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Edouardo, muni d’un enregistreur bien planqué, eut une conversation privée avec Sonotone, dans sa cellule.

Sonotone, qui continuait à l’appeler « neuf millimètres », s’était fait extraire les plombs de chasse des fesses, et il était allongé sur le ventre dans un étroit lit de fer. Edouardo lui rappela qu’il allait s’en prendre pour trente ans pour avoir tiré au gros calibre sur lui et ses potes au cours d’un rapide échange de points de vue dans un village akha abandonné. Et qu’en plus le poinçon à manche de bois avec lequel il s’était proposé de jouer le même jour avec lui ressemblait étrangement au rayon de mob’qu’on avait trouvé il y avait pas si longtemps dans le cœur d’un jeune mec mort en ville.

C’était bien ennuyeux, mais heureusement lui, Edouardo neuf millimètres, avait le pouvoir d’arranger bien des choses, n’étant pas un flic comme on les conçoit classiquement dans l’univers des Sonotone et de leurs proches. Il palabra encore un peu, fit bien rire Sonotone et lui posa trois questions de confiance, à savoir : pourquoi il avait tué ce type en ville ? pourquoi il voulait buter le petit bonhomme aux plantes vertes ? pourquoi il affectionnait tant le Magnum 357 à parure de crosse en bois de cerf ?

Le grand Noir exigea qu’on lui apporte son sonotone, cela afin de pouvoir écouter les conseils avisés des dieux, ce qui fut fait à la demande d’Edouardo.

De nouveau équipé, il se lança dans une grande envolée sur la vie qui était hydraulique des fois, et des fois pas tellement. Edouardo le recadra et Sonotone répondit d’abord à la dernière question. Il expliqua qu’il appartenait à une charmante coterie appelée « Brigades de la jungle », une sorte de club très fermé dont les meilleurs éléments se voyaient offrir ce type d’objet délicatement ciselé, de calibre 357, par Tonton lui-même (son vrai nom, à Tonton, était Wandervansen) lors de brèves mais émouvantes cérémonies. Tonton était une sorte de mécène pour leur joyeuse bande, qui avait reçu pour mission la protection de ses intérêts miniers et autres, de préférence à coups de flingue, dans un pays frontalier appelé Surinam. Quant à Sonotone, il était de souche brésilienne et il se baladait partout, les frontières n’étant pas réellement étanches. Il estimait que son don naturel pour les langues aurait dû lui ouvrir les portes des plus grandes universités, mais les dieux lui avaient conseillé de faire carrière chez Tonton, c’était plus sûr. À ce propos, souligna-t-il, Tonton junior (hé oui, Tonton avait un fils, un beau grand gaillard un peu froid mais humain au fond de lui-même) lui avait demandé de se rendre en Guyane française, de repérer le petit mec dont on lui avait donné la photo, de trouver sa planque, de le buter loin des habitations et de rapporter des petites plantes dont on lui avait également montré des photos, avec un journal devant. Point.

À la première question (qu’Edouardo dut reformuler car il ne s’en souvenait plus), Sonotone expliqua que l’assassinat du jeune en ville en plein jour, eh bien, il s’agissait encore d’une commande, mais de Tonton lui-même, cette fois, qui voulait « frapper les esprits à Cayenne ». Le jeune qu’il avait poinçonné, lui Sonotone, vendait de la came…

De la bonne. Magique.

 

À ce moment de sa confession, Sonotone s’arrêta de parler, les yeux fixés au plafond. Edouardo lui enjoignit doucement de préciser, si cela ne l’ennuyait pas trop, ce qu’il venait de dire. Sonotone redémarra et expliqua qu’il en avait lui-même touché, de cette merveille magique.

Il fallait qu’Edouardo neuf millimètres sache qu’avant que les dieux ne lui chuchotent à l’oreille, Sonotone avait mené une vie un tantinet dissolue et se poudrait le nez chaque matin à la coke dès le réveil, puis s’envoyait dans la journée des tas de trucs marrants dans le cornet. Il avait acheté de la came à ce mec-là. Une sorte de liquide brun.

Quand on en avait bu, on voyait des animaux, on était des animaux, on se promenait la nuit dans la jungle, on y voyait comme le jour, on volait dans le corps d’un oiseau, d’une chauve-souris, on rencontrait les dieux de la forêt, on était un jaguar, on sentait tout bien mieux, on ressentait on voyait et on sentait des choses grandioses qu’Edouardo ne pouvait pas comprendre sans y avoir tâté, de cette came. Le problème, ou le bienfait, ou l’étrange de la chose était que quand on y avait tâté, même une seule fois, on n’avait plus besoin de coke, de crack ou de conneries comme ça. On était désin… désintosquiqué, un truc comme ça… Tu vois, neuf millimètres ?

Edouardo voyait un peu.

Sonotone ajouta que cette super-came on n’y était pas accro non plus, le corps il la demandait pas. Il demandait plus rien d’ailleurs, ni fumette, ni poudre, ni rien… On était bien.

Si Edouardo se rendait compte de la grandeur du prodige, lui, Sonotone se proposait de témoigner devant le monde entier que c’était bien là la preuve que la vie était ce qu’on pouvait appeler hydraulique, en somme.

Au bout d’une pause silencieuse, Sonotone raconta qu’à partir du moment où il avait touché cette came, les dieux avaient commencé à lui chuchoter à l’oreille et qu’il les entendait encore mieux depuis qu’il avait acquis cet instrument amplificateur avec des nœuds sacrés qu’il avait faits lui-même au bout.

Edouardo, qui se pinçait la base du nez entre le pouce et l’index, fit remarquer à Sonotone que le p’tit gars qu’il avait refroidi au rayon de mob’avait de la poudre bien normale bien d’chez nous dans le pif et qu’il avait pas dû en consommer des litres lui-même, de cette super-came anticame. Sonotone admit que c’était bien possible. Il se rappela que le gamin qui en vendait ne pouvait pas en avoir beaucoup, elle était très chère et réservée à des consommateurs avertis comme lui.

Edouardo arriva au point qui l’intéressait tout particulièrement. Il pesa ses mots. Il dit lentement qu’on murmurait en ville que le type qu’il avait poinçonné, le petit dealer, était une balance des flics, mais à l’envers, comme qui dirait. Qu’il payait un ou peut-être plusieurs flics pour connaître le moment où ils allaient descendre chez les grossistes et les vendeurs, et que sa mort prématurée, à ce garçon qui rendait tant de services, avait jeté un grand désarroi au sein de la profession.

Sonotone avait éclaté de rire et affirmé que ces faits étaient connus de lui, et qu’il allait se faire le plaisir de lui balancer gratuitement une info.

— Le petit gars que j’ai poinçonné se barrait régulièrement faire de la pêche sous-marine… Camé jusqu’au trognon, mais sportif. Il prenait son matériel et se barrait en mer avec ses palmes et des bouteilles. Y avait une boîte aux lettres sous-marine, loin des veux, à dix mètres de profondeur. Le flicard informateur plongeait lui aussi. Il avait une sorte de tube étanche dans lequel il planquait les infos, que le gamin avait ordre de balancer au feu après les avoir lues. Le mec mettait son tube à infos dans un trou de rocher sous l’eau, à une heure fixée, et le gamin passait un gros paquet de biftons au mec dans un tube tout pareil qu’il posait dans un trou d’un autre rocher, en dessous, quelques heures plus tard. Et ciao ! Tout le monde était content, le bizness pouvait continuer à rouler et à rouler encore… Le gamin, il ne l’a jamais vu, le mec, il n’a jamais su qui c’était.

Le môme avait été approché par un intermédiaire qui avait conclu l’affaire pour eux.

— Comment tu sais tout ça ? demanda Edouardo.

Sonotone rigola de bon cœur.

— Neuf millimètres, mon cher ami… Tonton m’a envoyé ici pour savoir à qui le gamin avait vendu sa super-came, et tout ça. Voulait tout savoir sur la super-came, Tonton. J’ai acheté plein de came normale au môme, je l’ai amadoué, on a picolé, on a sniffé ensemble, il s’en est collé des wagons dans le portrait et je l’ai fait causer. De tout, de rien. Tiens, je peux même te dire que le mec qui lui fournissait la super-came, il s’appelait Amphi, un truc du genre… Ça vaut de l’or, tout ça, tu trouves pas, neuf millimètres ? Tu crois pas que tu devrais pas trop me charger devant le tribunal ?

— Amphi ? Comme amphibie ? Amphithéâtre ?

— Si tu veux, neuf millimètres, mon ami. Tu sais, ça ne m’a pas fait plaisir de le buter, le gamin, mais Tonton, c’est Tonton. T’es un peu pâle, neuf millimètres, à quoi tu penses ?

Edouardo pensait en cet instant à Edmée-au-joli-cul.

À Edmée et son mari amateur de plongée.
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