21
Deacon passa un nouveau coup de fil, cette fois à Édimbourg.
« C’est Michael Deacon, dit-il à John Streeter lorsque celui-ci fut en ligne. Vous avez lu, je suppose, que votre belle-sœur avait été mise en examen pour le meurtre de Nigel De Vriess.
— Oui.
— Avez-vous une idée de la raison pour laquelle elle a fait ça, Mr Streeter ?
— Pas vraiment. Je lui ai parlé le vendredi avant Noël pour lui proposer une trêve.
— Quel genre de trêve ? »
Il y eut un bref silence.
« Du genre de celle que vous aviez suggérée, répondit-il enfin. Je lui ai dit que nous pensions à présent qu’elle avait dit la vérité et que nous souhaitions qu’elle use de son influence auprès de De Vriess pour qu’il nous laisse consulter les dossiers de DVS au cas où ils contiendraient des renseignements pouvant nous mener à Marianne Filbert. Elle a accepté et m’a demandé de la recontacter au début de l’année avec un aperçu sur la manière dont cela pourrait se passer.
— Avez-vous eu l’impression que votre proposition la tracassait ?
— Elle était étonnée. Elle m’a demandé pourquoi est-ce que nous la croyions maintenant alors que nous ne l’avions pas fait jusque-là et je lui ai dit que vous étiez intéressé par l’histoire de James et que vous nous aviez persuadés de travailler avec elle plutôt que contre elle.
— Qu’a-t-elle répondu ?
— Pour autant que je m’en souvienne, que c’était bien regrettable que nous n’ayons pas suscité votre intérêt il y a cinq ans avant qu’autant d’eau ait coulé sous les ponts.
— Lui avez-vous demandé ce qu’elle entendait par là ?
— Non. Je présume qu’elle a voulu dire que cela aurait été moins éprouvant pour tout le monde si la vérité était apparue à l’époque de la disparition de James.
— Et à part ça ?
— Rien. Nous nous sommes souhaités un bon Noël avant de nous dire au revoir. » Streeter marqua une nouvelle pause. « Savez-vous si la police l’a questionnée au sujet de James ?
— Oui, mais sa version n’a pas changé d’un iota. Elle prétend toujours ne pas savoir ce qui lui est arrivé. »
Il y eut un soupir.
« Vous nous tiendrez au courant, j’espère.
— Naturellement. Au revoir, Mr Streeter. »
Ayant juré ses grands dieux qu’il ne ferait aucune allusion à elle, Deacon réussit à convaincre Lawrence de parler à son associé au sujet de la femme à qui De Vriess avait offert dix mille livres pour qu’elle se taise.
« Tout ce que je veux savoir, c’est si elle a alerté la police et, dans le cas contraire, pourquoi ? »
Lawrence fronça les sourcils.
« Parce que l’argent était une incitation au silence suffisante, j’imagine.
— Comment est-ce possible, s’il a eu le temps d’en discuter avec son avocat ? N’importe quelle femme se serait ruée sur le téléphone à la seconde même où son agresseur aurait mis un pied dehors. Elle n’aurait pas attendu qu’il consulte un juriste. Ces dix mille livres ressemblent davantage à une indemnité de licenciement qu’à une incitation. »
Deux jours plus tard, Lawrence lui téléphonait la réponse.
« Vous aviez raison, Michael. C’était un solde de tout compte et elle n’a rien dit à la police. La pauvre femme avait déjà subi toute une série de mauvais traitements, qui s’est terminée avec les sévices qu’a constatés mon collègue. En fait, il l’a fortement encouragée à porter plainte – il laissa échapper un gloussement joyeux – de manière assez peu déontologique, il faut bien le dire, dans la mesure où il travaillait toujours pour De Vriess à l’époque, mais elle avait trop peur.
— De De Vriess ?
— Oui et non. Elle a refusé de s’expliquer, mais mon collègue pense que De Vriess la faisait chanter. Elle travaillait comme agent de change et, ce qu’il suppose, c’est qu’elle se servait des tuyaux d’initiés pour acheter des actions et que De Vriess s’en était aperçu.
— Pourquoi avoir arrêté ? Pourquoi lui avoir donné de l’argent ?
— De Vriess a prétendu que c’était un simple accident, qu’il avait agi sur un coup de folie parce qu’il était ivre. Mais, d’après la femme, c’était le point culminant d’une longue suite d’épisodes du même genre. Mon collègue l’a crue et s’est empressé de rompre tout lien avec un individu aussi compromettant. À son avis, De Vriess avait conscience d’être allé trop loin – il lui avait brisé un bras et la mâchoire – et avait décidé d’allonger une somme substantielle. Ses instructions étaient de verser les dix mille livres à la jeune femme en lui faisant bien comprendre qu’il n’y aurait plus de contact entre les deux parties.
— A-t-elle été payée ? »
Nouveau gloussement.
« Pour ça, oui. Mon collègue a arraché vingt-cinq mille livres à De Vriess avant de refuser de continuer à travailler pour lui.
— Vous rendez-vous compte que cela pourrait aider considérablement Amanda ? Cela prouve que Nigel avait des goûts de violeur.
— Oh, je ne pense pas. Cela n’arrangerait nullement ses affaires que l’on démontre que Nigel faisait chanter les femmes pour les convaincre d’être partie prenante dans leur propre viol. Si j’ai bien compris, sa ligne de défense, c’est que cela ne s’était jamais produit auparavant, que Nigel a pénétré de force chez elle dans un état de surexcitation et qu’il est mort accidentellement parce qu’elle l’a frappé après avoir réussi à lui échapper.
— Elle ment.
— J’en suis bien certain, mon cher ami, mais elle défend sa vie.
— Est-ce qu’elle va s’en tirer ?
— Indubitablement. À lui seul, le témoignage de Barry suffirait à convaincre un jury de l’acquitter.
— Sans lui, elle n’aurait pas été arrêtée, fit remarquer Deacon, et c’est grâce à lui qu’elle espère maintenant s’en sortir. Comme dirait Terry, c’est dingue ! »
Lawrence éclata d’un petit rire.
« Comment vont les progrès en lecture ?
— Plus vite que je ne pensais, répondit sèchement Deacon. Il a découvert les joies de feuilleter le dictionnaire pour y trouver des gros mots et il me rend cinglé en lisant les définitions à haute voix.
— Et du côté de Barry ? »
Il y eut un long silence.
« Il a décidé de se mettre en règle avec lui-même, dit Deacon encore plus sèchement, et, à moins qu’il accepte de la boucler dans un délai assez bref, je vais être obligé de m’en occuper personnellement en lui arrachant les couilles et en les lui faisant avaler. Comme vous le savez, je suis un homme tolérant, mais je n’ai aucune envie d’avoir à subir les fantasmes des autres. »