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George Webber se tenait assis dans le noir, grelottant, l’oreille aux aguets, fouillant d’une pupille dilatée l’obscurité épaisse, nébuleuse, de la petite chambre. Il savait que ce n’était plus maintenant qu’une question de temps. Il ne pourrait plus leur échapper bien longtemps. Oh ! certes, il ne les avait pas vus ; ils s’étaient montrés très habiles. Mais ils étaient persuadés d’avoir affaire à un fou, et ce n’était pas le cas. Il savait qu’ils le filaient ; il y avait beau temps qu’il s’en était rendu compte.

Comme il l’avait dit hier au soir, à ce type rencontré au bas de l’escalier : ils étaient partout – votre voisin du dessus, le boucher du coin, vos propres enfants, vous-même, peut-être – partout !

Et il fallait, bien sûr, qu’il avertisse le plus de monde possible avant qu’ils ne le prennent et ne l’étranglent comme ils avaient menacé de le faire s’il bavardait.

Si seulement les gens voulaient bien l’écouter quand il leur disait comme leur plan était bien conçu ! Ce n’était plus qu’une question d’années, de mois peut-être, ou même de jours avant que la substitution n’intervienne, et que le monde ne passe tranquillement, silencieusement, aux mains des autres, ces gens qui pouvaient traverser les murs, et dont la pensée suivait des cheminements d’une complexité inouïe. Et personne ne verrait la différence, parce que tout fonctionnerait comme d’habitude.

Il frissonna, et s’enfonça plus profond dans le lit. Si seulement les gens voulaient l’écouter !…

Ce ne serait plus très long maintenant, cela faisait déjà un moment qu’il avait entendu leurs pas furtifs à l’étage en dessous. Cette nuit était celle qu’ils avaient choisie pour mettre leurs menaces à exécution, pour étouffer à tout jamais sa voix dangereuse. Des pas gravissaient maintenant l’escalier, se rapprochaient, empruntaient le couloir conduisant à sa porte.

Il parcourut la pièce d’un regard frénétique, et d’un seul coup, bondit à la fenêtre, l’ouvrit brutalement, et clama d’une voix rauque dans la rue silencieuse : « Prenez garde ! Ils sont là, tout autour de nous. Ils se préparent à nous évincer. Prenez garde ! Prenez garde !… »

La porte s’ouvrit à la volée pour laisser passer deux hommes à la mine patibulaire qui se dirigèrent vers lui – deux solides gaillards, au visage triste et aux bras noueux, tout habillés de blanc, dont l’un disait : « Allons, mon vieux, viens gentiment. Inutile de réveiller toute la ville… »