Ce sont des vêpres modestes, des vêpres de Carême, dites devant un autel déjà à demi endeuillé par la Passion. Les antiennes et les psaumes se déroulent avec une monotonie berceuse et mélancolique.
Du fond de l’église et de la tribune, les hommes répondent au curé et au lutrin ; les femmes suivent dans leur paroissien, ou égrènent leur chapelet ; quelques-unes, nourrices aux nuits agitées, somnolent doucement.
Dans le chœur, malgré les regards foudroyants du curé Laplanque et de l’instituteur Cabrit, les écoliers lèvent leurs yeux distraits vers les vitres par où entre à flot le soleil, et derrière lesquelles piaillent et se querellent les pierrots amoureux. Comme il ferait bon d’aller chercher les premiers nids des merles dans les houx de Roupeyrac, sous les feuilles naissantes des hêtres !
Aline, au banc de famille, suit le chant des psaumes dans un livre que lui donna sa tante, la religieuse de Villefranche, lors de sa dernière visite, déjà lointaine : L’Imitation de Jésus-Christ, qu’elle a lu, relu, dont elle sait des chapitres par cœur.
Sans comprendre le latin, la jeune fille aime à chanter les psaumes de sa petite voix claire et timide, qui se perd dans la masse de celle des hommes, comme le susurrement d’une source dans le tonnerre d’un torrent. Mais, aujourd’hui, elle est si angoissée que sa gorge ne saurait laisser passer un seul son, et qu’elle a besoin de faire effort pour se retenir de sangloter.
Peu à peu cependant la pieuse mélopée agit sur ses nerfs, adoucit l’amertume de son cœur, berce la désolation de son âme. Elle referme le livre sur son pouce replié, elle écoute et elle rêve. Et de la scène cruelle de tout à l’heure, elle remonte à la scène de tendresse de la matinée ; puis, peu à peu, à travers les soucis, les hésitations, les luttes morales de ces derniers mois, jusqu’à la nuit terrible où elle s’était promise à Dieu. Ah ! cette promesse qu’elle n’a pas tenue, ce serment que, ce matin encore, elle a presque résolu de trahir… C’est comme si un rideau se tirait et si un gouffre s’ouvrait soudain devant elle. Malheureuse !… Une angoisse profonde l’envahit. Les versets des prophètes semblent des paroles de menace à son adresse. Ses yeux se portent avec terreur sur le tableau qui, au-dessus de l’autel, représente la Vierge douloureuse au pied de la Croix où vient d’expirer son fils. Une voix lui crie :
– Menteuse, parjure !
Elle se sent défaillir, et, durant le chant du Magnificat, hier encore son psaume préféré, elle peut à peine se tenir debout, en s’appuyant au dossier de son banc.
Heureusement, on s’agenouille pour le Parce, Domine. Et Linou, se cachant la figure des deux mains, s’unit de tout son cœur à l’émouvante supplication : « Pardon, mon Dieu, pardon ! », clamée par le curé et par les fidèles.
L’ostensoir brille et s’élève ; tous les fronts s’inclinent ; l’encens monte en nuée blonde… C’est fini : les têtes se redressent ; on sort de vêpres…