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Six mois plus tard, au milieu d’un mois de décembre froid et humide, alors que la canicule de juin n’était plus qu’un lointain souvenir, Mrs Powell reçut un coup de téléphone d’un journaliste du Street, magazine réputé pour ses opinions de centre gauche. Son interlocuteur, un certain Michael Deacon, préparait un dossier sur la pauvreté et les sans-abri, et désirait savoir si elle accepterait de lui accorder une interview au sujet de Billy Blake.
« Comment avez-vous eu ce numéro ? demanda-t-elle d’un ton méfiant.
— Cela n’a pas été difficile. Votre nom et votre adresse étaient dans tous les journaux il y a six mois et votre numéro figure dans l’annuaire.
— Je n’ai rien à vous dire. La police est sûrement bien mieux informée que moi. »
Il insista.
« Cela ne prendra que quelques minutes, Mrs Powell. Je pourrais passer chez vous demain soir. Disons, vers huit heures.
— Que voulez-vous savoir au juste ?
— Tout ce que vous pourrez me dire. J’ai trouvé cette histoire très émouvante. Apparemment, vous êtes bien la seule à vous être préoccupée de ce pauvre type. D’après ce que m’a raconté la police, c’est vous qui avez payé les obsèques. Je me demande pourquoi.
— Il m’a semblé que je lui devais quelque chose. » Il y eut un bref silence. « Êtes-vous le Michael Deacon qui travaillait à l’Independent ?
— Oui.
— J’ai regretté votre départ. J’aime bien ce que vous faites.
— Merci. » Il parut surpris, comme si les compliments n’étaient pas son lot quotidien. « Alors vous accepterez de me recevoir. Vous venez de dire que vous vous sentiez une dette envers Billy.
— Sauf que je n’ai pas la même opinion sur le Street, Mr Deacon. Je ne vois qu’une raison pour laquelle ce magazine veuille me questionner sur Billy, c’est de s’en prendre de manière insidieuse à la politique du gouvernement et je refuse de me prêter à ce genre de manipulation. »
Cette fois-ci, ce fut au tour de Deacon de rester silencieux, le temps de revoir sa stratégie. Il aurait aimé pouvoir mettre un visage et un âge sur la voix calme, parfaitement maîtrisée, de la femme à laquelle il parlait. Et il aurait aimé aussi être fermement convaincu de l’utilité d’un tel entretien. De son point de vue, cette corvée n’était qu’une perte de temps pure et simple et il se sentait encore moins motivé que Mrs Powell elle-même. Néanmoins…
« Je n’ai pas pour habitude de manipuler les gens, Mrs Powell, et l’histoire de Billy m’intéresse. Qu’avez-vous à perdre en me rencontrant ? Je vous promets que nous en resterons là si la tournure de l’entretien vous déplaît.
— Très bien, répondit-elle avec une brusque détermination. Je vous attends demain à huit heures. »
Et elle raccrocha sans dire au revoir.
Les bureaux du Street ne représentaient qu’un pauvre souvenir de l’époque où son homonyme, Fleet Street, était le glorieux centre de l’industrie de la presse. Sur la façade de l’immeuble subsistait une inscription, mais les lettres, à demi effacées, n’attiraient guère l’attention des passants. À l’instar de bon nombre de journaux qui avaient opté pour des locaux moins chers et plus commodes dans les docks, le destin du Street semblait scellé. Un investisseur dynamique rêvant de devenir un magnat veillait dans l’ombre avec des projets d’organisation à moindres frais, de gros tirages et de look digne du troisième millénaire grâce à un déménagement salvateur dans un magnifique site de la banlieue de Londres. En attendant, le magazine s’efforçait de survivre, malgré des méthodes de travail obsolètes et un décor élégant mais inadapté, sous la coupe d’un rédacteur en chef, Jim Pearce, qui regrettait le bon vieux temps où les riches exploitaient les pauvres et où chacun savait se tenir à sa place.
Ne sachant toujours pas de quoi seraient faites les premières semaines de la nouvelle année (pour lui une mise à la retraite anticipée) et rendu de plus en plus inquiet par le refus de l’actuel propriétaire de discuter de la moindre mesure ressemblant de près ou de loin à une stratégie à long terme, JP alla trouver Deacon dans son bureau l’après-midi suivant. L’unique concession à la modernité était une machine à traitement de texte et un répondeur. Autrement, la pièce n’avait pas changé depuis trente ans : des murs de couleur pourpre, une porte en chêne qu’on avait couverte de plaques d’Isorel blanches pour camoufler des fissures disgracieuses, des rideaux à fleurs orange pendus à la fenêtre, le tout incarnant le summum de la décoration intérieure de cette ère d’enivrante uniformité des années 1960.
« Je veux que vous preniez un photographe avec vous quand vous irez interroger Mrs Powell, Mike, lança Pearce d’un ton hargneux qui avait tendance à s’aggraver de jour en jour. Une occasion pareille, ça ne se rate pas. Il me faut des larmes et des sanglots de thatchériste qui a entrevu la lumière. »
Deacon garda les yeux rivés sur son écran et continua à taper. Avec son mètre quatre-vingts et ses soixante-quinze kilos, il n’était pas du genre à s’émouvoir facilement. De plus, il avait menti à Mrs Powell et ne tenait pas particulièrement à ce qu’elle le sache.
« Impossible, répondit-il sans hésiter. La dernière fois que des photographes ont voulu lui tirer le portrait, elle s’est fait la malle et je ne tiens pas à ce que cette bourrique me claque la porte au nez dès qu’elle apercevra un objectif. »
Pearce ne releva pas la remarque.
« J’ai demandé à Lisa Smith de vous accompagner. Elle a l’expérience et, si elle planque son appareil jusqu’à ce qu’elle soit dans la place, vous ne devriez pas, à vous deux, avoir trop de mal à l’amadouer. » Il considéra d’un air sévère la veste fripée et les joues non rasées de Deacon. « Et bon Dieu, tâchez de faire un effort ou vous allez coller la pétoche à cette malheureuse ! Je veux une bourgeoise rose et pimpante gémissant sur les injustices de la politique du logement, pas une hystérique qui s’imagine qu’un loubard entre deux âges s’est introduit chez elle. »
Deacon inclina sa chaise en arrière et fixa son patron, les yeux mi-clos.
« Peu importe ses opinions politiques, je ne la mettrais dans l’article que si elle a quelque chose de pertinent à dire. Cette rombière, c’est votre idée, JP, pas la mienne. Les sans-abri sont un problème social beaucoup trop important pour qu’on le réduise aux élucubrations d’une grosse bourge pleurnichant dans son mouchoir en dentelle. » Il alluma une cigarette et jeta l’allumette dans un cendrier déjà plein à ras bord. « J’ai sué sang et eau sur ce papier, ce n’est pas pour le transformer en un ramassis d’insinuations vachardes. J’essaie de proposer des solutions, pas de faire de la politique politicienne. »
Pearce s’approcha de la fenêtre et contempla la rue grise et mouillée où les voitures avançaient au pas, pare-chocs contre pare-chocs, sous la pluie battante et où, de loin en loin, des vitrines exhibaient des arbres de Noël illuminés et poudrés de neige répandant une gaieté éphémère. Plus encore que d’habitude il avait le sentiment d’une fin imminente.
« Quel genre de solutions ? »
Deacon farfouilla dans la pile de papiers posée sur son bureau et en tira une feuille tapée à la machine.
« Du genre consensuel. J’ai demandé à des leaders politiques, religieux ainsi qu’à plusieurs associations de me donner leur avis sur les raisons des changements intervenus au cours des vingt dernières années. » Il consulta la page.
« Tous sont d’accord pour dire que le nombre de cas de divorce, de jeunes intoxiqués par la drogue ou l’alcool et d’adolescentes enceintes a atteint un seuil alarmant, et c’est de là que je compte partir.
— À périr d’ennui, Mike. Trouvez-moi du neuf. »
Un cortège de parapluies noirs passait sous la fenêtre. Il le suivit des yeux et songea à tous les enterrements auxquels il avait assisté dans sa vie.
Deacon tira une longue bouffée de sa cigarette, les yeux fixés sur le dos de JP.
« Comme quoi ?
— Un ministre proclamant qu’on devrait stériliser toutes les mères célibataires. Alors je vous ferais peut-être grâce de cette interview avec Mrs Powell. Vous avez ça ? » Un voile de buée se forma sur la vitre.
« Non, fit Deacon d’une voix morne. Vous n’allez pas me croire, mais je n’en ai pas trouvé un seul qui soit assez débile pour débiter ce genre d’énormités. » Il mit de l’ordre dans ses papiers. « Que diriez-vous de cette citation : “Nous ne devons pas oublier les pauvres et la seule façon de leur venir en aide, c’est de les aimer” ? »
Pearce se retourna.
« De qui est-ce ?
— Jésus-Christ.
— C’est censé être drôle ? »
Deacon haussa les épaules.
« Pas spécialement. Faire réfléchir, à la rigueur. En deux mille ans, personne n’a encore trouvé mieux. Et, à coup sûr, aucun politicien d’aucun pays n’a jamais résolu le problème. Que cela plaise ou non, même le communisme avait son quota de crève-la-faim.
— Nous sommes un magazine politique, pas un bulletin de propagande pour la renaissance du christianisme, répliqua froidement JP. Si les commérages vous répugnent, vous n’aviez qu’à garder votre boulot à L’Independent. Pensez-y la prochaine fois que vous prétendrez ne pas vouloir vous salir les mains. »
L’air songeur, Deacon expédia un rond de fumée au-dessus de sa tête.
« Vous ne pouvez pas vous permettre de me virer, murmura-t-il. C’est ma signature qui maintient ce canard à flot. Vous savez aussi bien que moi que, jusqu’à ce que les quotidiens pillent mon article sur l’Assistance publique pour en tirer des histoires à frémir concernant le chaos régnant dans ses services, 99,99 pour cent de la population adulte de ce pays ignoraient que le Street existait encore. Pour vous, je suis un mal nécessaire. »
Ce n’était pas exagéré. Au cours des dix mois qui avaient suivi l’embauche de Deacon, les ventes avaient connu une légère hausse après quinze ans de constant déclin. Malgré cela, elles ne représentaient qu’un tiers de ce qu’elles étaient à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Pour relancer le Street, il aurait fallu un moyen bien plus radical que la publicité que pouvait lui procurer ponctuellement un journaliste. À savoir, dans l’opinion de Deacon, un nouveau rédacteur en chef avec de nouvelles idées – ce dont JP était parfaitement conscient.
Celui-ci le gratifia d’un sourire vipérin.
« Si vous aviez rédigé ce papier comme je vous l’avais dit, c’est nous qui aurions profité du scandale au lieu d’en laisser le bénéfice à ces torche-culs. Bon sang, pourquoi avoir joué les bégueules en cachant l’identité des deux mômes en question ?
— Parce que je l’avais promis à leurs parents. Et aussi, ajouta Deacon avec une lourde insistance, parce que je ne suis pas d’accord pour faire des tirages avec des photos d’enfants victimes de graves préjudices.
— C’est pourtant bien ce qui s’est passé. »
Oui, admit Deacon et cette idée continuait à le rendre furieux. Il s’était donné un mal de chien pour préserver l’anonymat des deux familles, jusqu’à ce qu’un enfoiré réussisse, à coups de bakchichs, à délier la langue de voisins et amis.
« En tout cas, je n’y suis pour rien, fit-il observer.
— Foutaise ! Vous saviez fort bien que quelqu’un finirait par cracher le morceau.
— J’aurais dû, rectifia Deacon en le lorgnant à travers la fumée de sa cigarette. Depuis le temps que vous me rebattez les oreilles avec vos théories sur le sujet. Vous vendriez père et mère pour un abonné de plus.
— Vous n’êtes qu’un sale ingrat, Mike. Avec vous, la loyauté ne fonctionne que dans un sens. Vous rappelez-vous être venu ici et m’avoir supplié de vous filer du boulot quand Malcolm Fletter vous débinait auprès de toute la profession ? Vous étiez sans travail depuis deux mois et ça vous rendait dingue. » Il pointa un doigt accusateur. « Qui vous a engagé ? Qui vous a tiré du placard et donné autre chose à penser que le pétrin dans lequel vous vous étiez mis par votre faute ?
— Vous.
— Exact. Aussi, j’attends d’être payé en retour. Arrangez votre tenue et rapportez-moi des photos et les réflexions de cette bourge à la noix. Cela mettra un peu de piment dans votre article. »
Il sortit en claquant la porte.
Deacon fut tenté de poursuivre son petit patron irascible et de lui répondre que Malcolm Fletter l’avait supplié de reprendre sa place à L’Independent moins de quinze jours auparavant, mais il n’en eut pas le courage.
JP n’était pas le seul à avoir le sentiment d’une fin imminente.
Lisa Smith émit un sifflement admiratif quand Deacon vint la retrouver devant les bureaux à dix-neuf heures trente.
« Ouah, t’es beau comme un prince ! En quel honneur ? Tu t’remaries ? »
Il la prit par le bras et l’entraîna vers sa voiture.
« Si j’ai un conseil à te donner, Smith, c’est de la boucler. Tu n’as sûrement pas envie de retourner le couteau dans la plaie. Tu es bien trop douce et charitable pour commettre un acte aussi vil. »
Jolie, pleine d’exubérance, elle avait vingt-quatre ans, des cheveux formant un nuage de boucles brunes et un petit ami attentionné. Cela faisait des mois que Deacon la désirait, mais il avait préféré garder le silence. De crainte d’un refus. Plus précisément, de s’entendre répondre qu’il avait l’âge d’être son père. Il était conscient d’avoir brûlé la chandelle par les deux bouts pendant trop longtemps. Ses muscles, jadis minces et lisses, s’étaient changés en bourrelets éthyliques tapis sous sa ceinture et qui n’échappaient au regard que parce que les pantalons amples dissimulaient ce que les jeans serrés avaient mis en valeur autrefois.
« Tu vois, tu peux être un autre homme quand tu t’en donnes la peine, fit-elle remarquer avec une apparente sincérité. Le style enfant terrible, c’était très bien dans les années 1960, mais aujourd’hui cela fait plutôt ringard. »
Il déverrouilla les portes et attendit qu’elle eût déposé son équipement à l’arrière puis pris place à l’avant, ses longues jambes repliées.
« Comment va Craig ? » demanda-t-il en s’installant à côté d’elle.
Elle exhiba un anneau incrusté de diamants qui ornait son doigt.
« Nous allons nous marier. »
Il démarra et se glissa dans le flot de voitures.
« Pourquoi ?
— Parce que ça nous plaît.
— Tu m’en diras tant. Ça me plairait bien de me taper vingt nanas toutes les nuits, mais j’ai assez de bon sens pour ne pas le faire.
— Ce n’est pas le bon sens qui t’en empêche, Deacon, c’est ton amour-propre. Jamais tu ne trouverais vingt femmes désespérées à ce point-là. »
Il sourit.
« Moi aussi ça m’a plu de me marier avec mes deux femmes, jusqu’à ce que ce soit fait et que je m’aperçoive qu’elles s’intéressaient beaucoup moins à moi qu’à mes comptes en banque.
— Merci.
— De quoi ?
— De tes félicitations et de tes vœux de bonheur.
— Je suis réaliste, c’est tout.
— Non. » Elle lui montra les dents. « Tu es cynique, comme d’habitude. Craig est très différent de toi, Mike. Et d’abord, il aime les femmes, lui.
— Je les adore.
— C’est bien ça le problème. Tu ne les aimes pas, tu les adores, du moins aussi longtemps que tu crois avoir une chance de les fourrer dans ton lit. « Elle alluma une cigarette et baissa la vitre. « Il ne t’est jamais venu à l’esprit que si tu avais eu un tant soit peu d’affection pour l’une ou l’autre de tes épouses, tu serais encore marié ?
— Maintenant, c’est toi qui es amère, dit-il en prenant la direction de Blackfriars Bridge.
— Réaliste, c’est tout, murmura-t-elle. Je ne tiens pas à me retrouver toute seule comme toi. » Elle approcha sa cigarette du coin de la vitre et le vent emporta la cendre. « Qu’y a-t-il au programme ? JP m’a dit qu’il voulait que j’enregistre les réactions d’une bonne femme pendant que tu lui poseras des questions sur un poivrot qui a claqué dans son garage.
— C’est à peu près ça.
— À quoi ressemble-t-elle ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, répondit Deacon. Les journaux ont parlé de cette histoire au mois de juin, mais hormis son nom, une certaine Mrs Powell, et l’endroit où elle habite, qui est plutôt chicos, ils ne contenaient aucun détail. Elle a mis les voiles avant l’arrivée des fouille-merde et, à son retour, l’histoire était passée à la trappe. JP table sur une quinquagénaire à l’allure distinguée, fortement ancrée à droite, avec un mari agent de change. »
Si Mrs Powell était indéniablement distinguée, il s’en fallait d’au moins vingt ans qu’elle ne fût quinquagénaire. De plus, elle avait bien trop de sang-froid pour montrer le genre de réactions qu’attendait Lisa. Elle les reçut avec une amabilité toute professionnelle et les introduisit dans un salon impeccable où flottait un parfum de pétales de rose séchés et qui offrait un aspect à la fois élégant et dépouillé dans le plus pur style minimaliste. De toute évidence, elle aimait l’espace et Deacon considéra non sans plaisir le canapé et les fauteuils en cuir beige et métal chromé formant, avec une table basse à dessus en verre, une sorte d’îlot au centre d’un tapis couleur feuille morte. Une vaste baie vitrée encadrée de rideaux donnait sur la Tamise, et les lumières de l’autre rive. À part cela, la pièce ne contenait pas grand-chose : des étagères en verre supportant une vitrine teintée qui abritait ce qui avait tout l’air d’une chaîne stéréo et, sur le mur opposé, trois tableaux – un blanc, un gris et un noir.
« Comment ça s’appelle ? demanda-t-il en les désignant d’un signe de tête.
— Gravure à la manière noire D’Henri Benoît, un Français.
— Pas mal », fit-il sans qu’on sache très bien s’il parlait des tableaux ou de la femme elle-même.
En fait, il songeait que les goûts de celle-ci en matière de décoration intérieure s’accordaient assez mal avec l’endroit où elle avait élu domicile : un cube en brique totalement insipide construit sur un nouveau lotissement dans l’île-aux-Chiens. Ce que les promoteurs immobiliers devaient qualifier dans leur jargon de « splendide résidence composée d’habitations indépendantes de grand standing avec vue exceptionnelle ». La maison, estima-t-il, datait d’environ cinq ans, se composait de trois chambres et d’un double living, et devait coûter largement plus que la moyenne. Pourquoi une femme manifestement riche et cultivée s’était-elle entichée de ce blockhaus alors qu’elle aurait pu, pour la même somme, se payer un grand appartement n’importe où dans le centre de Londres ? Peut-être avait-elle une préférence pour les pavillons de banlieue, se dit-il non sans ironie. Ou pour la vue sur la Tamise ? À moins que ce soit Mr Powell qui l’ait choisi.
« Asseyez-vous, je vous en prie, dit-elle en leur indiquant le canapé. Désirez-vous boire quelque chose ?
— Merci, répondit Lisa, qui avait immédiatement pris son interlocutrice en grippe. Un café m’ira très bien. »
Comme rivale, Mrs Powell bénéficiait d’avantages certains. Elle semblait tout avoir, y compris la féminité, et Lisa chercha autour d’elle un motif de critique.
« Et vous, Mr Deacon ?
— Auriez-vous quelque chose de plus fort ?
— Bien sûr. Whisky, cognac, bière ?
— Vin rouge ? suggéra-t-il avec espoir.
— J’ai un rioja 1984 d’ouvert. Cela vous convient ?
— Tout à fait. Merci beaucoup. »
Mrs Powell disparut au fond du couloir et ils l’entendirent remplir une bouilloire dans la cuisine.
« Qu’est-ce qui te prend, Smith, de demander du café quand il y a de l’alcool en promo ?
— Je croyais que nous devions avoir l’air bien élevé, souffla-t-elle. Et, par pitié, ne commence pas à fumer. Il n’y a pas de cendrier. J’ai déjà jeté un coup d’œil. Je ne tiens pas à ce que tu la mettes de mauvais poil avant même qu’elle ait accepté d’être prise en photo. »
Il vit qu’elle n’était guère enthousiasmée par le décor.
« Alors, ton avis ?
— JP ne s’était pas trompé, sauf sur l’âge et le mari. L’agent de change, c’est elle. Je parie que le “Mrs” n’est qu’une pure étiquette destinée à lui assurer un statut dans un monde dominé par les hommes. Il n’y a pas l’ombre d’un mari ici. C’est trop confortable et ça pue la rose à plein nez, c’est le cas de le dire. Elle en a sûrement aspergé le salon avant notre arrivée. » Elle eut une moue de dédain. « Je déteste ce genre de mijaurées. C’est comme si elles voulaient vous prouver qu’elles font mieux que tout le monde. Que leur appart est plus propre que le vôtre. »
Il leva un sourcil amusé.
« Serais-tu jalouse ?
— Et de quoi ? lâcha-t-elle entre ses dents.
— Du succès », murmura-t-il en posant un doigt sur ses lèvres au moment où résonnaient les pas de Mrs Powell.
« Si vous désirez fumer, dit celle-ci en passant une tasse de café à Lisa et un verre de vin rouge à Deacon, je vais vous trouver un cendrier. » Elle posa son propre verre de vin sur la table basse près d’un fauteuil et les regarda tous les deux.
« Non, merci, fit Lisa en songeant aux consignes de JP.
— Volontiers », répondit Deacon, qui doutait de pouvoir supporter ne serait-ce qu’une heure l’odeur de pétales de rose. Il regretta que Lisa en ait parlé. À présent, le parfum l’écœurait et il se souvint que la seconde Mrs Deacon avait dilapidé sa maigre fortune en s’inondant de Chanel n° 5. De ses deux mariages, celui-là avait été le plus bref, trois ans seulement, avant que Clara se carapate avec un minet de vingt ans et une bonne partie de son capital. Il prit la soucoupe en porcelaine que lui tendait Mrs Powell, se planta une cigarette entre les lèvres et l’alluma. L’odeur de tabac recouvrit aussitôt celle des roses et il se sentit soulagé et coupable à proportion égale. Il cala la cigarette au coin de sa bouche, tira de sa poche un magnétophone et un calepin, et les posa sur la table devant lui.
« Cela vous gênerait que j’enregistre ce que vous me direz ?
— Non. »
Il mit le magnétophone en marche et décida à contrecœur d’aborder le sujet des photographies.
« Nous aurions besoin d’un peu de visuel pour illustrer l’article. Avez-vous une objection à ce que Lisa vous prenne en photo ? »
Elle s’assit, son regard rivé au sien.
« Pourquoi voulez-vous des photos de moi si vous avez l’intention de parler de Billy Blake, Mr Deacon ? »
Pourquoi, en effet ?
« Parce que en l’absence de portraits de Billy, qui n’existent pas comme nous l’avons vérifié, bluffa-t-il tout en déposant sa cigarette dans le cendrier, vous êtes, hélas, la seule personne dont la photo présente un intérêt quelconque. Cela vous pose un problème ?
— Oui, répondit-elle d’une voix ferme. Je vous l’ai déjà dit. Je ne tiens pas à ce que votre magazine se serve de moi.
— Et moi, je vous le répète, je n’ai pas l’habitude de me servir des gens. »
Elle avait des yeux d’un bleu glacial, comme ceux de sa mère, se dit-il, ce qui était bien regrettable car, pour le reste, elle était tout ce qu’il y a de plus séduisante.
« Dans ce cas, vous admettrez qu’il serait absurde d’illustrer un article sur les pauvres et les sans-abri avec la photo d’une femme vivant dans un intérieur cossu d’un quartier chic de Londres. »
Elle s’interrompit pour le laisser parler. Comme il restait muet, elle poursuivit :
« En réalité, il existe des photos de Billy Blake. Pour ma part, j’en ai deux, que je veux bien vous prêter. L’une est une photo d’identité prise lors de sa première arrestation et l’autre a été faite à la morgue. Elles conviendraient certainement mieux à l’évocation de la misère qu’une photo de moi. »
Deacon haussa les épaules, mais ne répondit pas.
« Je croyais que vous vous intéressiez à Billy. »
Mrs Powell paraissait déçue et cela éveilla sa curiosité, car il exerçait son métier de journaliste depuis trop longtemps pour ne pas avoir deviné qu’elle avait bien plus envie de lui raconter son histoire que lui de l’entendre. Mais pourquoi maintenant, alors qu’elle avait refusé à l’époque de parler à la presse ? Cette question l’intriguait.
« Pas de photo de vous, pas d’article, je regrette, répondit-il en se penchant pour arrêter le magnétophone. Ordre du patron. Navré de vous avoir fait perdre votre temps, Mrs Powell. » Il considéra avec regret son verre de vin intact. « Et votre rioja. »
Elle l’observa, hésitant visiblement, tandis qu’il faisait mine de rassembler ses affaires.
« Très bien, déclara-t-elle brusquement, prenez donc vos photos. Il faut qu’on connaisse l’histoire de Billy.
— Pourquoi ? » demanda-t-il à brûle-pourpoint en pressant une seconde fois la touche du magnétophone.
Elle s’attendait à cette question. Les mots sortirent de sa bouche avec une telle aisance qu’il fut certain qu’elle avait préparé la réponse.
« Parce que cette société serait tombée bien bas si la vie d’un homme importait si peu que seule compte la manière dont il est mort.
— C’est un noble sentiment, dit-il d’une voix douce, mais qui ne vaut guère la peine d’être publié. Des gens meurent tous les jours au terme d’une vie obscure.
— Mais pourquoi est-il mort de faim ? Pourquoi ici ? Et pourquoi ne sait-on rien de lui ? Pourquoi a-t-il déclaré à la police qu’il avait vingt ans de plus qu’en réalité ? » Elle le regarda intensément. « Vous n’êtes pas curieux de l’apprendre ? »
Oh si ! La curiosité rampait comme un ver dans son cerveau mais, ce qui l’intéressait, c’était bien plus elle que l’homme qui avait rendu l’âme dans son garage. Pourquoi, par exemple, la mort de Billy lui tenait-elle tellement à cœur qu’elle était prête à se laisser manipuler pourvu qu’on publiât cette histoire ?
« Êtes-vous sûre de ne pas le connaître ? » suggéra-t-il avec une apparente indifférence.
Elle eut l’air sincèrement surprise.
« Oui. Pourquoi voudrais-je des éclaircissements si je le connaissais ? »
Il ouvrit son carnet sur ses genoux et écrivit : Pourquoi voudrait-on absolument des éclaircissements sur un parfait inconnu six mois après sa mort ?
« Désirez-vous que Lisa fasse ses photos avant ou pendant notre conversation ? demanda-t-il.
— Pendant. »
Il attendit que Lisa ait ouvert son sac et sorti son appareil.
« Vous avez bien un prénom, Mrs Powell ?
— Amanda.
— Que préférez-vous, Amanda Powell ou Mrs Powell ?
— Cela m’est égal. »
Elle regarda l’objectif en fronçant les sourcils.
« Ce serait encore mieux avec un sourire », dit Lisa. Elle actionna l’obturateur. Clic. « Voilà, parfait. » Clic. « Pouvez-vous regarder le sol ? Très bien. » Clic. « Gardez les yeux baissés. C’est vraiment touchant. » Clic. Clic.
« Allons-y, Mr Deacon, dit son interlocutrice d’une voix sèche, si vous ne tenez pas à ce que je vomisse sur mon tapis. »
Il esquissa un sourire.
« En ce qui me concerne, je préfère Deacon, ou bien Mike. Quel âge avez-vous ?
— Trente-six ans.
— Quel est votre métier ? »
Elle lui jeta un regard tandis que Lisa prenait une nouvelle photo.
« Architecte.
— À votre compte ou dans une société ?
— Je travaille pour W. F. Meredith. » Clic.
Pas mal, se dit-il. Elle n’aurait pas pu trouver mieux que Meredith.
« Vous êtes affiliée à un parti, Amanda ?
— Non.
— Et officieusement ? »
Elle eut un léger sourire que ne rata pas Lisa.
« Non plus.
— Vous votez ? »
Elle surprit son regard et il tourna la tête.
« Naturellement. Les femmes ont mené un long et rude combat pour m’assurer ce droit.
— Me direz-vous pour quel parti vous votez ?
— Pour le moins nocif.
— La politique ne semble guère vous passionner. Y a-t-il une raison particulière à cela ou est-ce seulement un malaise fin de siècle ? »
Le léger sourire réapparut sur ses lèvres tandis qu’elle prenait son verre de vin.
« Pour ma part j’hésiterais à appliquer l’adverbe “seulement” au phénomène dont vous parlez, mais en l’occurrence, pour votre article, ça passera. »
Il se demanda ce qu’il ressentirait en l’embrassant.
« Êtes-vous mariée, Amanda ?
— Oui.
— Que fait votre mari ? »
Elle porta le verre à ses lèvres, oubliant un instant l’objectif pointé sur elle, puis l’abaissa avec un froncement de sourcils et Lisa prit une nouvelle photo.
« Mon mari n’était pas là quand j’ai découvert le corps, ce qu’il fait ne présente donc pas d’intérêt. »
Deacon vit l’expression sarcastique de Lisa.
« Un intérêt humain, répliqua-t-il d’un ton détaché. Les lecteurs voudront certainement savoir à quel genre d’homme est mariée une architecte qui a si bien réussi. »
Peut-être comprit-elle que la question n’était due qu’à la seule curiosité de son interlocuteur. Ou peut-être, comme l’avait supposé Lisa, n’y avait-il pas de Mr Powell. Toujours est-il qu’elle refusa de s’étendre sur le sujet.
« C’est moi qui ai trouvé le corps, répéta-t-elle, et vous possédez déjà tous les détails. Est-ce qu’on continue ? »
Le regard d’un bleu vif, si semblable à celui de sa mère, resta posé un long moment sur les traits burinés de Deacon, trop long pour qu’il ne se sentît pas mal à l’aise, et le vague fantasme d’un baiser, au lieu d’inoffensif divertissement, se fit désir d’une revanche sadique. Il songea à la tête que ferait JP devant le peu de renseignements qu’il était parvenu à soutirer à son interlocutrice. Nom, grade et numéro matricule. Et il n’était guère plus optimiste en ce qui concernait les photos. Elle avait un visage aussi impénétrable que celui d’un prisonnier de guerre qu’on a collé dos au mur. Son petit visage paisible avait-il jamais reflété le tumulte, se demanda-t-il, et sa vie s’était-elle déroulée sans la moindre passion ? Comme de bien entendu, cette pensée l’excita.
« Très bien, parlons des circonstances dans lesquelles vous avez trouvé le corps. Vous dites que cela vous a causé un choc. Qu’avez-vous ressenti au juste ? Quels sentiments avez-vous éprouvé en le voyant ?
— Du dégoût, répondit-elle en s’efforçant de garder une voix neutre. Il était dans un coin derrière un tas de boîtes vides et il avait étalé sur lui une vieille couverture. Lorsque je l’ai ôtée, l’odeur m’a prise à la gorge. Le sol était mouillé tout autour. » Elle serra les lèvres, prise d’un brusque écœurement, et cligna des yeux en recevant l’éclair du flash de l’appareil photo. « Par la suite, lorsque la police m’a dit que sa mort était due à la négligence et à la malnutrition, je me suis demandé pourquoi il n’avait rien fait pour tenter de survivre. Non seulement parce que je l’ai trouvé à côté de mon congélateur, mais aussi parce que les gens du quartier ont tellement d’argent que les poubelles regorgent d’aliments parfaitement comestibles.
— Avez-vous une explication ?
— Seulement qu’il était si faible lorsqu’il a vu mon garage qu’il a juste eu la force de se glisser dans ce coin et de s’y cacher.
— Pourquoi voulait-il se cacher ? »
Elle l’observa un instant.
« Je l’ignore. Mais s’il ne se cachait pas, pourquoi n’a-t-il pas essayé d’attirer mon attention ? La police pense qu’il s’était introduit dans le garage le samedi, parce que le seul moment où cela lui était possible, c’est lorsque je suis partie faire des courses l’après-midi et que j’ai laissé les portes ouvertes pendant une demi-heure. » Si tant est qu’elle fût capable de montrer de l’émotion, c’est ce qu’elle fit. Elle porta une main tremblante à sa bouche avant de se souvenir de l’appareil photo et de la laisser retomber brusquement. « J’ai découvert son corps le vendredi suivant et, d’après le médecin légiste, cela faisait déjà cinq jours qu’il était mort. Ce qui veut dire qu’il vivait encore le dimanche. S’il avait appelé pour signaler sa présence, j’aurais pu l’aider. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?
— Peut-être avait-il peur.
— De quoi ?
— Que vous le dénonciez à la police parce qu’il était entré chez vous en fraude. »
Elle secoua la tête.
« Sûrement pas. Il ne craignait ni la police ni la prison. À ce qu’il paraît, il était régulièrement arrêté. Pourquoi aurait-il eu peur cette fois-là ? »
Deacon griffonna quelques notes dans son carnet afin de se souvenir des nuances d’expression que prenait son visage quand elle parlait de Billy. Angoisse. Inquiétude Étonnement aussi. De plus en plus curieux. Qu’avait-elle de commun avec Billy Blake pour qu’il lui inspire des émotions que son mari lui-même ne pouvait susciter ?
« Peut-être était-il trop faible pour attirer votre attention. Le médecin légiste ne savait sans doute pas s’il était encore conscient le dimanche ?
— Non, fit-elle lentement, mais moi si. Il y avait un sac de glaçons dans le congélateur. Quelqu’un l’a ouvert et, comme je suis certaine de ne pas l’avoir fait, j’en déduis que c’est Billy. De plus, on avait uriné dans un coin du garage. S’il avait la force de se déplacer, il avait aussi celle de frapper à la porte reliant le garage à l’entrée. Il devait bien se douter que j’étais dans la maison ce week-end-là car il lui était facile de m’entendre. La porte est suffisamment mince pour laisser passer les bruits.
— Qu’a dit la police ?
— Rien. Cela n’avait aucune conséquence sur le verdict du médecin légiste. Négligence volontaire ou pas, il n’en restait pas moins que Billy était mort d’inanition. »
Il alluma une nouvelle cigarette et l’observa à travers la fumée.
« Combien l’incinération vous a-t-elle coûté ?
— Quelle importance ?
— Tout dépend du degré de cynisme que vous accordez au lecteur moyen. Il pourrait penser que vous faites des cachotteries parce que vous voulez que tout le monde croie que vous avez dépensé beaucoup plus.
— Cinq cents livres.
— Autrement dit, bien davantage que ce que vous lui auriez donné s’il avait été en vie ? »
Elle hocha la tête. Clic.
« Si je l’avais vu en train de mendier dans la rue, j’aurais trouvé extrêmement généreux de ma part de lui donner cinq livres. » Clic. Clic. Elle lança un regard irrité à Lisa, sembla sur le point de parler et y renonça. Son visage reprit son expression fermée.
« Vous m’avez dit hier que vous aviez l’impression de lui devoir quelque chose. Quoi exactement ?
— Du respect, je suppose.
— Parce que vous pensez que personne ne lui en a jamais témoigné ?
— En quelque sorte, admit-elle. Mais, formulé de cette manière, cela paraît ridiculement sentimental. »
Il resta un instant à écrire.
« Êtes-vous croyante ? »
Elle tourna la tête pour éviter un nouvel éclair.
« Cela ne lui suffit pas avec ce qu’elle a déjà ? »
Lisa garda l’appareil braqué.
« Encore une ou deux les yeux baissés, Amanda. » Clic. « Oui, très bien. » Clic. « L’air un peu plus ému peut-être. » Clic. « Splendide, Amanda. » Clic, clic, clic.
Deacon vit l’irritation croître dans le regard de son interlocutrice.
« Parfait, Smith. On pourrait peut-être s’arrêter ?
— Pourquoi ne pas en faire dans le garage ? demanda celle-ci, histoire de ne pas gaspiller le restant de pellicule. Cela ne prendra qu’une minute. »
Mrs Powell scruta les profondeurs rouge sang de son verre avant d’avaler une gorgée.
« Allez-y, dit-elle sans redresser la tête. Les clés se trouvent sur la table dans l’entrée et la lumière s’allume automatiquement quand on soulève la porte du garage. Je ne me sers plus de la porte de communication.
— Je voulais dire, avec vous, rectifia Lisa. J’aurais besoin que vous veniez avec moi. S’il fait froid et humide là-dedans, ça pourrait donner une atmosphère pas mal. Ça irait bien avec un clodo mort de faim. »
Comme Mrs Powell demeurait impassible, Lisa crut qu’elle n’avait pas entendu. Elle fit une nouvelle tentative.
« Cinq minutes, Amanda, pas plus. Vous pourriez vous mettre à l’endroit où vous l’avez découvert et prendre l’air bouleversé, un truc de ce genre. »
Le seul bruit dans la pièce était le tic-tac d’une pendule sur la tablette de la cheminée, lequel devint de plus en plus sonore à mesure que se prolongeait le silence de Mrs Powell. Il sembla à Deacon qu’elle attendait quelque chose et, retenant sa respiration, il attendit avec elle. Aussi fut-il surpris de l’entendre dire :
« Je regrette, mais nous ne sommes pas de la même espèce, vous et moi. Je serais aussi incapable de poser, la larme à l’œil, là où est mort Billy que de mettre vos fringues et votre maquillage. Voyez-vous, je ne suis ni assez vulgaire ni assez bouleversée pour que cela se remarque. »
Il y avait trop de sifflantes dans cette dernière phrase et sa diction élégante n’y résista pas. Un rien stupéfait, Deacon comprit qu’elle était ivre.