XLVI
Gaudeamus igitur
Les étudiants chantaient à tue-tête : Gaudeamus igitur,
Juvenes dùm sumus ;
Ubi sunt qui ante nos
In mundo fuère ?
Tout à coup le chemin tourna et un village apparut. Tous les habitants, hommes, femmes, enfants, attirés par le bruit, étaient sur le pas des portes et ouvraient des yeux hébétés devant l’invasion de cet inexplicable caravane.
Samuel n’était plus là. Il s’était mis à l’arrièregarde pour causer avec Julius.
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L’étudiant qui marchait devant s’adressa au premier paysan :
– Holà ! paysan, qu’est-ce que ce village ?
– C’est Landeck.
Aussitôt un cri s’éleva de toutes les bouches :
– Holà ! Hurrah ! Hopsasa ! Renards et pinsons, halte ! voici Landeck !
Puis ce furent mille cris divers :
– Salut, Landeck !
– Mont-Aventin de notre Rome universitaire, salut !
– Affreux tas de bicoques, salut !
–
Salut
! bourgade désormais historique,
village sublime, trou immortel !
Trichter dit à Fresswanst :
– J’ai soif.
Un pinson alla vers un garçon de charrue :
–
Hé
! philistin, paysan, naturel de ces parages, apparence d’homme qui me regardes avec des yeux de poisson, as-tu ce qu’il faut 440
d’intelligence pour m’indiquer où est l’auberge du Corbeau ?
–
Il n’y a pas à Landeck d’auberge du Corbeau, répondit le paysan stupéfait.
– L’auberge du Lion-d’Or en ce cas ?
– Il n’y a pas d’auberge du Lion-d’Or à Landeck.
– La meilleure auberge de ton endroit, enfin, idiot ?
– Il n’y a pas à Landeck d’auberge du tout.
À cette réponse, ce fut un cri d’indignation parmi les étudiants.
– Entendez-vous ce que dit cet homme des champs ? cria le pinson ; il n’y a pas d’auberge à Landeck.
–
Où mettrai-je mes cartons à chapeau
?
demanda douloureusement un étudiant.
– Où mettrai-je mon chien ? gémit un renard.
– Où mettrai-je ma pipe ? hurla furieusement une Maison Moussue.
– Et moi, s’exclama un autre, où mettrai-je la 441
prunelle de mes yeux, la rose de mon printemps, la bien-aimée de mon cœur ?
Fresswanst dit à Trichter :
– J’ai soif.
Tous se mirent à chanter, d’un ton lugubre qui contrastait avec le sens plus que gai des paroles, le deuxième couplet de la fameuse chanson latine :
Vivant omnes virgines,
Faciles, formosæ.
Vivat membrum quodlibet !
Vivant membra quælibet !
Quelques-uns commençaient à être de mauvaise humeur. La joie du départ tournait à l’aigre. Des groupes pleins d’amertume se mêlèrent, se heurtèrent.
– Dis donc, toi, Meyer, dit à son voisin un grand et robuste renard, tu viens de me donner un coup de dos dans le coude, brutal !
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– Imbécile ! dit Meyer.
–
Imbécile
? c’est bien
! Dans un quart
d’heure, au mont Kaiserstuhl. Ah çà, mais où sera donc le mont Kaiserstuhl ici ?
– C’est assommant ! on ne sait seulement pas où s’assommer.
Un paysan poussa un cri :
–
Hé
! monsieur l’étudiant, prenez donc garde ! votre chien...
L’étudiant le regarda en face d’un œil sévère.
– Si tu disais : « Monsieur votre chien... »
animal !
– Eh bien ! monsieur votre chien vient de me mordre.
– Ah ! tu t’es fait mordre par mon chien, misérable ! Tiens, tiens !
Il rossa le rustre.
– Bravo ! crièrent les étudiants.
Et le chœur reprit en manière
d’encouragement philosophique :
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Vita nostra brevis est ;
Brevi finietur.
Venit mors velociter ;
Rapit nos atrociter.
Trichter et Fresswanst dirent ensemble :
– J’ai bien soif !
– Ah çà, demanda un étudiant, est-ce que nous allons prendre racine au sein de ce village ridicule et rester là plantés comme des pieux pour indiquer le chemin aux voyageurs ?
– Samuel devait nous introduire.
– Samuel ! Samuel ! où est Samuel ?
– Holà ! Samuel, viens donc ; on ne sait où donner de la tête ; l’anarchie ne se gouverne plus, la révolte s’insurge, le désordre est troublé !
– Coriolan, est-ce qu’on ne mange pas, est-ce qu’on ne dort pas, est-ce qu’on ne boit pas, chez les Volsques ?
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Samuel arriva tranquillement avec Julius.
– Qu’est-ce donc qu’il y a ? demanda-t-il.
– Il y a qu’il n’y a pas, dit Meyer.
– Que vous manque-t-il donc ?
– Il nous manque ce qui est le plus nécessaire à l’homme : une auberge.
–
Enfants de peu d’imagination
! repartit
Samuel. Donnez-moi cinq minutes et vous aurez tout ce qu’il vous faudra. Je vais entrer avec Julius dans la maison du bourgmestre et faire le programme de l’émeute. Où est Trichter ?
– Il avait soif là, tout à l’heure.
– Qu’on le cherche du côté où il y a du genièvre et qu’on me l’envoie pour me servir de secrétaire. Je vous recommande de ne pas faire trop de bruit pendant que votre roi travaille.
– Sois tranquille, Samuel ! tonna la bande.
Samuel et Julius entrèrent dans la maison qu’on leur indiquait pour le logis du bourgmestre, et où Trichter les rejoignit immédiatement.
Ils étaient à peine entrés que, fidèles à leur 445
promesse de silence, les émigrés beuglaient d’une voix formidable :
Pereat tristia !
Pereant osores !
Pereat diabolus,
Quivis antiburschius !
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