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La première vision de son voyage qu’avait eue Mahti était celle d’une rivière, et ce devait bien en être une, malgré le fait que ses pieds ne foulaient jamais que de la terre ferme. Les sentiers qu’ils l’entraînaient à emprunter le conduisirent en direction de l’est et du nord pendant les deux changements de lune suivants.

Au cours des premières semaines, il circula dans des vallées qu’il connaissait, chacune d’elles dévalant tour à tour des sommets telle la fonte des neiges au printemps qui, à force de former goutte à goutte de petits ruisseaux, finit par en grossir de plus conséquents dans les fonds, là où nichent les villages. Il croisa des malades qu’il avait guéris, des femmes avec lesquelles il avait couché, et il apprit le nom des enfants qu’il avait engendrés. On le conjurait parfois de rester, mais les gens d’âge qui savaient lire les marques imprimées sur son oo’lu lui firent don de légers vivres faciles à porter et psalmodièrent des chants d’adieux sans retour lorsqu’il poursuivit sa route.

Il ne fut plus long dès lors à se retrouver dans des vallées dont il ignorait tout, mais il ne souffrit pas de la solitude, car le fantôme de la sorcière Lhel l’accompagnait souvent. Elle pénétrait dans ses rêves, la nuit, et lui parlait de la jeune fille qu’elle lui avait montrée pendant cette première vision. Elle s’appelait Tamir et, grâce au corps qu’elle partageait avec son frère mort, avait eu l’aspect d’un garçon jusqu’à une époque toute récente. Cette opération magique, c’était Lhel qui l’avait réalisée, mais elle était morte avant de pouvoir contempler de ses propres yeux l’accomplissement de la féminité de sa protégée. Cela, joint au fantôme inassouvi du jumeau, maintenait son propre esprit dans les liens de ce monde. Comme bien des sorciers, Lhel se trouvait à l’aise dans cet état. Le fait qu’elle était restée par amour et non par vengeance lui avait valu de devenir un pagathi ‘shesh, un esprit gardien, contrairement au frère de la jeune fille, qui était un noro ‘shesh, lui.

Elle le lui fit voir également, et il était effroyable, avec la rage qui le ligotait à sa sœur et à Lhel. En jouant son chant de vision, Mahti distingua les cordes spirituelles qui les attachaient ensemble tous les trois. Elles étaient d’une extrême solidité.

« Je veille sur elle, mais c’est lui que j’attends, lui confia Lhel, allongée près de lui dans les ténèbres sur le sac de couchage qu’il avait installé au pied d’un chêne. Je lui servirai de guide quand il sera prêt à renoncer.

— Il vous déteste, signala Mahti.

— Fatalement, mais moi, je l’aime » , répondit-elle en appuyant sa tête froide sur l’épaule de Mahti et en l’enlaçant de ses bras glacés.

Elle avait été une beauté, avec ses cheveux drus et son corps opulent. Les marques de la déesse qui la tapissaient ressemblaient à l’ombre projetée par un réseau de fines ramilles sur la neige, et ses pouvoirs continuaient d’irradier de sa personne à la manière d’un parfum. Elle embrasa la chair de Mahti comme si elle était une femme vivante. Vu qu’elle était un pagathi’shesh, il coucha avec elle comme avec une femme vivante à chaque pleine lune, mais exclusivement alors. Lorsque la face de la Mère les éclairait de tout son éclat, il leur était possible de procréer ensemble de nouveaux esprits gardiens qui, par la suite, seraient à même de s’incarner en sorciers de première force. Les autres nuits, ils risquaient en revanche de procréer des âmes de voleurs et de meurtriers. Mais, quitte à ne pas s’accoupler avec lui, elle venait souvent reposer à ses côtés, et il déplorait de ne l’avoir pas connue du temps où elle était en vie.

Elle lui tenait également lieu de guide et lui montrait en rêve les arbres et les rochers sur lesquels il devrait se repérer pour éviter de perdre le chemin qu’il avait choisi. Elle lui parlait aussi de certains des êtres qui entouraient la jeune fille jadis un garçon, lui faisait voir leurs visages : un jouvenceau aux yeux bruns rieurs ; un guerrier blond des contrées du sud empli d’amour et de tristesse; le jeune orëskiri qui, déjà aperçu lors de la première vision, n’était que souffrance ; et une vieille femme orëskiri aux traits acérés comme un silex. C’était par leur intermédiaire à tous qu’il ferait la connaissance de la jeune fille, lui révéla Lhel.

La route se fit de plus en plus rude au fur et à mesure qu’il progressait, toujours en direction du nord et de l’est, et les habitants des lieux ne l’étaient pas moins. Ils avaient beau appartenir encore à sa propre race, ils vivaient trop près des Sudiens pour se montrer généreux ou hospitaliers vis-à-vis d’un étranger qui se rendait de ce côté-là. Ils lui condescendaient tout juste ce qu’il convenait de politesse pour ne pas offenser la Mère et l’envoyaient promener sans mot dire et d’un air soupçonneux.

Il marcha, marcha, marcha tant et si bien que des collines finirent par succéder aux montagnes. Les villages retha’noïs s’amenuisèrent jusqu’à n’être guère que d’infimes hameaux de plus en plus distants les uns des autres puis qui disparurent à leur tour complètement, et il ne croisa plus de-ci de-là qu’un campement de chasseurs ou un sorcier solitaire.

Au terme de deux autres journées, les collines cédèrent la place à des forêts, et le printemps se précipita à sa rencontre, alors qu’il savait que, chez lui, le matin, les gens étaient encore en train de briser la glace de leurs baquets d’eau. Ici, l’herbe était verte et plus luxuriante que dans aucune des prairies de sa connaissance. Les fleurs étaient différentes, et même les oiseaux. Ainsi que les vieux contes le lui avaient appris, il avait finalement atteint les confins des territoires occupés par les gens du sud.

Les premiers de ceux-ci sur lesquels il tomba étaient une famille de marchands ambulants, qui, pour avoir commercé avec les Retha’noïs, le saluèrent avec respect dans sa propre langue. Le patriarche s’appelait Irman, et il l’accueillit comme un parent sous leur tente et le fit asseoir à ses côtés près du feu.

Après qu’ils se furent lavé les mains et qu’ils eurent mangé ensemble, avec l’épouse du vieillard, ses fils et toute leur ribambelle de femmes et d’enfants, Irman demanda des nouvelles des habitants des monts que Mahti risquait de connaître et s’enquit ensuite de ce qui l’amenait par là.

« Je suis à la recherche d’une jeune fille qui a d’abord été un garçon » , répondit Mahti.

Irman se mit à glousser. « Doit pas y en avoir des tas dans le coin. Où est-elle ?

— Au sud.

— C’est vaste, le sud, à Skala. De juste où tu te tiens, tu as tout le sud autour de toi. Va vers le nord, et tu te retrouveras bientôt dans la mer Intérieure.

— C’est justement pour ça que je dois aller au sud » , répliqua plaisamment Mahti.

Irman branla du bonnet. « Au sud. Pas de problème, alors. Tes congénères ont une manière à eux de se rendre où ils veulent aller. Comme tu portes un superbe oo’lu, en plus, à ce que je vois, tu dois être un sorcier. »

Le ton avait beau être respectueux, Mahti perçut dans la remarque une peur sous-jacente. « Vous autres, vous vous défiez de la magie que je pratique, à ce qu’on m’a dit.

— Comme du poison et de la nécromancie. Je ne crois pas que tu iras bien loin si les gens savent ce que tu es. J’ai eu des aperçus du bien que vous êtes capables de faire, mais la plupart des Skaliens te brûleraient sans y réfléchir à deux fois. »

Mahti médita l’avertissement. Lhel ne lui avait rien dit de ce genre de dangers. 1

« Tu parles skalien ? questionna le vieux.

— Oui, je l’ai étudié tout gosse, répondit-il dans cette langue. Notre peuple l’apprend de marchands tels que vous, de manière à savoir comment se protéger. Il paraît que je n’ai qu’à me prétendre originaire de Zengat pour abuser mon monde. »

Il crut du moins que c’était là ce qu’il avait dit.

Irman et les autres le dévisagèrent un moment, puis éclatèrent de rire.

« Je me suis mal exprimé ? fit-il en guise de nouvel essai.

— Tu sors trois mots corrects par-ci par-là, répondit Irman, tout en s’épongeant les yeux. Les gens te prendront plutôt pour un simple d’esprit que pour un Zengati, en t’entendant baragouiner de cette façon. Sans compter que Skala n’aime pas spécialement les Zengatis non plus ... »

Ainsi donc, il lui serait plus ardu qu’il ne l’avait escompté de circuler dans un pays où personne ne le comprendrait ni ne lui voudrait du bien. « Si vous consentez à m’apprendre à parler mieux, moi, je soignerai volontiers vos maux et vous façonnerai de bons charmes » , reprit-il dans sa propre langue. Il pointa l’index vers le gros ventre d’une des femmes de la maisonnée. « Je jouerai des bénédictions pour l’enfant. »

La future mère le foudroya du regard en marmonnant quelque chose dans sa langue à elle.

Irman lui grogna quelques mots puis gratifia Mahti d’une mine contrite. « T’en fais pas pour Lia. Elle est de la ville et ne vous comprend pas comme nous vous comprenons, nous autres, des collines. J’accepterai tes soins pour mes bêtes, si tu me jures par ta déesse lune que tu n’as pas de male intention.

Par la Mère, je jure de n’opérer que pour le bien » , s’engagea Mahti, une main pressée sur son cœur, tout en agrippant son oo’lu.

 

Il séjourna trois jours dans la forêt avec la tribu d’Irman, à pratiquer son skalien et à se moquer de lui-même et de son peuple qui s’étaient figurés savoir le parler. En retour, il guérit un bœuf de son éparvin et débarrassa les chèvres de leurs vers. Ses hôtes ne laissaient pas que d’être un peu effrayés lorsqu’il convoquait ses pouvoirs et qu’apparaissaient sur sa peau les marques de sorcellerie, mais Irman ne l’en autorisa pas moins à le défaire d’une dent gâtée puis le pria de jouer sur sa vieille épouse, qui avait une grosseur au ventre.

Celle-ci s’allongea toute grelottante sur une couverture au clair de la lune, pendant que tous les siens suivaient les opérations d’un air aussi anxieux qu’émerveillé. Mahti palpa doucement l’enflure et la découvrit brûlante et teigneuse. L’état de la patiente réclamait des soins en profondeur, comme ceux qu’il avait prodigués naguère à Teolin.

Il prit le mari à part et essaya de lui expliquer que son jeu consisterait d’abord à faire sortir l’esprit du corps, de manière à ne pas perturber le premier pendant qu’il s’occuperait ensuite du second.

Irman se frotta la joue à l’endroit d’où Mahti avait extirpé sa mauvaise dent. Finalement, il acquiesça d’un hochement. « À toi de faire ce que tu peux pour elle. »

Mahti s’installa près d’elle à croupetons puis lui posa la bouche de l’oo’lu presque contre la hanche. « Vous dormir, maintenant, femme, dit-il en se servant de son skalien tout neuf. Bon sommeil. Je rendre vous pas malade. Vous me donner ... » Il ne connaissait pas le terme approprié. Il avait besoin de son agrément.

« Je vous donne la permission, souffla-t-elle. Ça ne fera pas mal du tout, n’est-ce pas ?

— Du tout douleur » , lui assura-t-il.

Il l’endormit d’un ronronnement et invita son esprit à monter se baigner dans la lumière de la lune avant de se mettre au travail en explorant son abdomen. À son grand soulagement, il s’agissait seulement d’un abcès ovarien. Une saleté, à coup sûr, mais il eut tôt fait de refroidir les humeurs bouillantes et de les drainer. Il faudrait quelques jours et des herbes dépuratives pour achever l’ouvrage, mais il lui fit réintégrer sa chair et lui ordonna de rouvrir les yeux, elle se tâta le flanc et sourit.

« Oh, oui, c’est bien mieux ! Il est un guérisseur de première, Irman ... Pourquoi est-ce qu’on raconte sur eux des histoires si vilaines ?

— Nous pouvoir faire mal, admit Mahti. Méchants sorciers, aussi, avec en plus ceux qui se battre contre les gens habiter le sud. » Il adressa une petite révérence à son auditoire en guise d’excuses. « Pas les amis, non, mais ceux qui nous tuer pour emparer notre pays.

— C’est vrai que votre peuple vivait autrefois tout le long de la mer orientale ? » demanda l’un des petits fils du patriarche.

Mahti opina tristement du chef. Les vieux chantaient encore les lieux inviolables qui bordaient l’eau salée - sanctuaires de pierre, sources saintes et bois sacrés tombés en désuétude depuis des générations. Les Retha’noïs ne possédaient encore leurs collines et leurs vallées montagnardes que parce que les Skaliens n’en avaient jusqu’à présent pas voulu.

Au matin du quatrième jour, il se prépara à prendre congé. Il avait de nouveau rêvé de Lhel la nuit précédente, et elle était impatiente de le voir se remettre en route, mais vers le nord, une fois de plus, et non vers le sud.

Irman lui donna des vivres et des vêtements plus pratiques à porter pour le long voyage qui l’attendait. Leurs tuniques et leurs culottes étaient taillées plus près du corps que sa chemise flottante et ses pantalons bouffants, et elles étaient cousues sans la moindre espèce de charmes. Mahti en inséra quelques-uns à l’intérieur de la tunique et conserva son collier de dents d’orignac et d’ours, ainsi que ses bracelets. Il accepta aussi un couteau skalien et camoufla le sien dans le sac de toile contenant déjà les provisions de route qu’on venait de lui offrir.

« Et ton cor, dis-moi ? » s’inquiéta Irman pendant qu’il l’ajustait dans sa bandoulière de tissu. Mahti lui répondit par un simple clin d’ œil. Il était assez facile d’empêcher les gens de le voir s’il décidait de le faire.

« Je pouvoir prétendre maintenant que j’être de Zengat ? demanda-t-il avec un grand sourire.

— Ça sera toujours moins dangereux que de dire ce que tu es, je présume ... , répondit Irman. Tu es tout à fait certain qu’il te faut absolument faire ce fameux "séjour" ? Tu ferais bien mieux de rentrer chez toi.

— La déesse m’aider. » Il s’abstint de mentionner Lhel. Les Sudiens n’entendaient rien aux morts.

Il se dirigea vers le sud aussi longtemps qu’il ne fut pas hors de la vue de ses hôtes puis obliqua vers le nord et maintint ce cap toute la journée et celle du lendemain, tandis que la forêt s’éclaircissait peu à peu. Il lui était possible, à certains endroits, de distinguer par-dessus les cimes des arbres une plaine qui s’étendait à l’infini. Elle était verte et parsemée de bois et de lacs. Il pressa le pas, tant il lui tardait de savoir l’effet que cela faisait de marcher dans des lieux pareils, sous un ciel d’une telle immensité.

Il poursuivit sa route dans les mêmes conditions trois jours de plus, et ses pieds le conduisirent finalement aux abords d’une large rivière. Par-delà s’apercevaient des quantités de villages et de fermes, des troupeaux de bétail et des hardes de chevaux.

Comme il ne savait pas nager, il attendit qu’il fasse nuit pour se mettre en quête d’un moyen pour passer sur la rive opposée. La lune se leva, pleine et blanche, dans un firmament limpide, si lumineuse que l’ombre de Mahti se découpait nettement en noir sur l’herbe chargée de rosée.

Il avait presque atteint la berge de la rivière quand il tomba sur un nouveau groupe de gens du sud. Il venait tout juste de quitter l’abri d’un petit bosquet et traversait à grandes enjambées une prairie inondée par le clair de lune lorsqu’il entendit soudain résonner des voix. Trois hommes sortirent en courant des bois plongés dans les ténèbres et foncèrent droit sur lui. Il laissa tomber son sac de voyage et, dégageant l’oo’lu de sa bandoulière, le saisit nonchalamment d’une seule main.

Les individus poursuivirent leur course en poussant des cris probablement destinés à lui faire peur. Il resserra ses doigts sur le bois lisse de l’instrument, mais il souriait.

En se rapprochant, les agresseurs dégainèrent leurs épées. Ils puaient la crasse, et leurs vêtements étaient tout déchirés.

« Eh, toi ! l’interpella grossièrement le plus grand des trois. Je sens d’ici qu’y a de quoi bouffer dans ton sac. Donne !

— J’avoir besoin mes provisions, rétorqua Mahti.

— Par les couilles de Bilairy ! D’où que t’es, pour parler comme si t’avais la bouche pleine de cailloux ? »

Mahti mit un moment à démêler le sens de la question. « De Zengat.

— Putain de mes deux, un Zengati qui débarque par ici tout seul ! s’exclama l’un des autres en s’avançant d’un pas.

— Vous pas combattre, prévint Mahti. Je pas désirer faire mal à aucun.

— C’est-y pas mignon, ça ? gronda le grand diable, tout en réduisant à son tour l’intervalle. Et avec quoi que tu nous ferais "mal" ? Ce bâton de marche ? Je te vois pas d’épée à la ceinture, ami ... »

D’un air curieux, Mahti pencha la tête de côté. « Vous m’appeler "ami", mais voix et épée dire "ennemi". Vous en aller, vous. J’aller mon chemin en paix. »

Ils étaient désormais presque assez près pour frapper. Mahti soupira. Il les avait généreusement prévenus. Portant l’oo’lu à hauteur de ses lèvres, il leur souffla le rugissement d’un couguar. Comme il l’avait escompté, la stupéfaction fit reculer d’un bond ses assaillants.

« Merde alors, c’était quoi, ça ? » lâcha le troisième.

À son timbre, il était plus jeune que ses camarades.

« Vous partir, les avertit de nouveau Mahti. Je tuer vous, si vous pas faire.

— C’est pas un Zengati, ça, grogna leur chef. On s’est attrapé là une petite ordure de sorcier des monts.

C’est qu’un de ces beugleurs à la manque. Coupons-y sa gorge avant qu’y nous fasse des conneries. »

Ils n’eurent pas le temps de se jeter sur lui que Mahti se mit à leur jouer le vrombissement des abeilles. Ils s’immobilisèrent encore un coup, mais en laissant choir leurs armes, cette fois, pour s’empoigner douloureusement la tête à deux mains. Le jeunot s’affala sur ses genoux en poussant des hurlements.

Mahti joua plus fort, tout en regardant les deux autres s’effondrer à leur tour et se tortiller par terre. Le sang qui jaillissait de leurs oreilles et de leur nez paraissait noir au clair de lune. S’il s’était agi d’innocents, la magie ne les aurait pas malmenés à ce point. Il n’y avait que les coupables, avec le meurtre au cœur et du sang sur les mains, pour réagir de la sorte. Il continua de souffler, de plus en plus fort et en redoublant d’énergie, jusqu’à ce qu’ayant cessé de glapir et de se démener tous trois gisent inertes dans l’herbe. Alors, il enchaîna par la mélopée qu’il avait utilisée pour dégager de leur corps les âmes de Teolin et de la vieille épouse d’Irman et la joua sur celui du meneur. Mais, en l’occurrence, il la fit s’achever sur un croassement suraigu de corbeau qui sectionna net le fil spirituel ténu qui reliait l’âme à la chair. Il opéra de même avec l’homme au chapeau, mais le garçon, il lui laissa la vie. Celui-ci était assez jeune pour n’avoir peut-être pas adopté de plein gré le genre d’existence qu’il menait.

Les esprits des deux morts voletaient autour de leurs cadavres comme des chauves-souris furieuses. Mahti leur laissa trouver ce que les gens du sud pouvaient bien avoir d’après-vie et reprit son propre voyage sans jeter l’ombre d’un coup d’œil en arrière.