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L’Indien

 

Il avait réussi ! Pour lui, maintenant, c’était comme si l’enfant blanc était déjà mort… ou presque…

Car les choses s’étaient passées exactement comme il l’avait prévu. Et il serra les mâchoires en revivant mentalement sa course folle dans la forêt.

Sans son pied bot, il aurait certainement été plus vite, beaucoup plus vite, et cela aurait été aussi beaucoup plus facile. Il avait dû courir sans s’arrêter un seul instant jusqu’à la drève de la Vénerie, là où il avait laissé sa voiture.

Il y était arrivé, hors d’haleine, épuisé, le cœur au bord des lèvres. Mais il y était arrivé !

Le reste ne lui avait pas pris plus de cinq minutes. Passant par Notre-Dame-au-Bois, il avait rejoint l’autoroute, et il avait tout de même retrouvé la décapotable. À son tour, il s’était rangé sur le bas-côté de l’autoroute, attendant que l’homme aux cheveux rouges ait changé la roue dont il avait dégonflé le pneu.

La Jaguar était immatriculée en France. Il ne l’avait pas remarqué lorsqu’il s’en était approché pour dégonfler le pneu. Des Français… Peu importait, d’ailleurs. Ils n’étaient en fait que de simples pions entre les mains du destin. Entre ses mains.

Il n’avait eu qu’à les suivre, tout simplement. En prenant bien garde de ne pas serrer la décapotable de trop près, car il s’agissait de ne pas se faire repérer. Cela n’avait pas été très compliqué : l’homme aux cheveux noirs conduisait lentement.

Une seule chose importait à présent. L’Indien savait où habitait l’enfant. Là, de l’autre côté de la rue. Une petite maison, avec un seul étage. Une petite maison avec des fleurs rouges à chacune des trois fenêtres. Une petite maison qu’il ne quittait pas des yeux depuis bientôt deux heures.

Un sourire cruel retroussa les lèvres minces de l’Indien. Il se sentait impatient d’agir. Mais il comprenait parfaitement qu’il lui fallait maîtriser cette impatience, car il ignorait encore certaines choses à propos de cette maison et de l’enfant.

Par exemple : combien de personnes la maison abritait-elle ? Il avait vu la jeune femme. Une Blanche, évidemment. La mère de l’enfant sans doute. Mais elle n’était certainement pas seule. Sûrement, le petit devait avoir un père, et l’Indien n’avait pas l’intention de courir des risques inutiles.

Quant aux deux hommes qui avaient ramené l’enfant chez lui, c’était, pour l’Indien, exactement comme s’ils n’avaient jamais existé. « Ils s’en seront tirés à bon compte », pensa-t-il.

Ils étaient repartis tout de suite après avoir déposé le petit, et la jeune femme était demeurée sur le pas de la porte à regarder la voiture s’éloigner, une main posée sur la tête de l’enfant.

Après quoi, tous deux étaient rentrés chez eux. Et, depuis ce moment, l’Indien guettait, assis au volant de sa voiture. Immobile. Extraordinairement immobile.

Le jour n’en finissait pas de mourir, mais l’Indien n’était plus pressé maintenant. Il avait tout son temps. Et il avait l’habitude de guetter ainsi, de longues heures, choisissant soigneusement le moment, l’instant où…