26
Cinq perroquets multicolores
s’envolèrent des grands arbres et s’élancèrent en jacassant dans le
ciel bleu, vers la grande propriété. Ils survolèrent le mur
d’enceinte et ses fils électriques, passèrent au-dessus de la
terrasse et des toits, puis d’un coup d’aile ils prirent de
l’altitude et virèrent sur la gauche. Ils aperçurent le chenil
grillagé et les chiens noirs qui levaient la tête vers eux, puis la
grande piscine qui reflétait les nuages
pommelés.
Au bord de l’eau, un gros homme était
assis dans une des chaises longues, il parlait dans un téléphone
portable. Son ventre énorme tendait sa chemise à craquer. Devant
lui, un serviteur vêtu de blanc était en train de verser de la
bière glacée dans un verre posé sur la
table.
Au loin, la jungle se déployait
jusqu’à l’horizon embrumé. Les perroquets foncèrent au-dessus de
l’immense pelouse et la piste circulaire de béton noir luisant leur
apparut, devant les grands hangars, un hélicoptère d’un blanc
éclatant, profilé, était posé en son centre. Ses numéros
d’immatriculation gris tranchaient sur le fond immaculé de son
fuselage.
Un homme en combinaison s’affairait
dans une trappe disposée sur le côté de l’appareil. Un autre, à
quelques mètres, leva la tête pour les regarder passer. Il tenait
une arme.
Les oiseaux reconnurent l’engin qui
s’élevait parfois en grondant au-dessus des toits et fonçait vers
la jungle dans un bruit semblable au tonnerre, faisant bouger les
hautes branches comme lorsque le vent forcissait, annonçant la
pluie. Parfois, un autre engin, presque semblable, mais de couleur
bleue, le suivait, ils ne le voyaient pas,
aujourd’hui.
Ils eurent peur que l’engin blanc ne
se mette soudain à gronder et basculèrent sur la droite avec un bel
ensemble. Ils repassèrent le mur d’enceinte et remontèrent dans le
ciel, très haut.
Non loin de là, dans un chemin
forestier ombragé, une grosse camionnette 4x4 couverte de boue
était garée dans une clairière ménagée entre les arbres. Sur le
toit, on apercevait des outils attachés au porte-bagages :
pelles, pioches, des malles métalliques, divers sacs de toile et,
invisible au milieu de ce bric-à-brac, une curieuse structure ronde
semblable à une petite parabole de télévision, une parabole qui
bougeait lentement, tournant autour de son axe en émettant un bruit
ténu de moteur électrique.
Au volant, un grand gaillard blond
scrutait la piste à travers le pare-brise avec de courtes jumelles.
Un pistolet automatique était posé sur ses
genoux.
À l’arrière du véhicule aux portières
closes, deux hommes, torse nu, travaillaient. Ils transpiraient à
grosses gouttes. L’un d’eux, un casque audio sur les oreilles,
tripotait les boutons d’un gros magnétophone fixé à la cloison de
l’engin. Il jurait sans cesse et essuyait du plat de la main la
transpiration qui lui coulait dans les
yeux.
Il tourna avec précision un bouton sur
une petite console à côté du magnétophone, et l’antenne sur le toit
bougea encore de quelques degrés vers le haut. Il leva soudain une
main vers son compagnon et s’écria, très
fort :
— Putain, ça y est, je
l’ai ! Je l’ai !
Puis il enclencha rapidement une série
de contacteurs.
— Ça
tourne…
Il regarda les chiffres lumineux
défiler et écouta attentivement pendant une longue minute. Il fit
passer son écouteur autour de son cou et soupira. L’homme à la
casquette sourit largement.
— Il l’a collé où, le
machin ?
— Sous la table de la piscine, en
servant une bière à Tonton… Tonton a soif, Tonton a chaud et Tonton
téléphone…
— Ils ressemblent à quoi, ces
nouveaux micros ?
— Une pastille ronde d’un dixième
de millimètre d’épaisseur. Un centimètre
carré.
— Putain, vous, les Yankees, vous
avez toujours du matériel du feu de Dieu ! Ça doit coûter,
tout ça…
— Ouais, mais faut pas être trop
loin… Avec la jungle… Bon, tu vas installer le relais dans les
arbres. Ce qui m’emmerde, c’est la terrasse… Antonio a les jetons,
à cause des gens qui font le ménage… Ils pourraient trouver un
mouchard, s’il en collait un là.
— Il parle de quoi,
Tonton ?
— Devine.
Le Surinamien éclata de rire, et
prononça :