X

Jean Garric trouva l’abbé Reynès qui lisait son bréviaire au fond de son jardinet.

Jean avait couru ; rouge et suant, il se laissa tomber sur le banc de pierre où le prêtre s’assit près de lui.

– Mon pauvre enfant ! fit-il en lui passant un bras autour des épaules ; mon pauvre Jeantou ! Comme je compatis à ton deuil ! Quel excellent homme de père tu as perdu !

– Oui, monsieur le curé, répondit-il dans un sanglot… Et il paraît que ce ne sera pas mon seul chagrin.

– Ah ! tu as revu Pierril ; je devine ce que tu viens me demander…

– Sa fille vous a écrit, me dit-on ?

– En effet, la malheureuse !… Est-il vrai que c’est toi qui l’as séduite, comme son père le prétend ?

– Séduite ? C’est-à-dire… Enfin…

– Oh ! je me doute bien que c’est plutôt le contraire qu’il faudrait dire.

– Je n’en suis pas moins coupable, et honteux de m’être ainsi abandonné… C’est ma punition de ne pas avoir quitté les Anguilles dès qu’elle a commencé ses agaceries et ses grimaces… Je devais, en tout cas, venir vous trouver alors, vous demander conseil et appui.

– C’est ce que m’écrit aussi ta complice.

– Ah !… Que voulez-vous ? Je me croyais assez fort, aimant ailleurs ; et j’ai été lâche, oh ! lâche au dernier point…

– Le diable est malin, Jean.

– Je méritais un châtiment ; et, tout d’abord, le récit de Pataud fait devant Aline, outre qu’il a cruellement torturé la pauvre enfant, a failli me brouiller pour toujours avec elle, elle que j’aimais uniquement, qui m’aimait et qui m’aime encore.

– Vraiment, Jeantou ? Elle t’aime toujours ?

– Oui, monsieur le curé, toujours ; elle me l’a avoué, ce matin même, devant sa mère.

– Et cela au moment où tu vas être obligé, peut-être, de renoncer à elle !

– Renoncer à Linou ? Ah ! que dites-vous ? L’abbé lui prit affectueusement les mains, et, gravement :

– Mon brave Jean, il faudra agir selon ta conscience… et tu ne peux pas savoir encore ce qu’elle te commandera. Voici, d’abord, la lettre de la pécheresse.

Il tira de la poche de sa soutane une enveloppe couverte d’une grosse écriture inexpérimentée et la tendit à Jean, qui s’excusa de ne savoir lire qu’à peine. Le curé lut tout haut, pour Garric, comme il avait fait, deux heures plus tôt, pour Pierril… Pauvre lettre, pauvres idées, pauvre français… Pourtant, un certain ton de sincérité, un accent de vrai repentir ; et aussi une discrétion à l’égard de Jean qui, si elle n’était pas calculée, témoignait de beaucoup de délicatesse… Mion n’accusait personne qu’elle ; elle paraissait bien n’avoir écrit au curé de La Garde que pour le prier de lui obtenir le pardon de ses parents… Que croire ? Était-ce le fait d’une rouée escomptant la naïveté et la bonté de Garric, à qui Pierril ne manquerait pas d’imputer la séduction de sa fille ?

– Que croire et que faire ? répétait sans fin Garric, les coudes et la tête entre ses poings.

– Écoute, Jean, dit tout à coup le curé après un silence, la chose est évidemment délicate. Tu es trop honnête garçon pour ne pas être d’avis qu’il faut réparer tout préjudice causé… Mais il est bien permis de prendre quelques précautions pour n’être pas dupe d’une aventurière… Ne brusque rien… Tâchons d’abord de savoir ce qu’elle est, cette Mion, ce qu’a été son passé, comment elle se conduit en ville ; si elle est vraiment repentante de sa faute, ou si elle cherche un épouseur et si c’est à toi qu’elle en a.

– Mais, fit Garric, surpris, comment savoir cela, à cinquante lieues que nous sommes de Montpellier ?

– Essayons quand même… J’ai dans l’idée que l’aîné des fils Terral pourra nous être très utile.

– Le frère de Linou ?

– Lui-même. Avocat là-bas, tu comprends qu’il a des moyens d’information de toute sorte ; je vais lui demander de les mettre à notre service… Je vais lui écrire, – et aussi répondre à Mion… Bien entendu, je ne parlerai de toi ni à l’une ni à l’autre… Rentre aux Anguilles, remets-toi au travail, et tiens-toi sur la plus grande réserve vis-à-vis de tes maîtres. Ne prends aucun engagement, aucune détermination d’aucune sorte avant de m’avoir revu… Ne va pas non plus revoir ta petite amie de La Capelle ; qui sait si la chère enfant n’a pas été mal inspirée, aujourd’hui, en t’avouant qu’elle t’aimait toujours !

– Je vous obéirai, monsieur le curé, aveuglément… Si vous ne me sauvez pas, je sens que je suis perdu !

– Aide-toi, le ciel t’aidera.

Pauvre garçon ! Il redescendit tristement vers les Anguilles, repassant dans son esprit ce qui lui était arrivé en ces trois derniers jours : son père mort, Linou reconquise, et Mion surgissant tout à coup comme une menace, comme, par un soir d’été, une nuée d’orage à l’horizon.