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Ce matin, ils m’ont suivi, je le sais.
Je suis allé acheter le journal comme tous les matins et j’ai
regardé la première page avec les gros titres comme tous les
matins. Après, j’ai discuté un moment avec le marchand de journaux,
comme tous les matins, de tout et de rien… Et je suis allé prendre
un café au rhum à la terrasse en lisant le journal au soleil. Le
soleil me fait du bien… Ma jambe me fait moins mal quand je suis
installé comme ça au soleil un petit moment. Je rabats mon chapeau
sur les yeux, je mets mes lunettes de soleil et je lis le journal.
Tu parles ! je m’en fous bien, du journal. En réalité je
regarde autour de moi et de temps en temps je tourne une page.
J’observe les gens, les bagnoles qui passent devant la terrasse.
Faut pas me prendre pour un con… L’autre jour, il y avait un type à
l’autre bout de la terrasse avec des lunettes de soleil. Un jeune
Noir. Baraqué. Souple. Il faisait semblant aussi de lire le
journal. À part qu’il oubliait de tourner les pages, ce
con-là ! Il regardait tout le monde derrière ses lunettes,
sauf moi. Moi, je me marrais, je le matais direct, tout le temps,
le connard, droit dans les binocles. Et puis il a tourné la tête,
et j’ai vu le fil qui brillait… Il avait un fil à l’oreille, son
oreille du côté de la rue. Il était relié par radio,
l’enculé ! Il me surveillait. Il me suivait ! Il a dû
comprendre ce que j’avais vu et il s’est levé… J’ai sorti mon petit
souvenir de ma poche et, quand il est passé devant moi, j’ai agité
le grigri du caïman presque sous son nez en rigolant… Il a bien
compris, j’en suis sûr ! Je me marrais encore pendant qu’il se
barrait entre les bagnoles. Va te faire éclater par une bagnole,
connard, j’ai pensé, va te faire aplatir la gueule, je te couperai
l’oreille avec mon surin, là, en plein jour en pleine rue, devant
tout le monde, et je l’enverrai à ton patron avec le micro dedans
et le fil qui pendouille. Le message, il sera clair… ils verront
bien qu’il faut pas me prendre pour un
connard !