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Les biotechniciens n’avaient rien laissé au hasard. J’étais déjà d’une taille légèrement inférieure à la normale, donc d’un gabarit convenable. Je pourrais passer pour un Terrien plutôt grand. Naturellement, mon visage, mes mains et le reste concordaient : les Terriens sont une race remarquablement humanoïde. Mais les techniciens avaient été obligés de remodeler mes oreilles, de les rogner, de greffer des lobes et de sectionner les muscles qui les faisaient mouvoir. On avait dû sacrifier ma crête, et mon crâne était à présent surmonté d’un abominable tapis de poils.
Le plus difficile avait été le problème de la coloration épidermique. Il était impossible d’éliminer ma pigmentation naturelle cuivrée. Aussi avait-on été contraint de m’injecter une substance voisine de la mélanine associée à un virus qui la perpétuerait. Le résultat donnait une teinte tirant sur le bistre grâce à laquelle je pourrais passer sans difficulté pour un membre de la sous-espèce dite « blanche » ayant eu l’habitude de vivre au grand air.
Le camouflage était parfait. J’avais du mal à reconnaître la créature qui me contemplait dans le miroir. Mon visage étiré à la mâchoire carrée et au nez aplati, mes yeux gris et mes mains épaisses étaient toujours les mêmes ou presque. Mais ma crête noire était remplacée par une touffe de cheveux blonds, mes oreilles étaient minuscules et immobiles, ma peau avait des reflets mats et bronzés et l’on m’avait hypnotiquement inculqué plusieurs idiomes terriens ainsi qu’un jeu d’habitudes et de réflexes dont l’ensemble constituait une pseudo-personnalité susceptible de se tirer victorieusement de tous les tests que les rebelles pouvaient imaginer.
J’étais effectivement un Terrien ! Et mon déguisement était autorégénérateur. Mes cheveux pousseraient et la « maladie » artificielle dont j’étais porteur assurerait la permanence de ma coloration épidermique. Les biotechniciens m’avaient assuré que si je gardais ce travestissement assez longtemps, jusqu’à ce que je commence à vieillir – quelque chose comme un siècle –, mes cheveux tomberaient et blanchiraient exactement comme ceux des indigènes.
La pensée que, une fois ma tâche accomplie, je retrouverais mon aspect normal, était réconfortante. Cela exigerait une nouvelle série d’opérations et prendrait autant de temps que ma transformation, mais la rénovation serait totale et il ne resterait pas de cicatrices. Je redeviendrais un humain.
J’enfilai les vêtements typiquement terriens qui m’avaient été fournis : un grossier pantalon et une chemise faits de fibres végétales, une veste et de lourdes chaussures fabriquées avec de la peau de bête, un vieux chapeau, cabossé confectionné dans une sorte de fourrure agglutinée appelée feutre. Il y avait différents objets dans mes poches : de l’argent et des papiers, bien sûr, un couteau pliant, une pipe et du tabac. Je m’étais entraîné à fumer et j’avais même fini par trouver la chose agréable. Tout cet accoutrement correspondait à mon personnage de marginal, d’errant, d’ataviste cultivé.
Je sortis de la clinique en marchant à grands pas, de l’allure chaloupée de quelqu’un qui est accoutumé à parcourir de longues distances.
Le Centre bouillonnait d’animation. Derrière moi, le petit bâtiment de pierre, d’acier et de plastique – à peine quatre-vingts étages – où étaient logés la clinique et les laboratoires. À gauche et à droite se dressaient d’immenses entrepôts, les casernes, les logements à l’usage des officiers, les concessions civiles où grouillaient les coureurs d’étoiles, vigoureux et dynamiques. Au-delà de la monstrueuse enceinte, à quinze cents mètres, s’étirait l’astroport. Je savais qu’un transport de troupes en provenance de Valgol s’y était posé tout récemment.
Le Centre grouillait de jeunes recrues en permission qui regardaient tout en ouvrant de grands yeux et se pavanaient dans leurs uniformes neufs. Le soleil flamboyant faisait étinceler leurs peaux comme du cuivre poli et leurs crêtes commençaient à se flétrir imperceptiblement. Contrairement à ce que croient la plupart des Valgoliens, la Terre ne ressemble pas partout à une jungle tropicale – le climat de l’Europe septentrionale est très agréable et il fait même un peu froid au Groenland – mais l’été est suffisamment brûlant en Amérique du Nord pour faire frire un shilast.
Une foule cosmopolite avait envahi les trottoirs. Le militaire dominait : des Dacors aussi gigantesques que timides, de petits Yangtusiens aux yeux bridés, des Gorrades tapageurs… Bref, le haut du pavé de la virilité valgolienne.
On rencontrait aussi des représentants d’autres races : Végiens à la peau bleue, Proximiens au corps duveté, Siriens et Antarctiens dont l’aspect était totalement non humanoïde. C’étaient des commerçants, des observateurs, des touristes ou tout ce que l’on pouvait imaginer dans le domaine des activités non militaires.
Je me frayai mon chemin dans la cohue en pensant à autre chose. Soudain, un violent coup sur la tête qui faillit me faire dégringoler me ramena à la réalité. Une jeune recrue me toisait d’un air arrogant. « Regarde où tu marches, Terro ! », me lança-t-elle d’une voix grinçante.
C’est volontairement que l’on enseigne aux jeunes soldats valgoliens à se montrer rudes, et même brutaux. Il faut, en effet, que notre militarisme fasse impression sur les colonies arriérées comme la Terre. Un tel comportement est contraire à notre nature, mais c’est une nécessité.
En d’autres circonstances, l’incident m’aurait peut-être irrité et j’aurais fait appel à ses supérieurs. D’abord, je suis officier. En outre, il importe d’être circonspect et d’agir avec intelligence. Les soldats inexpérimentés des garnisons lointaines qui débarquent ici avec la conviction que les indigènes sont une race inférieure qu’il faut traiter à coups de pied dans le derrière ne comprennent strictement rien à la doctrine de l’Empire. Si les multitudes d’êtres qui peuplaient la Terre avaient effectivement été une race inférieure, je n’aurais pas été ici. Valgol a besoin d’un empire économique, mais si notre seul objectif était de nous attacher des serfs nous nous contenterions d’exploiter la vie animale de Deneb VII ou d’une centaine d’autres planètes.
Je me fis tout petit comme si je ne comprenais pas le valgolien universel et m’éloignai en courbant le dos. Mais être pris pour un Terro me faisait grincer des dents. Si je devais devenir un Terrien, soit ! Mais que ce soit au moins un Terrien qui se respecte…
Il y avait beaucoup de Terros dans la foule, naturellement. Le comportement de ces Terrestres était ambigu : serviles et déférents envers les Valgoliens, arrogants et insolents envers les simples Terriens. Ils ont adopté les us et coutumes de la civilisation, ils sont dans l’administration de l’Empire et ils parlent même valgolien en famille. Beaucoup se rasent le crâne, ne conservant qu’une mèche parodiant notre crête, et ils portent des tuniques blanches ressemblant à celles de nos fonctionnaires civils.
J’ai toujours eu un peu pitié d’eux. Ils travaillent, ils étudient, ils nous font de la lèche et essayent de toutes leurs forces de nous ressembler. Ce doit être bien décevant, car c’est précisément ce que nous ne voulons pas. Les Valgoliens sont des Valgoliens et les Terriens sont des hommes de la Terre. Cela dit, les Terros sont importants dans l’optique de la politique impériale. Mais pas de la façon qu’ils pensent. Ils sont un autre symbole de la conquête valgolienne sur lequel la haine de la Terre puisse se cristalliser.
J’entrais dans le bâtiment administratif. On m’attendait et je fus immédiatement conduit auprès du général Vorka, dont l’autorité est exclusivement limitée au système solaire. S’il y avait eu des Terriens aux environs, je l’aurai salué conformément aux règles du militarisme que nous affichons, mais le général Vorka était seul dans le bureau et je me contentai d’un : « Bonjour, coordinateur. »
Il avait remonté les manches de sa tunique. La sueur perlait à son front.
— « Je suis heureux que vous soyez enfin prêt, » fit-il en levant la tête. « Plus vite nous démarrerons… » Il s’interrompit et me tendit une boîte de poussière de galla. « Une petite prise ? Asseyez-vous, Conru. »
J’aspirai la prise avec satisfaction et me détendis. Le coordinateur prit une liasse de documents posée devant lui et se mit à la feuilleter. « Hum… hum… Vous n’avez que cinquante-deux ans et vous êtes déjà capitaine. Vous êtes remarquablement compétent, pour un homme aussi jeune. Des antécédents remarquables. La façon dont vous avez mené à bien l’affaire végienne… » Je l’interrompis en lui disant que oui, bien sûr, je savais mais que j’aimerais bien qu’il aille droit au fait. Comment m’en vouloir si j’avais hâte de me mettre au travail ? Avec mon déguisement de Terrien, je me sentais mal à l’aise et presque gêné en face de mes ex-compatriotes.
Le coordinateur haussa les épaules.
« Si vous arrivez à régler le problème, bravo. Si vous échouez, vous risquez d’avoir une mort extrêmement désagréable. C’est là le hic, Conru : on ne vous considérera pas comme un individu, mais comme un Valgolien. Saviez-vous qu’ils établissent même ce genre de distinction entre eux ? Des races, des sous-races, des castes sociales – et j’en passe. Aussi sont-ils divisés et impuissants. Et cela les maintient à l’écart de l’Empire. C’est déplorable. »
Tout cela, je le savais, évidemment. Je me bornai à opiner du menton. Le coordinateur Vorka était sensationnel dans son domaine et, s’il avait tendance à trop bavarder, que pouvais-je y faire ?
« Je sais, coordinateur. Je sais aussi que j’ai été choisi pour une mission dangereuse parce que vous avez pensé que je serais capable de tenir mon rôle. Mais je ne sais pas encore de quoi il s’agit exactement. »
Il sourit. « Je crains de ne pouvoir vous dire grand-chose de plus que ce que vous avez déjà sûrement deviné. Le mouvement anar – c’est-à-dire les rebelles – piétine, essentiellement à cause de ses difficultés internes. Quand les membres d’un même groupe se lancent à la tête des injures en se référant à de prétendues distinctions raciales ou nationales, censées déterminer la supériorité ou l’infériorité des individus, le groupe manque totalement de cohésion. Un tel état de précarité n’est pas de nature à favoriser une rébellion solide, Conru. Ils essayent néanmoins, et nous les aiguillonnons, mais leurs dissensions ne cessent de les diviser et leurs révolutions font long feu. Ils sont incapables de s’unir, et pas seulement contre nous. Vous n’ignorez pas les efforts que nous avons faits pour tenter de les éduquer. Ils ont été couronnés de succès jusqu’à un certain point. Mais comment voulez-vous éduquer trois milliards de gens possédant un long passé culturel ? »
Je sursautai. « Trois milliards ? »
— « Eh oui ! La Terre est une planète riche et archi-peuplée. Il est inévitable qu’ils se chamaillent. Cela fait partie de leur culture au même titre que la coopération fait partie de la nôtre. »
J’acquiesçai. « Nous avons sué sang et eau pour arriver à ce stade. Jadis, Valgol était une planète pauvre. Si nous ne nous étions pas unis pour nous lancer à la conquête de l’espace, nous n’aurions pas survécu. »
Le coordinateur s’offrit une nouvelle prise. « Bien sûr. Nous voudrions aider ces gens à s’unifier. Inutile qu’ils commettent les mêmes erreurs que nous. Si nous arrivons à faire en sorte qu’ils nous haïssent suffisamment pour oublier leurs querelles tribales… Vous savez ce qui s’est passé sur Samtrak. »
Je le savais. Aujourd’hui, les Samtraks sont les grands entrepreneurs de l’Empire. Ce sont vraiment d’adroits commerçants, mais les vétérans se rappellent qu’ils étaient autrefois une calamité. Ils ne comprenaient pas plus la signification de l’Empire que les Terriens ne la comprennent aujourd’hui. Il a fallu, pour briser l’obstacle, les pousser à entrer en rébellion ouverte. Le principe « diviser pour régner » à l’envers, en quelque sorte. Et ça a marché. Nous leur avons retiré les uns après les autres tous les privilèges commerciaux qui leur étaient reconnus, jusqu’à ce qu’ils se révoltent efficacement. Il n’a fallu que quelques générations pour qu’ils s’éduquent sociologiquement de cette façon.
Le problème de la Terre n’est pas tout à fait aussi simple. » Vorka se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, croisa les mains et plongea son regard dans le mien. « Savez-vous exactement ce qu’est le travail d’un provocateur, Conru ? » Je répondis que oui, mais de manière assez vague car, jusqu’à présent, je ne m’étais guère occupé que des relations sociales sur les planètes les plus avancées de l’Empire. Toutefois, je n’ignorais pas qu’il s’agissait, en gros, de susciter le mécontentement et, en dernier lieu, la rébellion.
Le coordinateur sourit. « Ça, c’est seulement le début, Conru. Les choses sont plus compliquées. Chaque planète pose un problème particulier Les Samtraks, par exemple, avaient une longue tradition de concurrence acharnée. Ce fut simple : nous avons éliminé cette difficulté en leur montrant ce que pouvait être la véritable concurrence acharnée. Avec la Terre, c’est différent. Les Terriens se battent entre eux. À cause de ces distinctions mythiques qu’ils entretiennent, parce qu’ils ne se rendent pas compte qu’il n’existe pas de races inférieures, mais seulement des races plus ou moins avancées et qu’on doit juger les individus en tant que tels, pas en tant que membre d’un groupe, d’une nation ou d’une race. Une planète comme la Terre peut être extrêmement précieuse à l’Empire mais pas si l’on doit y maintenir des garnisons. Il faut qu’elle coopère volontairement et de son plein gré. »
— « C’est un problème épineux. À mon avis, nous devrions les traiter tous exactement de la même façon, les contraindre à renoncer à ces distinctions irréalistes. »
— « Absolument ! » Le coordinateur avait l’air satisfait mais, en fait, ce n’étaient que des données tout à fait élémentaires. « Nous ne sommes jamais trop durs avec les jeunots qui arrivent de Valgol tout feu tout flammes et ne se gênent pas pour malmener les indigènes. Nous les encourageons même à les brutaliser quand l’esprit de rébellion vacille. »
Je lui parlai de l’incident dont j’avais été victime.
« C’est irritant, n’est-ce pas, Conru ? Humiliant. Naturellement, ces garçons seront reconditionnés par la civilisation quand ils auront terminé leur service militaire, et on les préparera à des tâches plus spécialisées. Oui, traiter tous les Terriens de la même manière, c’est la solution. Nous brimons les coloniaux. Ils ne peuvent pas accéder à des emplois supérieurs, par exemple. Et nous favorisons la diffusion des rumeurs délirantes ayant trait à notre brutalité. Mais pas suffisamment pour rendre folle furieuse la totalité, ni même la majorité, des Terriens. C’est toujours quelqu’un d’autre qui a subi les avanies de notre prétendue tyrannie. Toutefois, il y a une certaine catégorie de gens que cela pousse au combat, et ce sont eux qui nous intéressent. »
— « Les chefs. Les idéalistes. Ceux qui sont courageux, intelligents et patriotes. Et qui, n’importe comment, se refuseraient à s’engager dans ces querelles intestines. »
— « Exactement. Nous leur fournirons les éléments nécessaires pour alimenter leur propagande. C’est déjà ce qui se passe. Résultat : les chefs sont ivres de rage. Quelles que soient leur race, leur religion, leur nationalité, ils nous haïssent plus qu’ils ne se haïssent les uns les autres. »
Compte tenu de cette description, je ne voyais pas très bien en quoi j’étais nécessaire, et j’en fis l’observation à Vorka.
« Idéalement, c’est ainsi que la situation devrait se présenter, Conru. Seulement, les choses sont différentes. » Il s’épongea le front à l’aide d’un mouchoir en papier. « Les dirigeants eux-mêmes sont trop imprégnés du mythe des distinctions et leurs efforts se dispersent. Évidemment, il y aurait une autre éventualité : Luron. »
C’était parfaitement logique mais il arrive parfois que la logique vous fasse rigoler. Et j’éclatai de rire. Luron se considérait comme notre grand ennemi. Elle était persuadée qu’avec une douzaine d’alliés elle pourrait se lancer sur la voie de la conquête et nous arracher l’Empire des mains. Nous la laissions faire. Et, chaque fois qu’elle s’emparait d’une planète primitive, nous ne bougions pas, car elle nous rendait service en incitant les populations arriérées à s’unir et à progresser. Peut-être faisait-elle peu à peu des progrès en tant qu’entité sociale. Les primitifs colonisés en faisaient, eux, en tout cas. Luron avait amorcé une réaction en chaîne qui préparait l’anéantissement de la tyrannie de la superstition sur une centaine de planètes. Cette chère Luron ! Un jour, notre grand ennemi verrait la lumière à son tour.
Le coordinateur secoua la tête. « Mais nous ne pouvons pas utiliser Luron dans le cas présent. Les deux planètes sont, technologiquement, beaucoup trop semblables. Cela risquerait de les détruire l’une et l’autre, ce que nous ne voulons pas, bien sûr. »
— « Alors, que reste-t-il ? »
— « Vous, Conru. Vous vous infiltrerez chez les révolutionnaires, vous vous assurerez qu’ils veulent se battre, vous… »
Je l’interrompis : « Je vois. Et j’essaierai de les arrêter à la dernière minute. Pas avant, car la rébellion n’aboutirait à… »
Le coordinateur laissa retomber sa main sur le bureau. « Il ne s’agit de rien de tel. Il faut qu’ils se battent. Et qu’ils soient écrasés. Aussi souvent que cela sera nécessaire. Tant qu’ils ne seront pas prêts à réussir. C’est-à-dire, bien entendu, lorsqu’ils seront en totalité contre nous. »
Je me levai. « Je comprends. »
Vorka me fit signe de me rasseoir.
— « Vous aurez de la chance si vous comprenez quand vous aurez achevé votre mission et que l’on vous en confiera une autre… Enfin, si toutefois vous en sortez vivant.
Je lui adressai un sourire un tantinet déconcerté et le priai de continuer.
« Nous disposons d’une certaine influence à l’intérieur du mouvement clandestin, comme vous devez le penser. Nous avons eu beaucoup de peine à faire élire son chef actuel. »
— « Qui appartient à l’une de ces races méprisées, je suppose ? »
— « Le meilleur moyen était de faire élire un membre d’un sous-groupe minoritaire de la race dominante, la blanche. L’homme s’appelle Levinsohn. Il est juif. C’est le nom donné à ce sous-groupe blanc. »
Et comment le mouvement a-t-il accepté votre Levinsohn ? »
— « Levinsohn a dû faire face à une résistance et à une hostilité considérables. Il fallait s’y attendre. Toutefois, nous nous sommes arrangés pour qu’il n’y ait pas d’autre organisation que les fanatiques puissent rallier. Ils se sont trouvés placés devant un dilemme : suivre Levinsohn ou laisser tomber. Et Levinsohn est quelqu’un de capable. C’est même l’un des hommes les plus capables du mouvement, ce qui nous arrange parfaitement. Même ceux qui vilipendent les juifs l’admirent en dépit d’eux-mêmes. Il a transféré le quartier général du mouvement dans l’espace, et c’est un garçon si brillant que nous ne savons même pas où il l’a installé. Nous le découvrirons, surtout grâce à vous, j’espère. Mais ce n’est pas le plus important. »
— « Alors, qu’est-ce qui est important ? », m’exclamai-je avec ébahissement.
— « Ce qui est important, c’est de nous faire un rapport sur l’état du processus d’unification de la Terre. Il est possible que le mouvement anar puisse réaliser l’unité sous la direction de Levinsohn. Dans ce cas, nous ferons en sorte qu’il triomphe (ou qu’il ait l’impression de triompher) et nous signerons avec joie un traité accordant à la Terre un statut planétaire égalitaire au sein de l’Empire. »
— « Et si l’unité ne se réalise pas ? »
— « Eh bien, nous écraserons cette rébellion et on recommencera encore une fois. La révolte aura fait faire un petit pas aux Terriens sur le chemin de l’unité et la prochaine aura peut-être plus de succès. » Le coordinateur se leva et je l’imitai. « Mais ce ne sont encore là que des projets d’avenir. Nous établirons nos plans en fonction des résultats de cette campagne. »
— « Mais la politique consistant à fomenter la révolte contre nous ne présente-t-elle pas beaucoup de dangers ? »
Il haussa les épaules. « L’évolution est toujours douloureuse et l’évolution forcée l’est encore davantage. Certes, les dangers sont grands, mais les informations que nous recevrons de vous et d’autres agents peuvent les limiter. C’est un risque qu’il nous faut courir, Conru. »
— « Conrad », rectifiai-je en souriant. « M. Conrad Haugen… de la Terre. »