81.
Sarah distinguait déjà les vitrines illuminées
du Whole Foods lorsqu’elle entendit une voiture s’approcher
lentement derrière elle. Le véhicule roulait au pas, ses phares
projetant sur le trottoir l’ombre étirée de sa silhouette.
Les flics ?
À demi folle de peur, Sarah lutta contre
l’envie de se retourner. La panique devait se lire sur son visage.
Si jamais les flics l’arrêtaient pour l’interroger, elle était
cuite.
Qui pouvait bien la suivre ainsi ?
Un coup de klaxon retentit soudain, et la
voiture, un vieux SUV gris, accéléra pour la dépasser. Un type se
pencha par la fenêtre et brailla à pleins poumons :
— Joli cul, poulette !
Sarah baissa la tête ; les éclats de rire
s’estompèrent peu à peu.
Sa Saturn rouge était à l’endroit où elle
l’avait laissée. En jetant un coup d’œil à l’intérieur du magasin,
elle s’aperçut qu’il ne restait plus aucun client.
Un jeune homme à la tignasse blonde fermait la
dernière caisse. Il leva la tête à l’entrée de Sarah :
— Bonsoir, ma voiture est fermée à clé et
j’ai perdu mon trousseau, lui dit-elle. Je peux emprunter votre
téléphone ?
— Il y a une cabine juste devant, lança le
jeune avec un geste du pouce en direction du parking.
L’expression de son visage se modifia
brusquement :
— Madame Wells ? Vous me
reconnaissez ? Mark Ogrodnick ! J’étais dans votre cours
il y a cinq ans.
Sarah sentit son cœur s’emballer. Parmi tous les
magasins de Pacific Heights, il avait fallu qu’elle tombe sur le
seul où elle connaissait l’un des employés !
— Mark ! Ravie de te revoir. Je peux
emprunter ton portable ? Il faut absolument que j’appelle mon
mari.
Mark observa ses pieds nus, son tibia
ensanglanté. Sa bouche s’ouvrit puis se referma. Il sortit son
téléphone de sa poche arrière et le tendit à Sarah.
— Merci beaucoup, Mark.
Elle s’éloigna dans le rayon fruits et légumes
et composa le numéro. Heidi répondit au bout de plusieurs
sonneries.
— C’est moi, fit Sarah. Je suis au Whole
Foods. J’ai perdu mes clés de voiture et les portières sont
verrouillées.
— Je ne peux pas venir maintenant, Sarah.
Les enfants dorment.
— Où est ton charmant mari ?
— Il est sorti, mais il peut revenir d’un
instant à l’autre. Je suis vraiment désolée…
— Pas grave. Je t’aime. À bientôt.
— Moi aussi, je t’aime.
Ogrodnick lui jeta un regard en coin et éteignit
le néon de la devanture. Sarah n’avait plus le choix. Elle composa
son propre numéro. Pour la première fois, elle pria pour que Trevor
décroche.
— Sarah ? T’es où ? Qu’est-ce que
tu fous, merde ? grommela Trevor à l’autre bout de la
ligne.
Penaude, Sarah lui expliqua la situation.