25
Bob et Bill
Ni Morane ni Ballantine n’avaient remarqué François, qui les écoutait depuis la porte du petit salon, immobile, les bras chargés d’un plateau garni de trois verres. Le gamin était pâle, et ses lunettes qu’il ne pouvait repousser, avaient glissé sur le bout de son nez.
Lorsque Bob et Bill repérèrent le gosse, il était trop tard, et ils comprirent qu’il avait entendu tout ce qu’ils venaient de dire à propos d’Adeline.
Dans le silence soudain créé, François s’avança et posa son plateau sur la table basse, entre les fauteuils. Il prit un verre dans chaque main et les offrit aux deux hommes. Ensuite, sans un mot, il saisit le troisième verre et s’assit à son tour sur le bord d’un fauteuil. Ballantine but une gorgée de jus de fruits, toussota, dit gentiment :
— C’est très bon…
— Délicieux, renchérit distraitement Morane en posant sur la table le verre auquel il n’avait pas touché.
Il se sentait embarrassé. Le gosse n’avait que huit ans, mais il était loin d’être idiot. D’ailleurs, sa pâleur indiquait qu’il avait très bien compris les propos que Bill et lui venaient d’échanger. Il en oubliait même de repousser ses lunettes !
Et puis, François dit doucement, le visage grave :
— Il y en avait une, hier soir, dans la rue…
Étonné, Bob le regarda attentivement.
— Une quoi ? dit-il.
— Une Volks, répondit le gosse.
— Tu as entendu ce qu’on disait, hein ? dit Bill.
— Oui, dit François.
Il repoussa enfin ses lunettes, regarda tour à tour les deux hommes, et demanda :
— Est-ce que vous allez retrouver Adeline ?
Ballantine détourna les yeux.
— Sûrement, assura Morane. On retrouve toujours ce qu’on cherche.
Il n’en était pas plus certain que ça. Il regarda le gosse bien en face et ajouta :
— Tu vas peut-être pouvoir nous aider. Alors, tu as vu une Volkswagen dans la rue, hier soir ?
— Oui. Il faisait déjà noir, mais je l’ai bien vue. Elle a démarré juste au moment où je regardais par la fenêtre…
Ballantine remua dans son fauteuil, haussa les épaules.
— Écoutez, commandant, grogna-t-il, vous l’avez dit vous-même : des bagnoles comme ça, y en a des milliers, rien qu’à Bruxelles !
— Je le sais bien, intervint François, mais celle-là, elle était grise, justement !
— Oh ! commença le géant, faut pas se faire d’il…
— Laisse-le parler, coupa doucement Morane.
Il se pencha vers le garçon et dit :
— Il faisait déjà nuit quand tu as vu la voiture… Es-tu certain d’avoir pu en distinguer la couleur ?
— Tout à fait certain, assura François. La rue est très bien éclairée, le soir.
C’était exact, Bob s’en souvenait parfaitement. Il leva la main pour empêcher Bill de parler et reprit :
— Est-ce qu’elle avait une galerie sur le toit ?
— Oui, répondit le gosse.
Il repoussa ses lunettes d’un coup de pouce avant d’ajouter :
— Sinon, je ne vous en aurais même pas parlé.
Morane se redressa lentement. Peut-être tenaient-ils quelque chose…
— Tu es sûr de ce que tu dis ? demanda-t-il.
— Mais oui, dit François.
Morane se passa la main dans les cheveux, comme chaque fois qu’il le faisait quand il était préoccupé. Les événements semblaient lui donner raison. L’Indien avait bien fait le guet dans la rue, la nuit précédente. Peut-être même s’étaient-ils croisés, l’homme et lui ? Il sursauta.
— Bon sang ! s’emportait Ballantine.
Le colosse venait de se lever. Il fit quelques pas entre les fauteuils et lança :
— François a vu une Volks grise avec une galerie de toit, cette nuit, dans cette rue… Et alors ? Nous voilà bien avancés, hein ?
Il se tourna vers l’enfant, gêné tout à coup.
— Excuse-moi, François, dit-il d’une voix radoucie.
— Vous croyez que ce n’est pas la voiture de… de l’Indien ? dit le gosse.
Il avait des larmes dans les yeux. Ballantine s’agenouilla devant lui, posa une de ses grandes pognes sur son épaule.
— C’est peut-être sa voiture, dit-il. C’est possible… Mais comment veux-tu que nous la retrouvions ?
— C’est une Volks grise, dit sourdement le petit garçon, avec une galerie de toit…
Ballantine soupira et alla se rasseoir dans son fauteuil.
— Bill a raison, François, dit doucement Bob. Pour retrouver le voiture, il faudrait connaître le numéro de sa plaque minéralogique…
— 7 HJ 10, dit le gosse.
Morane et Ballantine échangèrent un coup d’œil, puis leurs regards se tournèrent vers l’enfant.
— Qu’est-ce que tu dis ? coassa Ballantine.
— 7 HJ 10, répéta François. Le numéro de la Volks, c’est 7 HJ 10…