LXI
Le croup
Gretchen suivit machinalement Christiane, ne sachant ce qu’elle avait. Elle la vit poser le doigt sur une saillie d’un des panneaux boisés.
– Madame, que faites-vous ?
– Je l’appelle.
– Qui ?
– Eh bien ! celui qui peut sauver mon enfant !
–
Vous appelez Samuel Gelb
? balbutia
Gretchen.
– Ah çà, est-ce que tu crois que je vais laisser mourir Wilhelm ?
– Lui ! mais ce n’est pas le médecin, c’est le bourreau. Madame, vous invoquez le démon.
– Eh bien ! puisque j’ai invoqué Dieu en vain !
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Ah ! je ne crains qu’une chose, c’est la maladie de Wilhelm. Wilhelm mourant, rien n’existe plus.
Ô mon Dieu ! s’il n’était pas là encore ? Ma vie pour qu’il vienne tout de suite !
Et elle appuya de toute sa force sur le bouton.
– Il m’entendra, cette fois, dit-elle ; il est ici, il va apparaître. Retournons à Wilhelm.
Elle rentra dans sa chambre avec Gretchen.
– Quelle heure est-il ? demanda-t-elle à la nourrice. Il doit bien y avoir deux heures qu’on est parti pour le coup.
– Hélas ! madame, dit la nourrice, il n’y a pas une demi-heure encore.
L’enfant était toujours aussi mal. Christiane courut encore au salon, sonna une troisième fois, puis revint au berceau.
Chaque seconde lui paraissait un siècle. Elle ne pouvait se tenir en place. Son sang bouillait dans ses veines. Elle s’agenouillait devant le berceau, puis se relevait et marchait dans la chambre, fébrile, échevelée, hagarde, prenant chaque bruit pour Samuel.
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– Est-ce qu’il va laisser mourir mon enfant ?
disait-elle avec une colère sourde.
Elle retourna dans le salon et elle allait pousser encore le bouton, quand le panneau tourna vivement. Samuel parut.
Dans tout autre moment, son seul aspect eût effrayé Christiane. Les lèvres serrées, l’œil fixe, il était grave, pâle, glacé, et comme armé d’avance d’une résolution implacable. Plus rien d’humain ne semblait vivre en lui. Ce n’était plus une raison, ce n’était plus un cœur, c’était une volonté, une volonté rigide, inflexible, de fer, fatale, terrible et mortelle. Mais Christiane ne le regarda seulement pas. Elle se jeta à ses pieds.
– Mon enfant se meurt, monsieur ! sauvez-le !
cria-t-elle.
– Ah ! dit Samuel, ce n’est donc pas un piège ?
– Oh ! reprit Christiane, il ne s’agit pas de cela ! Je vous demande grâce. Vous êtes grand, vous serez bon. Pardonnez-moi mon passé. J’ai eu tort. Je m’humilie, je vous bénis. Venez vite.
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Sauvez le pauvre petit !
Elle lui prit la main et l’entraîna dans la chambre.
– Regardez, dit-elle. Il est bien malade, mais vous êtes si savant !
Samuel se pencha vers le berceau et n’eut qu’à jeter un coup d’œil.
– Cet enfant a le croup, dit-il froidement.
–
Le croup
! ah
! c’est le croup
! s’écria
Christiane. Vous qui savez tout, qu’est-ce qu’il faut faire ?
Samuel se tut un instant, parut réfléchir, regarda Christiane, qui, haletante, attendait, épiait sa première parole, son premier geste.
– D’abord, dit-il lentement, cette chambre est trop encombrée. Il faut que tout le monde sorte.
– Sortez toutes, ordonna Christiane.
Les femmes de chambre et la nourrice obéirent. En regardant autour de lui pour voir s’il ne restait personne, Samuel aperçut Gretchen blottie dans un angle, frémissante, effarée, 588
épouvantée de regarder Samuel et ne pouvant pas le quitter des yeux.
–
Faut-il qu’elle sorte aussi
? demanda
Christiane.
– Elle surtout, dit Samuel.
– Sors, Gretchen, reprit Christiane.
Sans dire un mot, Gretchen recula vers la porte, les yeux toujours fixés sur Samuel, comme se tenant en garde contre quelque attaque, les sourcils froncés, farouche. Quand elle fut dehors de la chambre :
– Madame ! prenez garde à vous ! cria-t-elle.
Et, refermant rapidement la porte, elle s’enfuit.
Samuel et Christiane restèrent seuls auprès du berceau.
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