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— Ça paraît incroyable qu’elle ait pu survivre jusque-là, dit le médecin. Si les pêcheurs n’avaient pas aperçu la pirogue, elle aurait servi de casse-croûte aux piranhas et aux caïmans. Cela dit, les moustiques se sont largement servis. Elle était couverte de cloques des pieds à la tête. Bon… faisons un petit bilan en commençant par le plus grave.

Il accrocha une radiographie sur le tableau lumineux devant lui. Le gendarme s’approcha. Du bout de son stylo, le docteur désigna des petites formes blanches aux angles imprécis, à peine visibles sur la radiographie partielle qui montrait le haut du thorax d’un enfant, côté gauche.

— La môme a été atteinte par des projectiles à fragmentation. J’ai déjà eu l’occasion d’examiner ce genre de dégâts, mais pas avec un tel matériel. J’en avais entendu parler… Grenades, sans doute… Pas du métal, à mon avis, plutôt moitié plastique, moitié ferraille. C’est-à-dire du plastique lesté de particules de métal, ce qui explique qu’on ne les distingue pas nettement sur la radio. Elle en a cinq petits morceaux dans l’épaule gauche, plus un dans le pectoral. L’un d’eux a simplement glissé sous la peau, ce n’est pas trop grave. On en trouve quatre plantés dans le muscle, un autre assez près de l’articulation de l’épaule, comme vous voyez, mais celui qui m’inquiète le plus, c’est celui-là.

Il désigna de son stylo l’une des formes blanches qui ressemblait vaguement à une minuscule étoile à trois branches inégales.

— C’est à un centimètre du poumon… Curieusement, ça n’a pas trop saigné, je dirais heureusement. Il va falloir enlever ça au plus tôt… Si ça se trouve, elle a été protégée de l’infection par ses peintures corporelles au roucou. Des peintures végétales. Elles servent également d’antiseptique.

— Quoi d’autre ? demanda le gendarme.

Le médecin soupira.

— Un vrai festival… La gamine a été brûlée à la jambe et au pied par une substance collante, inflammable et nécrosante. Je dis bien collante, parce qu’elle a essayé de se frotter et la peau de sa main droite est partie.

— Je ne comprends pas, dit le gendarme.

— Hmm, d’accord. Suivez-moi.

Le docteur décrocha la radiographie du tableau lumineux. Ils empruntèrent un long couloir et pénétrèrent dans une chambre faiblement éclairée. Dans un lit entouré d’appareils médicaux, une enfant couverte de pansements dormait profondément, les paupières agitées de frémissements. Sa main blessée enveloppée d’un bandage dépassait du bord du lit et une aiguille de goutte-à-goutte était enfoncée dans son bras brun. Ses cheveux noirs et drus étaient coupés au bol et le gendarme remarqua les boucles d’oreilles en os ainsi que les tatouages sur les joues. Elle en portait également sur sa main exempte de pansement. Une petite main qui cramponnait une couverture bariolée.

Le médecin eut un bref sourire.

— Elle est sous tranquillisants… Les pêcheurs l’ont amenée enroulée dans cette couverture. Quand elle est sortie du cirage, elle a hurlé, elle était très agitée. On lui a montré la couverture, ça l’a calmée instantanément. Je l’ai fait laver, elle ne veut pas s’en séparer une seconde.

— Elle a dit quelque chose ?

— Non… Elle était dans un état de faiblesse critique et totalement déshydratée. Je crois qu’elle n’avait même plus la force de boire l’eau de la rivière. Comme je vous l’expliquais, elle a été brûlée à la jambe droite assez profondément et… Bref, il y avait des lambeaux de sa paume, bien visibles, collées sur cette blessure à la jambe. Je pense qu’elle a essayé de se frotter pour éteindre ce qui la brûlait.

— C’est quoi, à votre avis, docteur ?

— Aucune idée… Mais si elle s’en sort – ce qui n’est pas certain –, elle nous racontera peut-être. À propos, vous avez déjà vu ce genre de tatouage ?

Le gendarme s’approcha du lit et se pencha sur l’enfant.

— Ça ne m’évoque rien. Mais vu l’endroit où on l’a trouvée, il vient peut-être – sûrement, même – d’une tribu du Surinam.

À cet instant précis, la petite Indienne s’éveilla et vit le gendarme penché sur elle, le calepin et le stylo à la main. Son regard descendit lentement et se fixa sur les rangers. Ses yeux noirs s’emplirent de terreur et elle poussa un hululement étrange, un cri d’animal pris dans un piège mortel. Le gendarme recula vivement et le docteur se précipita vers la porte pour appeler un infirmier.

 

— Vous m’aviez demandé de vous tenir au courant s’il y avait du nouveau, dit le médecin dans le téléphone. La gamine que vous avez vue l’autre jour s’est réveillée totalement ce matin. Elle reprend le dessus à une vitesse incroyable. Mais elle est terrorisée et agitée… Elle débite des phrases à toute vitesse. Le problème, c’est qu’elle s’exprime dans un dialecte. Et un dialecte que malheureusement personne ne parle ni ne comprend ici, à l’hôpital. Si vous voulez l’interroger, il vous faudra un traducteur.

Il sentit l’hésitation du gendarme au bout du fil.

— Bon. Je vais voir ce que je peux faire, dit celui-ci. Je vous remercie, en tout cas, docteur…

Il mit sa main sur le combiné et se tourna vers Edouardo assis à côté de lui.

— Tu disais quoi ?

— Demande-lui si le tissage de la couverture a quelque chose de particulier.

— Quoi ?

Edouardo le Magnifique eut un geste agacé.

— Demande-lui, bordel !

Le gendarme répéta la question dans le téléphone, le médecin hésita.

— Je ne connais rien aux tissages indiens. Venez faire des photos, si vous voulez. La môme ne la lâchera pas, sa couverture…

Le gendarme remercia et raccrocha. Il se tourna vers Edouardo, intrigué.

— Mais qu’est-ce que ça peut bien te foutre, tout ça ?

Des Indiens, on en ramasse de temps en temps. On ne sait même pas combien ils sont de l’autre côté du fleuve, y a aucun recensement correct !

— Primo, tout ce qui vient du Surinam m’intéresse, deuxio, tu connais beaucoup d’indiens qui se battent à la grenade à fragmentation, toi ?

— Euh… non.

— Ça tombe bien, moi non plus. En revanche, les narcos, là-bas, du matériel américain qui date du Viêtnam, ils en ont encore des sacrés stocks. Ça, c’est quasiment une signature, mon gars !
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