12

Lorsque, au mois de Nythin, les jours se firent plus longs, plus ensoleillés dans tout le pays, et que les routes s’asséchèrent, Tamir se rendit compte que les nouvelles de la destruction d’Ero et de sa propre métamorphose ne s’étaient pas forcément propagées de pair. Il arrivait encore de domaines lointains des émissaires hétéroclites. Certains apportaient des réponses pour le moins tardives aux convocations de ban lancées par Erius, et ils s’attendaient à lui voir toujours occuper le trône. D’autres venaient en quête d’informations sur la princesse miraculeusement transformée. Quelques braves âmes étaient chargées de missives laconiques la traitant carrément d’imposteur.

Ce fut par l’intermédiaire de ces nouveaux venus que se répandit la rumeur de la présence de Korin à Cima, où il était en train de mettre une armée sur pied. « Cela signifie que nous sommes coupés de la noblesse des territoires situés au nord de l’isthme, sauf par voie de mer, observa Tharin.

— À supposer que nous possédions encore assez de bateaux » , ajouta Illardi. De Volchi à Erind, les chantiers navals s’affairaient à en construire de nouveaux, mais les ports de cette côte ne s’étaient pas tous prononcés en faveur de Tamir. L’auraient-ils fait, d’ailleurs, il fallait du temps pour mettre à flot des vaisseaux d’un pareil tonnage.

« Eh bien, du moins savons-nous où le prince est allé se planquer » , lâcha Ki.

Arkoniel et Iya s’efforcèrent de vérifier la chose en se servant de l’ œil magique et des sortilèges de fenêtre, mais en pure perte.

« Vous n’arrivez pas à distinguer quoi que ce soit à l’intérieur de la forteresse ? demanda Tamir d’un ton incrédule.

— Chaque fois que j’essaye, j’ai l’impression que quelqu’un m’enfonce des couteaux dans les yeux, lui répondit Arkoniel. Nyrin a tramé une sorte de charme protecteur qui englobe l’ensemble des lieux.

— Est-ce qu’il a surpris vos tentatives d’espionnage ?

— Peut-être, mais nous avons été très prudents, dit Iya. Il saurait se garder contre une pareille magie.

— Est-ce qu’il est plus fort que vous ?

— La mise au point de ce genre de préservation ne présente pas de difficulté excessive. Les Busards étaient puissants à leur manière, et il en reste au moins quatre aux côtés de Nyrin. Les sous-estimer ne nous avancera à rien. Nous les avons seulement vus brûler des magiciens. Nous ignorons de quoi d’autre ils sont capables, prévint Iya. Vous avez vu ce que peut faire notre petite bande, au bout de quelques mois à peine, lorsque nous mettons nos talents en commun. Nyrin a eu des années, lui, pour explorer et tester les pouvoirs de ses affidés personnels. Je subodore que, même diminués comme ils le sont, ils représentent encore une force avec laquelle il faut compter.

— Que pouvons-nous faire, alors ?

— Multiplier les éclaireurs » , suggéra Arkoniel.

 

Comme il ne semblait pas qu’elle ait pour l’heure d’autre solution, elle agit en conséquence puis retourna apprendre à gouverner.

Chacune de ses matinées se passait à tenir sa cour dans le vestibule d’Illardi que l’on avait à la va-vite aménagé en salle du Trône, et où, assistée du duc, de Tharin, de ses Compagnons et de quelques-uns des magiciens d’Iya, elle siégeait sur une estrade à baldaquin.

Cela lui faisait encore un effet bizarre, d’occuper la place d’honneur, mais tout le monde la traitait comme si elle était déjà reine. Les dispositions à prendre pour les lords et les guerriers, tant réfugiés que survenants, continuaient à mobiliser une bonne partie de son attention. Il fallait parer sans fin à des quantités d’urgences, essuyer des tas de conflits. Des bagarres éclatèrent, et le camp tout entier fut placé sous la juridiction d’un tribunal militaire. Les anciens habitants d’Ero commençaient à s’impatienter de leur situation. Le miracle incarné par leur nouvelle reine faisait désormais figure d’histoire ancienne; ils avaient faim, ils étaient crottés, et les promesses de leurs prêtres que l’existence allait s’améliorer ne les satisfaisaient en rien.

Après avoir été jugés sains par les drysiens, des centaines d’entre eux s’étaient déjà vu accorder l’autorisation de partir. Certains se rendirent à Atyion. D’autres avaient de la famille dans diverses villes. Mais il en demeurait encore plus d’un millier dans le campement, et, malgré toutes les fournitures qui affluaient d’Atyion et d’ailleurs, la nécessité d’un rationnement très strict, loin d’être comprise, échauffait les biles.

Certains de ceux qui se trouvaient toujours sur place étaient trop malades pour en bouger, beaucoup ne disposaient d’aucun autre endroit où aller se réfugier, mais la plupart voulaient retourner en ville pour essayer d’y reconstruire ou d’y récupérer ce qu’ils pourraient, malgré les mises en garde contre la pollution de l’eau et la malédiction qui pesait sur le site. Jour après jour, ils se présentaient devant Tamir, l’ accablant de cajoleries, de supplications ou de doléances.

Pire encore, les lords qui étaient venus se joindre à elle s’agitaient chaque jour un peu plus. Elle avait formellement exprimé sa répugnance d’autant plus vive à se précipiter tête baissée dans une guerre civile qu’elle n’avait toujours pas de nouvelles de Korin. Ses généraux et conseillers étaient unanimes à protester que le silence persistant de son cousin ne présageait rien que de funeste et, dans le fond de son cœur, elle subodorait qu’ils avaient raison.

Des guerriers livrés à l’ennui représentaient un danger pour tous. Des affrontements éclataient entre factions rivales, avec leur séquelle de meurtres, de viols et de vols. Elle abandonnait le châtiment des coupables à leurs suzerains respectifs, mais elle était parfaitement consciente qu’il lui fallait soit employer au plus vite les désœuvrés, soit les renvoyer à leur domicile.

« Des équipes de travail, préconisa Tharin. Lorsqu’ils se trouvent chez eux, la plupart sont alleutiers ou fermiers. Mets-les au boulot, qu’ils arrêtent de nous emmerder ! »

La majorité des nobles s’étant laissé convaincre, Tamir eut ainsi sous la main un contingent d’ouvriers non négligeable pour s’occuper des champs et contribuer au nettoyage définitif de la ville.

 

S’efforcer de maintenir l’ordre était une tâche éreintante et décourageante. Rien ne l’y avait préparée, et le fardeau lui semblait d’autant plus lourd qu’il engageait davantage sa responsabilité personnelle.

« Si je dois être véritablement la reine destinée à les sauver, pourquoi l’Illuminateur s’abstient-il alors de m’indiquer la conduite à suivre ? se plaignit-elle à Imonus.

— On n’a pas signalé un seul cas de peste » , lui fit observer le religieux.

Elle vit mal en quoi cela procurait une bouchée de pain supplémentaire à qui que ce soit.

Elle ne se trouvait pas sans appuis, néanmoins. Le duc Illardi avait de l’expérience en telles matières, et il assumait à sa place la revue de maints quémandeurs. Il jouissait du respect de tous et connaissait infiniment mieux les manières de cour que les chefs militaires. Ce qui ne tarda guère à lui faire tenir le rôle officieux de chancelier.

Nikidès se révélait lui aussi un adjoint inestimable.

Grâce à son illustre grand-père, c’était de première main qu’il s’était initié aux questions de protocole que posait la cour. Plein de tact, impressionnant d’érudition pour ce qui était de l’histoire et des procédures en fait de préséances, doté par surcroît d’une sagesse fort au-dessus de son âge, il s’acquit même en un rien de temps la déférence des lords de province plus vieux que lui.

Tamir les gardait tous deux auprès d’elle pendant les audiences, et ils lui servaient de guides en cas de nécessité.

Ce fut aussi durant cette époque qu’elle vit Tharin sous un nouveau jour. Elle l’avait toujours connu comme un homme impartial et ferme, un guerrier de première bourre et un ami. Et voici qu’elle lui découvrait une perspicacité roublarde, issue des années passées aux côtés de Père, tant à la cour que sur les champs de bataille. Il n’avait jamais cherché à jouer les chefs, mais il était bon juge des caractères, et il avait la mémoire longue. Grâce à la puissance de Père et à son influence à la cour, rares étaient les plus grands seigneurs que le capitaine n’avait pas rencontrés à un moment ou à un autre.

 

Un beau matin s’annonça un jeune chevalier, porteur d’un message du duc Ursaris de Tor Corbeau. Celui-ci était arrivé la veille, escorté par cinq cents cavaliers et hommes d’armes, mais il n’était pas encore venu présenter ses hommages à Tamir.

Tharin, qui le connaissait depuis leur séjour à Mycena, la prévint en privé d’avoir à se défier de lui. « C’est un adepte forcené de Sakor, et il est redevable à ton oncle et de son titre et de ses terres, dont avait été dépossédé un lord qui s’obstinait à faire allégeance à Ariani, après qu’Erius se fut emparé du trône. »

L’émissaire trépigna nerveusement jusqu’à ce que Tamir s’avise de sa présence puis s’inclina bien bas, mais de l’air de quelqu’un chargé d’accomplir une corvée qui le répugne. « Je suis sieur Thomas, et je viens transmettre les salutations de Son Excellence, le duc Ursaris, à ... » Il eut du mal à déglutir. « Au prince Tobin d’Ero. »

Tharin capta le regard de Tamir et haussa légèrement un sourcil. Elle accusa réception de l’avertissement par un imperceptible hochement de tête et gratifia le jeune homme d’un regard sévère. « Vous pouvez dire à votre seigneur et maître que je ne suis plus Tobin. S’il souhaite entrer en pourparlers avec moi, libre à lui de me rendre visite en personne et de me saluer par mon véritable nom.

— Vous pouvez également avertir votre seigneur et maître, intervint le capitaine, que s’il désire à l’avenir s’enquérir de la situation, la bienséance exigerait qu’il ne dépêche pas un sbire notoire sous l’honorable bannière d’un héraut.

— Je suis chevalier, Lord Tharin !

— C’est donc que vous vous êtes élevé dans le monde à force d’ignominies. Je me rappelle un coureur de camp doué pour vider les poches et pour mentir avec dextérité. Je me souviens de vous, sieur Thomas, ainsi que de votre patron.

— Moi aussi, gronda le vieux Jorvaï du fond de la salle d’audience où il était en train de jouer aux dés avec quelques-uns de ses pairs. Et comme Lord Tharin, en l’occurrence, j’ai une bonne mémoire pour les visages et les réputations. Ursaris a toujours voulu beurrer ses tartines des deux côtés. »

Tamir leva la main pour les inviter à se taire. « Si votre patron désire soutenir ma cause, dites-lui qu’il est le bienvenu à ma cour, dans ce cas. Dans le cas contraire, il ferait bien d’être parti demain matin, sans quoi je le considérerai comme mon ennemi. » Il ne s’agissait pas là d’une menace en l’air, et le messager le comprit fort bien.

« Je transmettrai votre réponse, Altesse. » Il s’inclina puis s’empressa de vider les lieux.

 

Tamir et sa garde sortirent par le pont Mendigot pour voir ce que le duc allait faire. Il s’était finalement décidé à décamper vers le crépuscule en direction de l’ouest, emmenant ses troupes.

« Bon débarras ! » leur cria Ki en se dressant sur ses étriers puis, le majeur brandi vers le cul des lâcheurs. Bougres de pleutres !

— Le mot ne convient pas, tu sais, dit Tharin. Ursaris a des qualités de chef indiscutables, et la bravoure de ses hommes ne l’est pas moins.

— Ils n’ont pas cru que j’étais réellement ce que je suis, reprit Tamir.

— Je doute qu’il ait cure que ce soit véridique ou pas, répliqua le capitaine. Tout bien réfléchi, il se propose d’appuyer Korin. » Il se pencha vers elle et lui étreignit l’épaule. « Il ne sera pas le seul, tu sais. »

Elle soupira, les yeux fixés sur les bannières qui s’évanouissaient dans un nuage de poussière illuminé par le soleil couchant. « Je sais. Tu crois qu’il y a aussi des partisans de Korin qui l’abandonnent en ma faveur ? »

Tharin balaya d’un geste circulaire les groupes de tentes et d’enclos qui se répandaient dans la plaine. « Ils sont déjà là, et chaque jour en amène de nouveaux. »

Elle opina du chef, mais sans cesser pour si peu de s’interroger sur le nombre de guerriers qu’était en train de rassembler son cousin, lui qui détenait l’Épée de Ghërilain et qui jouissait du nom de son père.

De telles pensées ne faisaient qu’accroître sa gratitude envers les physionomies familières qui l’entouraient.

Et cependant, les sentiments qu’elles exprimaient n’étaient pas tous les mêmes que par le passé ...

 

Tanil avait eu beau se remettre de ses blessures, son esprit demeurait dérangé. Tamir et Ki lui rendaient visite chaque jour dans la chambre qu’il partageait désormais avec Lynx. Il dormait énormément et passait la plupart de ses heures de veille à contempler la mer par la fenêtre. Il fallait même lui rappeler le besoin de manger. Ses yeux bruns autrefois si vifs étaient maintenant éteints, il avait les épaules environnées de cheveux plats et sales qui ne s’ébouriffaient qu’en deux petites touffes dépareillées à hauteur des tempes, là où l’ennemi avait tailladé ses nattes. C’était un stigmate d’opprobre pour un guerrier. Quirion s’était vu contraint de couper les siennes, lorsqu’on l’avait chassé des Compagnons pour cause de lâcheté. Tanil allait avoir à prouver de nouveau sa valeur, avant qu’on ne lui permette d’en tresser d’autres.

Tamir doutait qu’il s’en soucie. Le seul être avec lequel il parlait volontiers, sans lui dire grand-chose, d’ailleurs, était Lynx. Qui, respectant son mutisme, restait assis le plus souvent possible auprès de lui, dans la mesure où il n’était pas requis ailleurs, de peur qu’il n’attente à ses jours.

« Déjà bien assez pénible d’avoir subi ce que ces salauds de Plenimariens lui ont fait puis, en le laissant en vie, d’en conserver l’humiliation. Mais, en plus, il se sent coupable de manquement vis-à-vis de Korin, confia Lynx à Tamir et aux autres. Son cerveau divague, et il veut partir à la recherche de Korin, se figurant qu’il est tombé pendant la bataille. À d’autres moments, il se figure entendre Korin l’appeler. Je suis obligé de poster un garde à sa porte quand je m’absente.

— Comment Korin a-t-il pris sa perte, lui ? demanda Ki à Nikidès.

— Comme un coup très dur. Tu sais à quel point ils étaient proches l’un de l’autre

— Mais il n’a pas rebroussé chemin pour chercher le corps, pour faire rendre à son ami les derniers devoirs ? »

Nikidès haussa les épaules. « Le temps manquait.

La citadelle a été submergée juste après, et Lord Nyrin a convaincu Korin de s’enfuir.

J’aurais trouvé un moyen, moi, marmonna Ki, tout en échangeant un regard avec Tamir. Je me serais débrouillé d’une manière ou d’une autre pour savoir à quoi m’en tenir. »

 

Quelques jours plus tard apparut à la cour, par un après-midi pluvieux, une autre figure familière.

Tamir était censée arbitrer la dispute entre deux meuniers qui se contestaient la possession d’un petit grenier demeuré intact hors les murs de la ville. Elle avait vu son oncle se livrer maintes fois à ce genre d’exercice, mais elle trouvait tout aussi barbant d’avoir à trancher que d’avoir à subir ce spectacle. Elle faisait de son mieux pour ne pas bâiller au nez des plaideurs quand Ki se pencha pour lui toucher l’épaule.

« Vise un peu là-bas ! » Il pointa l’index vers la cohue des pétitionnaires qui faisaient cercle sur le pourtour de la pièce, et elle y distingua une tête à cheveux dorés. Abandonnant à Nikidès le soin de régler le différend des meuniers, elle se précipita au-devant de l’homme lige de Père, Lord Nyanis. Elle ne l’avait pas revu depuis le jour où il s’était présenté au fort pour y rapporter les cendres de son seigneur et maître, tombé au cours de la dernière bataille. Le sourire affable qu’il lui adressait aujourd’hui chassa ce souvenir au profit d’autres plus heureux, et elle l’embrassa chaleureusement. Il faisait partie du tout petit nombre de lords qu’elle avait connus du temps où elle grandissait à Bierfût, et elle avait toujours eu un faible pour lui. Or, alors même qu’elle l’étreignait, la mémoire lui revint toutefois que Lord Solari et lui avaient jadis été non seulement des bannerets de son père mais également des amis intimes.

« Ainsi, te voilà ! s’exclama-t-il en riant et en la serrant contre lui comme il le faisait à l’époque où elle n’était encore qu’un marmot. Et Ki, lui aussi. Par les Quatre, ce que vous avez pu pousser, tous les deux ! Et devenir en plus de sacrés guerriers, si j’en crois tout ce qu’on raconte. Pardonne-moi de n’être pas venu plus tôt. Je me trouvais encore à Mycena quand la nouvelle de l’attaque plenimarienne m’est arrivée, et les tempêtes de printemps qui sévissaient sur cette côte nous ont contraints à faire demi-tour. »

Tamir se dégagea. « Vous êtes au courant, pour Solari ? »

Le sourire de Nyanis s’effaça. « Oui. Je lui ai toujours dit que son ambition finirait par le perdre, mais j’étais à cent lieues de m’imaginer qu’elle le pousserait à s’acoquiner avec les Nyrin et consorts. Je n’avais plus eu vent de lui depuis la disparition de ton malheureux père. Si j’avais su quoi que ce soit, j’aurais essayé de le raisonner et même davantage pour te protéger. Cela étant, j’ai des nouvelles pour toi, mais elles ne sont pas fameuses. J’ai reçu un message du fils aîné de Solari, Nevus, pendant que je m’acheminais pour te rejoindre. Le crétin désirait que je me ligue contre toi pour l’aider à s’emparer d’Atyion.

— J’espère que vous lui avez dit non ? » fit Tamir en souriant à belles dents.

Nyanis gloussa. « Ton père était mon suzerain, et c’est à toi que j’engagerai mon épée, si tu veux bien de moi.

— Avec joie. »

Il la considéra de pied en cap ; elle avait fini par s’attendre à subir un tel examen de la part de ceux qui l’avaient connue avant sa métamorphose, et le mélange de stupeur et d’incrédulité qu’il manifesta n’était plus fait pour la surprendre.

« Alors, c’était donc ça, le grand secret de Rhius ?

J’ai eu un entretien avec Tharin à mon arrivée. Il paraît que je dois t’appeler Tamir, dorénavant. Ou me faudrait-il dire Majesté ?

— Altesse, pour l’instant. Il est important que je suive à la lettre les lois et les rituels.

— Ce qui impliquerait que tu récupères l’Épée de la reine ?

— Oui.

— Alors, je vous la verrai au poing, Altesse. »

Nyanis s’agenouilla pour lui présenter sa propre épée dénudée, là, carrément, parmi l’incessant va-et-vient des serviteurs et l’effervescence des plaignants. « D’ici là, je renouvelle la foi de mon cœur et de mon épée au rejeton d’Atyion. Je verrai la couronne de Skala sur votre front et l’Épée de Ghërilain. dans votre main. Je donnerai volontiers ma vie pour cela, princesse Tamir. » Il se releva et rengaina. « Permettez-moi de vous présenter d’autres alliés que je vous ai amenés. »

Il se trouva qu’Arkoniel passa par là tandis qu’elle était en train de saluer lords et chevaliers. « Lord Nyanis ! Je n’avais pas entendu parler de votre arrivée.

— Magicien ! » Ils échangèrent une vigoureuse poignée de main. « Toujours assidu à vos tâches, à ce que je vois. Est-ce que vous avez jamais réussi à apprendre à vos deux élèves à écrire correctement ?

L’un de mes plus prodigieux exploits » , répliqua Arkoniel en souriant.

 

Prendre un tout petit rien de rouge. Telle était l’expression dont s’était servie Lhel pour désigner le sortilège lorsqu’elle y avait initié Arkoniel. À l’abri des regards indiscrets, il fit perler de sous l’angle effilé de l’ongle de son petit doigt la minuscule gouttelette du sang de Nyanis et, après l’avoir étalée sur le gras de son pouce, prononça les mots que la sorcière lui avait enseignés. À l’instar de Tamir, il ne souhaitait rien tant que faire confiance au nouveau venu, mais Solari leur avait donné une rude leçon. Il ressentit le chatouillement de la magie à l’ œuvre, et puis un formidable soulagement quand le sang lui signifia qu’il ne recelait pas la moindre trace de male intention.

Utilisé à maintes reprises, le sang-sortilège lui avait déjà permis de découvrir une poignée de lords dont il fallait se défier. Une fois tranquillisé sur la loyauté de Nyanis, il retourna dans la salle d’audience, en quête de nouveaux venus supplémentaires à qui souhaiter la bienvenue.