11

 

Adeline et Bob

 

Elle avait le sommeil léger, et le bref coup de sonnette la réveilla tout de suite.

Adeline se leva, passa un peignoir, ouvrit sans bruit la porte de sa chambre, descendit et n’alluma la lumière que lorsqu’elle fut au rez-de-chaussée. Elle consulta machinalement son bracelet-montre qu’elle ne quittait pas pour dormir, et elle s’aperçut avec surprise qu’il était près de trois heures. Qui donc pouvait sonner à cette heure ? Et pour quelle raison ?

Elle se pencha contre la porte d’entrée et interrogea, à mi-voix, car elle ne voulait pas réveiller François :

— Qu’est-ce que c’est ?… Qui est là ?…

— Morane, fut la réponse qui lui parvint à travers l’huis.

Et Adeline reconnut immédiatement la voix d’un des hommes qui avaient ramené son frère. C’était la voix de celui qui avait les yeux clairs.

— Un instant, dit-elle doucement.

Elle s’écarta de la porte, fit trois pas dans la direction du miroir accroché à l’un des murs du vestibule, tapota ses cheveux blonds d’une main légère et referma le col de son peignoir couleur turquoise, comme ses yeux. Après seulement, elle ouvrit la porte.

Morane avait l’air embarrassé, hésitant. L’air seulement. Adeline avait compris qu’il n’était pas homme à être embarrassé, ni hésitant.

— Ne restez pas là, dit-elle. Entrez…

— Je vous dérange à une heure impossible, fit-il sur un ton d’excuse. Vous dormiez…

— Vous pas ! constata-t-elle.

Elle referma la porte, le prit par le bras et dit :

— Venez par ici. Ne restons pas dans le vestibule… pour ne pas réveiller François…

Elle le fit entrer dans le petit salon. Elle alluma la lumière et referma la porte derrière eux, doucement. Ils se retrouvèrent installés l’un en face de l’autre, dans les profonds fauteuils recouverts de velours gris puce.

Morane était assis gauchement. Contrairement à ce que pensait Adeline, il se sentait mal à l’aise. Pas intimidé, non. C’était autre chose. Inquiet peut-être. Il avait croisé, les doigts, et elle remarqua ses mains. Fortes, la peau tannée par le soleil, les doigts un peu noueux. Elle avait toujours prêté beaucoup d’attention aux mains des gens, trouvant celles-ci souvent plus révélatrices pour elle que leur visage. Les mains de… Comment s’appelait-il encore ? Mo… Morane, oui. Eh bien ! monsieur Morane, vous avez des mains qui me plaisent. Des mains d’homme. Un vrai !

— Vous…

— Je…

Ils avaient ouvert la bouche en même temps, et ils s’arrêtèrent de parler aussitôt, pour sourire tout de suite après. Adeline se dit de nouveau qu’il avait des yeux vraiment extraordinaires. Des yeux qui pouvaient être durs, mais tendres aussi.

— Vous allez me trouver complètement idiot, dit-il, mais…

— Mais ?

— Je ne sais comment dire… Je viens d’avoir une discussion avec mon ami… Nous avons parlé de François, et…

Subitement, Adeline soupçonna qu’il s’était passé quelque chose lorsque les deux amis avaient rencontré François. Quelque chose qu’ils n’avaient pas voulu dire, l’après-midi, lorsqu’ils avaient déposé le petit devant la porte.

— Oui ? dit-elle.

Et elle sentit son cœur se serrer.

— Eh bien ! reprit Morane, votre frère nous a dit qu’il avait été poursuivi par un homme dans la forêt, et je…

Adeline ne put s’empêcher de pousser un soupir de soulagement.

— Oh, dit-elle, c’est donc cela ! François vous a parlé d’un homme, n’est-ce pas ? Vous savez, monsieur Morane, François est vraiment terrible. Il a l’art de raconter des histoires, de les inventer plutôt.

Elle rit nerveusement.

— Vous ne l’avez pas cru ?

— Eh bien, c’est-à-dire que…

— Il m’a dit que vous lui aviez raconté l’histoire de l’enfant espiègle qui criait toujours « Au loup ! »…

— Ah ! il vous a parlé de ça…

— Oui…

— Vous a-t-il également parlé de l’homme qui le poursuivait ?

— Bien sûr… Vous savez, monsieur Morane, à en croire François, il lui arrive quelque chose d’extraordinaire tous les jours !

— Ah !…

— D’ailleurs, l’histoire du loup lui va comme un gant, et vous avez tapé dans le mille en la lui racontant, ce qui prouve que vous n’avez pas manqué de découvrir quel petit farceur François peut être… un peu trop souvent à mon gré. Si vous voulez mon avis, il ne s’est rien passé du tout, et l’homme dont parlait François n’existe que dans son imagination…

— Peut-être, dit Bob songeusement.

— Certainement… François aura eu la frousse en se retrouvant tout seul en forêt, ce qui est bien excusable, car c’est encore un petit garçon. Et je veux bien parier qu’il aura inventé toute cette histoire pour se faire valoir, pour donner le change… Je connais bien mon frère, monsieur Morane…

Il sourit, se passa la main dans les cheveux et dit :

— Vous savez, avec les gosses, on n’est jamais sûr…

— Oh, avec François, si ! Savez-vous quel est le sobriquet que ses amis lui ont donné ?… Marius !

Bob sourit à nouveau, avant de demander :

— Il dort ?

— François ?… Comme un loir…

Elle se laissa aller en arrière, contre le coussin du fauteuil, et elle ajouta en riant :

— Il s’est même endormi en oubliant d’enlever ses lunettes !

Morane se leva, fourra ses mains dans ses poches.

— Je suis vraiment désolé, dit-il. Vous devez me trouver ridicule…

— Pas du tout, protesta-t-elle. C’est moi qui devrais être plus sévère avec un petit garçon un peu trop… mythomane.

Elle se leva à son tour, posa la main sur le bras de Bob en disant :

— Et puis, votre sollicitude me touche… Comment vous remercier ?…

— Il n’y a pas de quoi, dit-il. J’étais inquiet, c’est tout…

Lorsqu’elle referma la porte derrière lui, quelques instants plus tard, et qu’elle entendit démarrer la Jaguar, elle se demanda, perplexe, s’il était réellement venu à cause de François. Se pouvait-il qu’il se fût dérangé à une heure pareille uniquement pour avoir des nouvelles de son petit frère ? Elle n’arrivait pas à y croire.

Elle se regarda un bref instant dans le miroir du vestibule. Avec satisfaction. Après tout, peut-être n’était-ce pas seulement pour François qu’il était venu.