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François
Il ne s’appelait pas François. Son nom était Frank.
Et ce n’était pas un pyjama qu’il portait ce soir-là, mais sa tenue spatiale. Une combinaison souple, légère, argentée, qu’il ne quittait jamais lorsqu’il était en mission.
De plus, il n’était pas couché, dans son lit, dans sa chambre à Bruxelles. Non. Il occupait une chambre d’hôtel – enfin, si on pouvait appeler ça une chambre ! – dans un quartier incroyablement mal famé de Xlup, la ville la plus dangereuse de la planète Mars.
Étendu sur le lit, les bras croisés derrière la nuque, Frank fixait sans ciller le plafond de la chambre minable. Il était sans doute le seul homme au monde à pouvoir dormir ainsi, sans fermer les yeux. Il avait dû s’entraîner longtemps pour y arriver. Mais le résultat, c’était que personne, jamais, n’arrivait à le surprendre. Et Dieu seul savait combien d’hommes auraient donné cher pour avoir sa peau !
L’homme en noir, par exemple… Les Hommes Noirs ! Car, il y avait à peine quelques heures, il avait dû affronter les Terribles Hommes Noirs de la jungle martienne. Ils étaient dix au moins, armés de couteaux. Mais Frank avait finalement eu le dessus, grâce à son courage autant qu’à sa force surhumaine.
Soudain, un bruit léger, à peine perceptible, attira son attention. Et il s’éveilla. Cependant, pas un seul muscle de son corps ne bougea. Seuls, ses yeux se tournèrent dans la direction d’où venait le bruit, vers la fenêtre. Les Terribles Hommes Noirs de la Jungle avaient-ils retrouvé sa trace ?
Sur la pointe des pieds, il se leva doucement, quitta le lit. Aussi silencieux qu’une ombre, il se dirigea vers la fenêtre entrouverte, se collant contre le mur, presque invisible dans l’ombre épaisse de la chambre.
En passant à côté de la table de nuit, il saisit ses lunettes spéciales, celles qui permettaient de voir dans l’obscurité la plus profonde aussi bien qu’en plein jour et, en arrivant près de la fenêtre, il les chaussa, les repoussant de l’index pour qu’elles lui tiennent bien sur le nez.
Précautionneusement, il jeta un regard dans la rue. Il y faisait sombre. C’était la nuit de Mars. Grâce aux lunettes, cependant, Frank aperçut tout de suite les deux hommes.
Vêtus de noir tous deux, marchant côte à côte, l’arme au poing. C’était bien eux : les Terribles Hommes Noirs de la jungle… Ils l’avaient donc suivi jusqu’ici… Tant pis pour eux ! Ils l’avaient bien cherché !
Tout doucement, Frank saisit la poignée de son fulgurant, qu’il avait pris soin de glisser dans la ceinture de sa combinaison spatiale. Son doigt trouva immédiatement la détente. Il visa posément, calmement, prenant tout son temps. Puis, zzzzp ! zzzzp ! Deux coups, à peine espacés, et les deux hommes disparurent, volatilisés, virés dans le néant.
De l’index, Frank repoussa les lunettes spéciales qui glissaient le long de son nez. Et, au moment même où il faisait ce geste, il se figea, tous les sens aux aguets, son fulgurant à nouveau braqué. De la rue, un autre bruit venait de s’élever. Le ronflement puissant d’une auto-fusée. Les deux Terribles Hommes Noirs de la jungle n’étaient sans doute pas venus seuls !
Effectivement, une auto-fusée passait sous la fenêtre derrière laquelle se tenait Frank. Elle glissait lentement, et il put la détailler à loisir. Couleur gris sable. Avec une galerie sur le toit. Une galerie lance-fusée, c’était sûr.
Lorsque l’auto-fusée fut passée, Frank écarta légèrement le battant de la fenêtre et se pencha au-dehors pour la suivre des yeux.
Justement, la voiture passait sous un lampadaire, et Frank put lire le numéro de la plaque : 7 HJ 10.
Cela lui donna une idée. Demain, il irait voir le chef de la police de Xlup, et il lui donnerait le numéro en question. 7 HJ 10. Il n’avait pas besoin de le noter. C’était gravé dans son cerveau. 7 HJ 10. Retrouver le propriétaire de cette auto-fusée ne constituerait, pour la police de Xlup, qu’un jeu d’enfant. Et le propriétaire de l’auto-fusée représentait peut-être un maillon de la chaîne capable de mener Frank jusqu’au chef de la bande. À ce stade de sa mission, il ne devait négliger aucun détail. Il n’était venu sur Mars que pour ça : détruire l’Organisation des Terribles Hommes Noirs de la jungle…
Satisfait, Frank regagna son lit.
Il se coucha et s’endormit aussitôt.
Et, du même coup, il ne fut plus qu’un petit garçon qui allait avoir huit ans et qui s’était endormi en oubliant d’ôter ses lunettes.