long des hivers, la pêche était dure. Mais les Wabamahigans n’ont jamais redouté le froid. Ils savent endurer toutes les douleurs sans se plaindre, sans se mettre en colère, sans en vouloir aux Forces qui peuvent le bien et le mal. Dans mon enfance, durant des journées, toute la famille restait accroupie au bord de l’eau depuis l’aube jusqu’à la dernière lueur du soir. Les hommes coupaient des branches d’épinettes et les dressaient pour détourner un peu le Nordet. On se tenait à dix pas l’un de l’autre, immobiles, les doigts gourds crispés sur notre ligne. Dès qu’un poisson était tiré de l’eau, le froid le raidissait. Il nous arrivait de casser la glace jusqu’à dix fois au cours du jour. Et tout ça pour un ou deux poissons pas bien gros, ou pour rien du tout.

J’ai dans la tête les visages de certains Blancs qui tenaient le comptoir de la Compagnie de la baie d’Hudson. J’en revois un gros à barbe noire avec des petits yeux comme ceux de la moufette rayée. Il nous payait une peau de renard argenté entre douze et treize piastres. Un trappeur m’a dit un jour que de l’autre bord des mers, ça se vendait deux cents piastres. Une peau de loutre, il nous la prenait à deux piastres. Il payait en farine, en thé, en allumettes, en poudre, en plomb, en pièges de métal. Là-dessus, il gagnait autant que sur les peaux, dans l’autre sens. Tu étalais un bout de tissu sur la banque, et il te mettait la marchandise dedans. Si tu avais de trop, il ne donnait jamais d’argent. Il signait un bon.

— La prochaine fois, si tu n’as rien trappé, tu seras bien content que je te donne tout de même de la farine.

Et ils étaient tous comme lui. Mais lui, je le détestais à cause de ses yeux, de sa mauvaise graisse et de sa façon de rire si tu demandais davantage.

Maudits sauvages
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